Des hommes et des dieux

Des hommes et des dieux
Titre original:Des hommes et des dieux
Réalisateur:Xavier Beauvois
Sortie:Cinéma
Durée:122 minutes
Date:08 septembre 2010
Note:
En octobre 1993, le Groupe islamiste armé ordonne à tous les étrangers de quitter l’Algérie. Les huit moines cisterciens-trappistes qui vivent au monastère de l’Atlas ne comptent pas céder sous la pression. Dirigés par le frère Christian, ils décident de rester ou tout au moins de réfléchir sur la marche à suivre. Lorsque les assassinats perpétrés par des terroristes islamistes se multiplient dans la région et que même les autorités incitent les moines à partir, ceux-ci doivent se demander où se trouve leur place dans ce monde, quitte à périr en tant que martyrs.

Critique de Tootpadu

Par les temps qui courent, il paraît si facile de se laisser abattre et d’adhérer au cynisme qui est devenu la norme, depuis que l’actualité marquée par la crise économique, l’agonie de l’environnement, la menace diffuse du terrorisme, et la perte galopante des repères sociaux sape dès le départ la moindre renaissance d’un espoir sincère. Notre époque prétendument éclairée n’est certainement pas une terre fertile pour une foi profonde, d’autant moins que les scandales qui ébranlent depuis des années l’église catholique et la représentation tendancieuse de l’islam dans les médias n’invitent guère à se tourner vers ces religions établies. Le cinquième film de Xavier Beauvois, récompensé par le Grand prix au dernier festival de Cannes, se dresse avec une détermination majestueuse contre cette résignation omniprésente, en portant à bras le corps une histoire qu’on aurait tort de discréditer comme un acte de naïveté de la part de quelques illuminés fanatiques. Le doute sur le bien-fondé de la décision des moines de rester résonne en sourdine tout au long de Des hommes et des dieux, sans que ce point de vue possible, voire légitime, ne diminue le courage et l’accomplissement en termes humanitaires et spirituels de ces résistants à l’intimidation par les armes.
Contrairement à Selon Matthieu, qui avait beaucoup de mal à traduire ses préoccupations religieuses dans un contexte des plus mondains, le réalisateur Xavier Beauvois ne cherche pas à contourner la dimension spirituelle de son histoire. Il en tire au contraire un film profond et beau, qui n’a rien d’une publicité pour les ordres. Aussi pieux et proches de Dieu les moines se croient-ils, ils ne sont pas moins en proie au doute et à la tentation de tout lâcher pour sauver leur peau. L’imperfection de l’homme doit alors faire face à une autre, encore plus méprisable, celle de la violence aveugle inspirée par la haine. Pris au piège entre les fronts – des terroristes qui se servent d’eux pour soigner leurs blessés et des autorités qui les soupçonnent d’aider l’ennemi –, les ecclésiastiques n’ont d’autre choix que de s’en remettre à leur Seigneur, s’ils ne veulent pas perdre la face ou trahir la vocation pacifique, mais néanmoins engagée, de leur congrégation.
La certitude qu’ils gagnent au fur et à mesure que l’étau se resserre autour d’eux, ce calme spirituel qui borde à un courage surhumain, la mise en scène magistrale n’en fait point le pamphlet d’un zélateur. Puisque la fin de cette cellule d’espoir et de sérénité est a priori connu d’avance – même si les circonstances exactes de la disparition de sept moines doivent encore être élucidées –, le récit peut se concentrer pleinement sur l’effet que ce dénouement inéluctable produit chez chacun des frères. La prémonition d’une mort atroce, à laquelle la seule issue paraît être la fuite, inspire en effet un dilemme existentiel à Christian, Luc, Christophe, et les autres, auquel aucune réponse facile ne peut être donnée. Et quand le dernier glas sonne pour ces gladiateurs de Dieu sans la moindre prétention, ils auront déjà raffermi leur lien à travers une formidable séquence de cène, entre le rire et les larmes, sublimée encore par l’emploi judicieux du « Lac des cygnes » de Tchaïkovski. A travers elle, Xavier Beauvois a atteint définitivement le niveau d’un Carl Theodor Dreyer, comme chroniqueur suprême de la misère de la condition humaine, qui est pourtant capable de sursauts de noblesse et de courage. Sauf que ceux des moines du monastère de Tibhirine laissent un arrière-goût de gâchis, ce qui rend le propos de ce film encore plus riche et à la fois porteur d’espoir et de doutes.

Vu le 3 septembre 2010, au Cinéma du Panthéon
Revu le 28 décembre 2010, au Lichtwerk, Salle 2, Bielefeld, Allemagne, en version allemande

Note de Tootpadu: