Homme qui voulait vivre sa vie (L')

Titre original: | Homme qui voulait vivre sa vie (L') |
Réalisateur: | Eric Lartigau |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 115 minutes |
Date: | 03 novembre 2010 |
Note: | |
Pratiquement tout réussit à Paul Exben : il habite avec sa femme et ses deux enfants dans une belle maison en banlieue parisienne, et il a su préserver sa passion pour la photo en tant qu’amateur, alors que son métier d’avocat brillant lui prend l’essentiel de son temps. Et puis un jour, tout bascule. Deux annonces perturbent durablement l’équilibre délicat que cet homme toujours un peu stressé, toujours sur la défensive appelle sa vie. Tandis que la proposition de reprendre le cabinet de sa patronne Anne l’enchante, si ce n’était pour la maladie grave de cette femme qu’il considère comme une mère, la décision de sa femme Sarah de mettre un terme à ses ambitions littéraires pour reprendre le travail le rend perplexe. Il se doute que quelque chose ne tourne pas rond dans son couple. Un soupçon qui ne tardera pas à devenir une réalité douloureuse.
Critique de Tootpadu
Chaque mot dans le titre assez long du quatrième film du réalisateur Eric Lartigau, adapté du roman à succès de Douglas Kennedy, a son importance. Mais c’est surtout l’imparfait du verbe « vouloir » qui résume mieux que les autres l’essence de la quête existentielle du protagoniste, qui ne cesse de buter contre ses imperfections personnelles. Tel un Thomas Ripley doué en photographie et désireux de faire partie d’une famille parfaite, Paul Exben devient peu à peu la victime de ses propres mensonges de vie. Indubitablement idéaliste dans l’âme, il se heurte aux exigences banales de la vie quotidienne, symbolisées pas sans ironie dès le début du film par les cris de son fils nourrisson, transmis à travers le babyphone jusqu’à la chambre des parents. C’est un homme qui veut toujours bien faire et qui se sert de son pouvoir de séduction indiscutable pour se tirer d’affaire, lorsque le subterfuge de l’excuse permanente ne fonctionne plus. Toutefois, l’ensemble de son existence proprette n’est qu’un leurre, un écran de fumée qui cache de moins en moins bien les demi-vérités sur lesquelles il a basé sa vie.
A mi-chemin entre l’hypocrisie et la frustration qui résulte de l’impression d’avoir raté quelque chose d’essentiel dans sa vie, l’état d’esprit de Paul est plutôt symptomatique du style de vie des hommes parisiens d’aujourd’hui. Ces derniers s’efforcent de projeter l’image d’avoir réussi sur toute la ligne, alors qu’ils s’épuisent entre leurs responsabilités au travail et à la maison, sans parler du stress inhérent au quotidien de la foule métro-boulot-dodo dans une métropole comme Paris, Londres ou New York. Il leur manque quelque chose qui donnerait réellement du sens à leur vie, en dehors de leurs possessions et de leur statut social que tout le monde leur envie prétendument. De ce malaise profond, le personnage principal de L’Homme qui voulait vivre sa vie arrive à se défaire grâce à sa passion pour la photo … ou presque. En tout cas, le propos du film aurait probablement été aussi saisissant, si le mouvement de fuite et le déni d’identité de Paul n’étaient pas motivés par ce supposé accident qui change tout. Le passage à l’acte violent et maladroit s’inscrit certes dans la tradition de Thomas Ripley, qui assomme Dickie Greenleaf sous le coup de l’émotion avec une pagaie dans l’adaptation du Talentueux Mr Ripley par Anthony Minghella, en fin de compte pour vivre une vie par procuration. Mais pour nous, le choix impulsif des armes et l’exécution du crime passionnel relèvent ici du même goût discutable pour le théâtre grandiloquent que le flash mental d’un futur derrière les verrous ou le coup ringard du songe filmique, par ailleurs les seuls écarts narratifs notables du film.
Il n’empêche que la première partie du film – tellement longue que l’on douterait presque de la volonté de Paul de couper les ponts et de suivre son rêve – installe un ton positivement gênant, qui rend d’emblée l’épanouissement complet du personnage improbable. Puisqu’il était incapable de se réjouir de sa réussite sociale, aussi factice soit-elle, ce n’est pas une carrière de photographe née sous de faux auspices qui va lui procurer de la sérénité. Le frein au bonheur, Paul le ressent dans son for intérieur et, dès son acte irréfléchi du camouflage d’un crime, il sait qu’il ne pourra plus jamais s’en débarrasser entièrement. Sa cavale se transforme donc en calvaire permanent, exaucé uniquement par l’expression artistique à travers ses photos, en la qualité desquelles il ne croit pas lui-même. Cette peine de ne plus pouvoir exister pleinement, la mise en scène la traduit par un rythme pesant, qui nous fait ressentir avant tout la monotonie émotionnelle d’une vie passée en cachette. Rien de mal toutefois à cette lenteur assumée, puisqu’elle confirme la transition réussie d’Eric Lartigau de la comédie légère au drame grave et ténébreux, dépourvu d’un espoir crédible de rédemption.
La même chose s’applique à l’égard de l’interprétation de Romain Duris, particulièrement adroite lorsqu’il s’agit de traduire l’attitude toujours un peu mal à l’aise de son personnage, peu importe les circonstances.
Vu le 7 octobre 2010, au Club Marbeuf
Note de Tootpadu: