
Titre original: | Forêt d'émeraude (La) |
Réalisateur: | John Boorman |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 114 minutes |
Date: | 26 juin 1985 |
Note: | |
L’ingénieur américain Bill Markham s’installe avec sa famille au Brésil, afin d’y participer à la construction d’un barrage. Lors de la visite du chantier en pleine forêt amazonienne, son fils Tommy est enlevé par les indiens de la tribu invisible. Pendant dix ans, Bill parcourt la jungle dans tous les sens à la recherche de son fils disparu, en vain. Alors que le barrage est sur le point d’être accompli, Bill s’engage en compagnie du journaliste Uwe Werner dans un dernier voyage aux régions les plus reculées de la forêt, où il existe encore des tribus qui n’ont jamais été en contact avec la civilisation occidentale.
Critique de Tootpadu
Il y a un quart de siècle, le monde n’était déjà plus entier. Mais il persistait l’espoir, aussi idéaliste et infime soit-il, que des films engagés étaient en mesure de sauver les peuples indigènes de la forêt amazonienne d’une disparition certaine, causée par l’appât du gain et la destruction massive de leur habitat naturel. Depuis, ces minorités ethniques peuvent au mieux compter sur Jan Kounen et ses incursions dans leurs délires psychédéliques pour défendre leurs droits constamment bafoués sur le terrain cinématographique, alors que l’opinion publique mondiale préfère jouer au nombrilisme, alertée par les conséquences plus près de chez nous de la déforestation dans le contexte du réchauffement climatique. Dans les années 1980 cependant, la découverte de l’autre, sans les préjugés colportés pendant l’âge colonial et ses répercussions tardives, comme la guerre du Vietnam, était suffisamment à la mode pour permettre à un réalisateur chevronné comme John Boorman de faire une escale supplémentaire en terre sauvage, à mi-chemin entre Duel dans le Pacifique et Rangoon.
La Forêt d’émeraude reste en effet agréablement fidèle aux préoccupations majeures du réalisateur, depuis toujours un humaniste convaincu qui ne fait guère dans le prosélytisme. A partir d’une prémisse pas sans points communs avec La Prisonnière du désert de John Ford, avec sa quête d’un enfant innocent enlevé et probablement perverti au fil du temps par les mœurs des barbares, il permet une plongée instructive dans le monde des tribus indigènes de l’Amazonie. Le respect dont la narration fait preuve à chaque instant à l’égard du style de vie de la nouvelle famille de Tommy a presque tendance à exagérer dans une tonalité précocement politiquement correcte, en incluant le moindre rite ancestral de ce peuple proche de la nature. Toutefois, autant le scénario peut s’apparenter par moments à une encyclopédie ludique sur une culture en voie de disparition, autant il se passe avec une sobriété hautement recommandable du ton condescendant qui avait caractérisé les aventures exotiques des décennies antérieures. L’intrusion du père dans l’environnement pour l’instant préservé des indiens ne s’accompagne pas ici d’un grand discours en faveur des bienfaits de la civilisation américaine. Les lacunes de chaque univers sont plutôt soulevées sans pathos et sans que la mise en scène ne prenne passionnément parti pour l’un ou pour l’autre.
Dommage alors que l’approche lucide de John Boorman se heurte parfois à des maladresses narratives, à quelques symboles un peu trop mis en avant, comme l’aigle, et à un revirement final qui relève de l’utopie, en contradiction consternante avec le réalisme et la sobriété qui lui ont précédé. Visuellement impressionnant, surtout grâce à la photographie majestueuse de Philippe Rousselot, son film peine à convaincre chaque fois que le mot écrit prend le dessus sur la pureté de l’image. Ainsi, la transition pour amorcer l’ellipse initiale des dix ans est au moins aussi lourde et maladroite que les informations fournies à la fin, qui superposent hélas un cachet moralisateur à l’élan plus naturellement idéaliste du reste de ce beau film sur la perdition prémonitoire d’un paradis terrestre.
Vu le 31 octobre 2010, au MK2 Quai de Loire, Salle 6, en VO
Note de Tootpadu: