Gainsbourg [Vie héroïque]

Gainsbourg [Vie héroïque]
Titre original:Gainsbourg [Vie héroïque]
Réalisateur:Joann Sfar
Sortie:Cinéma
Durée:134 minutes
Date:20 janvier 2010
Note:
Le jeune Lucien Ginsberg n'en fait qu'à sa tête : il est le premier à réclamer son étoile jaune pendant la guerre; il n'aime pas apprendre le piano pour ne pas ressembler à son père; et au lieu d'étudier les natures mortes, il se sert de ses études artistiques pour peindre des femmes nues dans des positions compromettantes, pour le plus grand bonheur de ses camarades de classe à l'internat. C'est que l'homme qui deviendra plus tard le célèbre artiste Serge Gainsbourg, compositeur inspiré et chanteur excentrique, se fie à une voix intérieure, qui lui dicte sa conduite imprévisible.

Critique de Tootpadu

Dans la mémoire collective française, Serge Gainsbourg détient au moins une place aussi légendaire et intouchable qu'Edith Piaf. S'attaquer à sa biographie filmique relevait par conséquent d'un pari téméraire, à la fois d'un point de vue artistique et économique. Malgré le succès en France et à l'étranger de La Môme, le film d'Olivier Dahan montrait bien à quel point le risque était élevé de tomber dans le piège d'un colportage banal, calqué sur le modèle américain, qui présente invariablement les stations importantes de la vie d'une personnalité, avant de culminer avec emphase sur la déchéance ou la renaissance de l'homme ou de la femme en question. Pour son premier film, le réalisateur Joann Sfar a su éviter avec adresse les écueils inévitables d'une telle démarche, bêtement tributaire de la chronique, voire de l'hagiographie. Son film atypique n'est certes pas à l'abri d'un fourvoiement artistique au moins aussi douteux. Mais le regard décalé qu'il jette sur la vie d'une icône de la musique et de la culture françaises a le mérite d'ouvrir des horizons d'appréciation si abstraits, qu'il ne viendrait jamais à l'esprit d'une biographie filmique conventionnelle de les envisager sérieusement.
Gainsbourg (Vie héroïque) est un drôle de mélange entre une forme visiblement inspirée de la bande dessinée et un fond qui laisse libre cours aux fabulations du personnage titre. Le but du film n'est guère de nous ressasser les faits marquants de la vie de Serge Gainsbourg, à la manière d'un manuel scolaire. Ses muses féminines, Juliette Gréco, Brigitte Bardot, et Jane Birkin, font bien entendu des apparitions plus ou moins mémorables. Et sa rencontre improbable avec France Gall est surtout révélatrice des rapports de l'artiste avec l'argent et la musique populaire. Dans l'ensemble, l'approche de Joann Sfar est cependant plus intimiste et axée sur cette sorte de monologue intérieur de Gainsbourg, symbolisé par la Gueule, un alter ego imaginaire qui peut être ou bénéfique, ou encombrant.
La même chose vaut pour la narration, qui se montre simultanément fascinante et déroutante. Il devient en effet de plus en plus difficile de cerner qui est réellement Serge Gainsbourg et où le réalisateur veut en venir avec sa fantaisie onirique. Mais puisque Joann Sfar revendique explicitement à la fin du film ce parti pris en faveur du rêve, de la subjectivité, et même du mensonge, nous serions mal avisés de nous offusquer des libertés qu'il prend en long et en large. A la limite, son style volontairement, et parfois lourdement, poétique convient plus à un artiste de l'envergure de Serge Gainsbourg, inclassable et en fin de compte unique, qu'une narration plus sobre et factuelle.
Enfin, les interprétations remarquables s'impliquent entièrement dans ce projet osé. Sur fond d'un Eric Elmosnino blasé et à l'aura impénétrable, une galerie de comédiennes se succède dans des petites vignettes enjouées, qui ne permettent qu'à la fin du film de commencer à comprendre la volonté du réalisateur et l'essence de l'artiste et de l'homme Gainsbourg. En fait, nous ne sommes même pas sûrs d'en avoir appris quelque chose de concret sur lui à travers ce film. En tant qu'allégorie passionnante et hors des sentiers battus d'un genre généralement ennuyeux, Gainsbourg (Vie héroïque) vaut néanmoins le détour.

Vu le 17 mars 2010, au Racine Odéon

Note de Tootpadu: