Social network (The)

Social network (The)
Titre original:Social network (The)
Réalisateur:David Fincher
Sortie:Cinéma
Durée:121 minutes
Date:13 octobre 2010
Note:
Dégoûté d’avoir été largué par sa copine Erica, qui lui reproche d’être un sale con, l’étudiant Mark Zuckerberg, un surdoué en informatique, se console un soir d’automne en créant le site Facemash, sur lequel les autres étudiants de Harvard peuvent voter pour la fille la plus canon du campus. Fort de ce succès d’estime, qui a réussi à faire planter le serveur de sa faculté en plein milieu de la nuit, Mark voit désormais plus grand : il veut créer un réseau social basé sur la notion d’exclusivité, auquel seuls les étudiants de son université prestigieuse auraient accès. Les jumeaux Winklevoss développent un projet similaire et invitent Mark à les rejoindre. D’abord enthousiaste face à cette proposition, Mark préfère finalement poursuivre sa propre idée d’un site, qui prendrait le relais de tous les échanges sociaux traditionnels. Il s’associe avec son meilleur ami Edouardo Saverin pour lancer son invention TheFaceBook, qui remporte un succès retentissant à Havard.

Critique de Tootpadu

Le phénomène Facebook reflète si bien l’engouement de nos contemporains pour connaître les moindres faits et gestes de la vie privée de leurs proches et pour être constamment reliés à eux, qu’un film sur la genèse tumultueuse de cette plate-forme virtuelle des échanges sociaux aurait pu être soit une satire mordante sur la dérive de notre civilisation à l’aurore de l’ère du tout numérique, soit un hommage fanatique à ses créateurs téméraires qui ont su apporter leur petite pierre angulaire à l’édifice de la communication planétaire sans entraves. The Social network dispose d’une intelligence largement suffisante pour n’être ni l’un, ni l’autre. Alors que la découverte des différentes applications du site phare est incluse dans l’intrigue d’une manière presque anecdotique, le cœur du récit bat réellement pour la trajectoire tragique de Mark Zuckerberg, un génie informatique dont les lacunes du comportement ont forcément des répercussions sur son ascension économique fulminante. Grâce au scénario brillant d’Aaron Sorkin et à la mise en scène pas moins magistrale de David Fincher, nous suivons son parcours fascinant à travers une structure narrative des plus astucieuses, sans que le protagoniste de ce film passionnant ne quitte jamais la zone d’ombres troublante entre une arrogance sans bornes et son accomplissement en tant qu’inventeur d’un support, qui devra encore faire ses preuves à long terme pour démontrer qu’il est plus qu’un phénomène de mode.
Rien que la première séquence est d’une fulgurance formelle et narrative des plus intrigantes. Si tout le film n’avait consisté qu’en une conversation tempétueuse entre Mark et sa petite amie Erica, notre plaisir n’en aurait été guère amoindri, tant les répliques qui fusent à tout va et la tension dramatique qui s’installe d’emblée entre ces deux personnages s’avèrent jubilatoires. Cette prise de contact avec le génie torturé, que serait le jeune prodige informatique selon le scénario, gardera un effet durable sur le reste du film, à la fois comme symbole de la frustration profondément enracinée en Mark suite au rejet d’une des rares personnes auxquelles il s’intéresse réellement, et en tant qu’aperçu bref mais révélateur de l’écart entre sa virtuosité informatique et ses exploits minables, lorsqu’il s’agit de séduire quelqu’un par le simple emploi d’une parole sincère et délicate. Par la suite, le personnage principal n’arrivera jamais à se défaire entièrement de son aura de crétin prétentieux, une tare de caractère qui lui coûtera tôt ou tard tout ce que les millions de dollars qu’il brassera rapidement ne lui permettront pas de racheter.
Pas assez de ce constat amer sur la nature de Mark Zuckerberg, qui reste cependant aussi fascinant parce qu’il n’est pas dépeint comme un génie incompris, le film l’inscrit dans un modèle de narration qui, s’il ne peut pas être considéré comme révolutionnaire en notre époque où tous les cas de figure paraissent déjà avoir été essayés, demeure néanmoins d’une complexité et d’une sophistication impressionnantes. La comparaison avec le chef-d’œuvre incontestable qu’est le premier film d’Orson Welles, Citizen Kane, paraît certes un peu trop facile, mais toujours est-il que les deux films s’approchent de leur protagoniste respectif par un cheminement astucieux, qui en révèle finalement bien plus qu’une biographie filmique conventionnelle. L’essence de Mark Zuckerberg, comme celle de Charles Foster Kane, transparaît ainsi bien plus clairement à travers son ascension vue à travers ses comparutions devant des conseils d’investigation, ou dans le cas de Welles par le biais de souvenirs partiels de ses proches, que par une reconstitution bêtement linéaire de ces événements marquants.
Toutefois, le mécanisme narratif de The Social network est perfectionné d’une façon si fulgurante, que les nombreuses bifurcations temporelles ne donnent à aucun moment l’impression d’avoir été incluses pour épater le spectateur. Au contraire, la mise en scène de David Fincher, d’ailleurs adroitement assistée par le montage de Angus Wall et Kirk Baxter, exerce un tel pouvoir de fascination sur nous, que nous suivons comme envoûtés – et indubitablement charmés – les exploits des jeunes entrepreneurs, qui ne tardent pas à se faire happer par les broyeurs des investisseurs, dès que leur invention dépasse tous les espoirs qu’ils avaient placés en elle.
Plus qu’un conte moral édifiant, le huitième film du réalisateur pourrait bien être cette perle rare d’une épopée universelle, dont la maestria sans prétention superflue de la narration et le traitement particulièrement adroit et peu opportuniste d’un sujet dans l’air du temps lui garantissent une adhésion pratiquement illimitée de notre part, contrairement à notre propre compte Facebook qui ne pourrait pas nous indifférer davantage.

Vu le 28 septembre 2010, au Publicis Cinémas, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: