Année bissextile

Année bissextile
Titre original:Année bissextile
Réalisateur:Michael Rowe
Sortie:Cinéma
Durée:92 minutes
Date:16 juin 2010
Note:
Exilée de la région rurale d'Oaxaca, Laura habite seule à Mexico. Elle travaille chez elle en tant que journaliste pour un magazine d'économie. Elle assouvit tant bien que mal ses besoins sexuels en invitant des inconnus pour des rapports sans lendemain, ou en se masturbant tout en observant un couple voisin. Le mois de février est particulièrement éprouvant pour Laura, puisque ce sera le quatrième anniversaire de la mort de son père le 29. Quelques semaines auparavant, elle rencontre Arturo, un homme aux pratiques sexuelles violentes, mais qui fait preuve d'une certaine affection à son égard.

Critique de Tootpadu

Tout le poids de la solitude urbaine pèse sans le moindre ménagement sur ce premier film mexicain. L'existence déprimante du personnage principal y est montrée dans ce qu'elle a de plus désespérant et sans qu'un éventuel sursaut de volonté de vivre n'atténue la déchéance morale et sociale dans laquelle Laura végète. Son isolation dans cette métropole, dont on ne voit, ni n'entend rien, est encore accentuée par cette concentration spatiale sur son appartement sans charme. Elle mène la vie typique d'un célibataire solitaire dans les grandes villes : sans attaches sociales notables et constamment en quête de la personne capable de l'arracher à la misère des plateaux repas ingurgités devant la télévision. Pour ne pas reconnaître la pauvreté de sa vie sociale devant les quelques personnes avec lesquelles elle reste néanmoins en contact, surtout de son cercle familial et professionnel, Laura a en plus systématiquement recours au mensonge, à travers lequel elle s'invente des rapports de voisinage étroits et un ami homo qui lui confierait toutes ses aventures.
L'économie des moyens avec laquelle le réalisateur d'origine australienne Michael Rowe conte la déroute de cette femme en pleine détresse émotionnelle nous laisse plus supposer la nature factice de sa vie sociale qu'elle nous la montre explicitement. Mais justement parce qu'il n'y a rien à montrer et que Laura ment visiblement à son patron en prétextant un long voyage en Suisse pour ne pas devoir retourner travailler, il est évident que la honte d'une vie aride lui pèse assez pour s'appuyer sans aucun scrupule sur le mensonge. La mythomanie est devenue pour elle une philosophie de vie, d'un pour cacher sa vulnérabilité aux personnes de son entourage qui ne se préoccupent pas réellement de son sort, et de deux pour ne pas inquiéter les rares individus qui lui importent, comme son petit frère toujours sous l'emprise de l'ordre social provincial, autrement plus contraignant que l'anonymat citadin. En même temps, cette imperfection majeure du caractère de Laura, qui n'est mise en avant que dans les films suffisamment courageux et contestataires pour regarder les défauts de la nature humaine en face, la rend indirectement encore plus attachante. Tel une Bridget Jones mexicaine, Laura et son désarroi sentimental sont les symptômes manifestes d'un malaise social profond, vécu au jour le jour par une population déracinée qui est en panne d'une raison d'être dans la grisaille affective des grandes villes.
Pour Laura, son anesthésique paraît d'abord être le sexe. Un sexe cru et aussi glauque que son quotidien cloîtré chez elle, où ses partenaires ne se soucient guère de sa propre prise de plaisir, avant de la quitter discrètement au petit matin, ou pire encore, de lui infliger une conversation téléphonique avec une autre femme, qui, elle, aura droit à l'affection dont Laura ne peut que rêver. Sa rencontre avec Arturo change la mise, puisque ce dernier la maltraite autant physiquement, inventant des jeux érotiques de plus en plus pervers, qu'il s'intéresse tant soit peu à la personne derrière le corps sur lequel il pisse ou en dessous des seins qu'il brûle avec un mégot. Cette relation n'est certes pas le genre de romance pour laquelle Laura lit le manuel ses soirs les plus solitaires. Mais elle lui permet d'envisager une issue fulgurante à cette existence terne et sans la moindre valeur compensatrice. Sauf que cet acte désespéré, qui fonctionne très bien en tant que fantasme mais qui demande un degré d'abnégation qui dépasse apparemment l'amant sadiste Arturo, tourne à un drame encore plus cruel : la condamnation à un mois de plus d'une vie qui ne peut se solder que par un suicide plus ou moins assumé.
Décrit ainsi, Année bissextile donne l'impression d'être le genre de film après lequel chaque spectateur à peu près réceptif d'un point de vue émotionnel ne voudrait que se tirer une balle le plus vite possible. Pourtant, la mise en scène sans fard de Michael Rowe et les interprétations à fleur de peau de Monica Del Carmen et Gustavo Sanchez Parra réussissent à prendre toute la mesure de ce drame urbain éprouvant et accablant, mais nullement condescendant ou gratuitement voyeuriste.

Vu le 3 mai 2010, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: