
Titre original: | White material |
Réalisateur: | Claire Denis |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 106 minutes |
Date: | 24 mars 2010 |
Note: | |
Dans un pays africain en proie à la guerre civile, Maria Vial cherche par tous les moyens à mener à terme la récolte sur sa plantation de café. Alors que les rebelles, menés par le Boxeur, s'emparent progressivement du pouvoir et diffusent à la radio des messages contre le pouvoir en place et les propriétaires blancs, Maria ne se laisse pas décourager par la dégradation irréversible de sa condition de vie. Son mari André s'est arrangé avec le maire corrompu du village pour organiser sa fuite, et son fils Manuel profite de l'instabilité de la situation pour passer de l'avachissement à la folie guerrière. Mais Maria prétend ne pas voir les signes annonciateurs d'un bain de sang inévitable.
Critique de Tootpadu
Plus de vingt ans après son premier film Chocolat, la réalisatrice Claire Denis retourne en Afrique. Son regard n'est plus le même, puisque les quelques sursauts d'admiration, voire de séduction, à l'égard du continent noir et de ses habitants, qui avaient rendu ses débuts derrière la caméra si prometteurs, ont laissé la place ici à une noirceur assumée. Dans cette ode crépusculaire, la frénésie contre toute raison et la décomposition physique et sociale priment là où il restait auparavant au moins une étincelle d'espoir. La compréhension de leur pays d'adoption de la part des fermiers blancs n'était guère plus lucide dans le film de 1988. Mais au moins leur ouverture d'esprit ne se bornait pas au maintien illusoire d'un statu quo économique. Elle se nourissait en partie d'un regard lascif sur le corps nu d'Isaach De Bankolé sous la douche, cette même silhouette qui est dès lors gangrenée par une balle logée dans les intestins et par conséquent condamnée à l'immobilité dans une position horizontale, en attendant sa fin inéluctable.
En effet, il n'y a plus rien de séduisant à contempler dans White material, qui s'adonne plutôt à une sublimation de la décadence et de tout ce que le colonialisme a pu produire de plus répugnant. L'entêtement du personnage principal, une femme distante et cruelle à laquelle les traits fatigués d'Isabelle Huppert vont à la perfection, est ainsi au moins aussi antipathique que le physique ramolli et tatoué de son fils, que Nicolas Duvauchelle, dans un énième rôle de méchant sans charme, n'hésite pas d'exposer. Toutefois, Claire Denis inscrit cet agacement dans une démarche poétique et polémique, qui ne cherche nullement à perpétuer les mythes avec lesquels les anciens occupants tentaient de se rassurer sur la pagaille généralisée qu'ils ont laissée derrière eux. L'antagonisme entre le propriétaire blanc, décrit comme oisif et quelque peu maniaque dans son empressement de continuer à faire tourner la machine qui l'a gardé en haut de la pyramide sociale, et la population noire, largement ignorante, exploitée et en proie à une violence gratuite et sans remords, y est même exacerbé au point d'imprégner le ton du film d'un pessimisme accablant. Inutile de chercher la moindre noblesse dans l'action des un et des autres, puisque chacun des personnages se démène dans le cercle vicieux du sauvetage de sa propre peau en temps de crise.
Le peu que nous connaissons de l'oeuvre de Claire Denis, nous laisse affirmer que le but de ses films n'a jamais été de conforter le spectateur dans ses croyances ou ses habitudes de visionnage d'un film. Au contraire, elle s'emploie à bousculer ces acquis paresseux pour nous prendre au dépourvu, en termes narratifs, et pour déclencher une réflexion jamais inintéressante sur le monde dans lequel nous vivons. Son style personnel s'articule ici sous forme d'une structure scénaristique assez libre, qui consiste en un long retour en arrière à partir du saccage de la ferme. Les différents éléments de l'intrigue sont dévoilés avec parcimonie. Comme à son habitude, la réalisatrice préfère indiquer subtilement, au lieu d'épeler bêtement les rapports troubles qui minent la vie sur la plantation, bien longtemps avant que les factions engagées dans une guerre civile sans ligne de front ne s'en emparent.
Il en résulte un film envoûtant, dont la beauté ne découle ni de la célébration des bienfaits de l'exploitation du continent africain par les Blancs, qui en est complètement absente, mais qui avait fait les beaux jours du cinéma post-colonial sujet à une nostalgie dangereusement subjective, ni d'un enivrement visuel motivé par la beauté plastique des décors naturels. Claire Denis atteint haut la main un objectif infiniment plus délicat et précieux : réaliser un film fascinant, en dépit de la dureté de son ton, qui assiste sans ménagement aux chocs répétitifs entre deux cultures, que tout oppose et qui ne sont nullement prêtes à dialoguer, et encore moins à cohabiter, sans que l'inégalité ne les pousse à se dévorer mutuellement. La dernière séquence du film est dans ce contexte emblématique - et aussi passablement énigmatique - d'un discours désemparé sur la haine de l'autre et plus précisément la haine de soi, qui tranche vigoureusement avec l'illusion d'un possible monde meilleur que véhicule, film après film, un cinéma moins exigeant et intransigeant que celui de Claire Denis.
Vu le 26 avril 2010, au Cinéma du Panthéon
Note de Tootpadu: