Nénette

Nénette
Titre original:Nénette
Réalisateur:Nicolas Philibert
Sortie:Cinéma
Durée:69 minutes
Date:31 mars 2010
Note:
L'orang-outan Nénette est arrivée à la Ménagerie du Jardin des Plantes en 1972, à l'âge d'environ trois ans. Depuis, elle a vu défiler des millions de visiteurs devant la vitre de sa cage. Elle a connu trois mâles avec lesquels elle a eu quatre petits. A désormais quarante ans, elle a dépassé de loin l'espérance de vie de son espèce en milieu naturel. Cette vieille dame demeure une des attractions principales de la Ménagerie. Elle intrigue les élèves des classes scolaires qui viennent la voir, elle inspire les artistes, et elle est le témoin tenace d'une vie en captivité.

Critique de Tootpadu

Comment pourrait-on bien remplir un long-métrage qui ne traite que d'une femelle ourang-outan, une espèce de singe dépourvue à la fois du talent comique des chimpanzés et de l'air menaçant des gorilles ? Leur oisiveté et leur lenteur pensive ont valu jusqu'à présent aux ourangs-outans que des emplois filmiques dérisoires, dans les deux films comiques avec Clint Eastwood, Doux, dur et dingue de James Fargo et Ca va cogner de Buddy Van Horn, ou bien à travers le jeu maladroit de Paul Giamatti dans La Planète des singes de Tim Burton. Le réalisateur Nicolas Philibert lui-même ne voyait initialement dans l'histoire de Nénette que de la matière susceptible d'alimenter un court-métrage. Pourtant, pour une héroïne immobile et muette, dont seuls les yeux fatigués laissent deviner tout ce qui se trame à l'intérieur de l'animal, Nénette exerce une force de fascination indiscutable sur le spectateur.
En dissociant systématiquement les commentaires des badauds sur la bande son du quotidien routinier à l'image, le réalisateur a trouvé la formule magique pour faire fonctionner son documentaire. On ne voit que Nénette et ses compagnons à l'intérieur de la cage. Tout comme la parole désincarnée, puisque dépouillée du reflet de son énonciateur, ne se refère qu'à la condition de vie de l'animal prisonnier. L'échange symbolique, qui s'opère grâce à ce dispositif maintenu sans exception, consititue le fondement inestimable à la poésie filmique de Nénette. Car même s'il ne se passe pratiquement rien en termes d'action ou d'intrigue, la caméra sait capter une multitude d'images qui rendent subtilement compte du semblant de vacuité et d'ennui dans l'existence quotidienne des orangs-outans au parc zoologique de Paris.
Nicolas Philibert se garde cependant de nous soumettre un pamphlet bêtement polémique contre la captivité d'animaux sauvages. Son discours est bien plus délicat et lucide que cela, puisqu'il se contente de nous renvoyer malicieusement un reflet à peine déformé de nous-mêmes. L'interprétation et le jugement de la vie monotone de Nénette se déroulent simultanément sur deux niveaux : d'abord à travers la présence visuelle d'une créature apparemment blasée qui a quelques traits en commun avec l'homme, et ensuite à travers le commentaire plutôt anecdotique de ce dernier, qui en dit plus long sur notre rapport avec l'autre, dont la physionomie nous trouble et dont les gestes presque humains nous émeuvent, que tous les plans de barreaux et de vitres épaisses réunis.
Le documentaire se clot sur les remarques du comédien Pierre Meunier, investies d'une lucidité mélancolique sur la condition de cet animal majestueux et misérable qui résume parfaitement le ton ambigu du film. Au carrefour entre une démarche pédagogique sur l'espèce simienne et un regard plus intimiste et dubitatif sur la nature humaine, Nénette est une curiosité cinématographique, qui ne paie pas de mine en apparence, mais qui sait nous surprendre par la grâce et la sincérité enjouée de son propos.

Vu le 5 mars 2010, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: