Canonnière du Yang-Tse (La)

Canonnière du Yang-Tse (La)
Titre original:Canonnière du Yang-Tse (La)
Réalisateur:Robert Wise
Sortie:Cinéma
Durée:182 minutes
Date:22 mars 1967
Note:
En 1926 en Chine, le machiniste Jake Holman embarque sur la canonnière américaine San Pablo. Un technicien hors pair, mais dépourvu d'ambition, Holman avait choisi ce bateau secondaire, dans l'espoir d'y être son propre chef. Une fois à bord, il doit toutefois se rendre compte que l'organisation du travail repose largement sur les coolies chinois, qui effectuent la plupart des tâches d'entretien. L'opposition de Holman au style du capitaine Collins passe cependant à l'arrière-plan, quand la tension internationale oblige la San Pablo de défendre une fois de plus les intérêts américains dans la région. Les grondements d'une guerre civile imminente mettent et la sécurité des missionnaires américains, et l'amour du soldat Frenchy pour la prostitué indigène Maily en danger.

Critique de Tootpadu

Même si ses créateurs l'ont toujours réfuté, cette épopée de guerre majestueuse entretient une analogie troublante avec le conflit vietnamien, qui avait tout doucement commencé à saper le moral des troupes et l'opinion publique américaines, au moment de sa sortie. Le portrait subtil des rapports entre l'envahisseur américain et les sursauts d'autonomie du peuple chinois n'est néanmoins pas le seul point sur lequel La Canonnière du Yang-Tse remplit brillamment son rôle de précurseur. En plus, son protagoniste appartient à cette génération précoce d'anti-héros, personnifiée autant par Paul Newman dans Luke la main froide de Stuart Rosenberg ou Le Plus sauvage d'entre tous de Martin Ritt que par Steve McQueen, qui allait préparer le terrain pour la vague contestataire et iconoclaste de la décennie suivante. Par dessus ces deux qualités indéniables, le réalisateur Robert Wise accomplit l'exploit, hélas passé de mode, de concocter un récit prenant, à la fois riche en exploits héroïques et en moments plus intimistes, qui permet aux personnages secondaires de se développer d'une manière organique.
Il est en effet étonnant de constater, à quel point le scénario excellent de Robert Anderson évite toute prise de position simpliste. Plutôt que de trancher en faveur des pacifistes naïfs ou des puissances belligérantes, l'histoire souligne l'absurdité et la cruauté de la guerre sous tous ses aspects. Le patriotisme américain est ainsi autant mis en question, notamment par la fixation du capitaine sur le drapeau national, qui flotte au moment le plus embarrassant dans un épais nuage d'opium, que le fanatisme parfois barbare des Chinois. Ceux-ci ont le privilège relatif d'être représentés ici comme un peuple étranger qu'il faut éduquer, ce qui représente malgré tout une évolution positive en comparaison avec leur fonction révoltante comme chair à canons dans des films aussi tendancieux que Les Bérets verts de John Wayne. La philosophie de ce film-ci est sensiblement plus ambiguë, puisqu'avec toute la bonne volonté du monde et en dépit des meilleures stratégies militaires, la violence gratuite aura toujours le dernier mot.
Ce verdict est d'autant plus accablant, que Jake Holman est tout sauf un héros belliqueux. Sa façon de rester en retrait et de vouloir résoudre tout problème qui se présente à lui en demeurant passivement neutre pourrait ainsi être comprise comme un exemple au rabais pour les nombreux objecteurs de conscience, qui avaient déchargé toute leur agressivité dans la rue, lors des manifestations contre la guerre en Vietnam. Le raffinement des convictions de Holman ne devient apparent qu'au fil des épreuves, qui l'obligent à prendre partie pour des causes qui sont rarement les siennes. A peine plus net moralement parlant que son supérieur Collins, qui est aveuglé par une conception archaïque de sa fonction, Holman se trouve presque malgré lui dans une série de mauvaises passes. Dans une structure dramatique classique, ces contretemps le pousseraient à se dépasser et à devenir un héros sans reproche. Pour notre plus grand bonheur, ce film ne veut rien entendre de ce charabia édifiant. Son propos est infiniment plus lucide, quant aux conséquences néfastes de l'ingérence américaine dans toutes sortes d'affaires étrangères.
Tout en étant subtilement subversif, La Canonnière du Yang-Tse réussit à faire honneur au meilleur de la cinématographie américaine. Jamais un cinéaste visionnaire, Robert Wise confirme une fois de plus avec ce film son statut de roi des artisans humanistes de Hollywood. Sa capacité de ne jamais perdre de vue l'immense arc narratif du récit, qu'il émaille de morceaux de bravoure impossibles à compter, garantit au film un rythme pratiquement parfait, malgré ou peut-être justement à cause de sa durée imposante.

Vu le 14 janvier 2010, au Grand Action, Salle Henri Ginet, en VO

Note de Tootpadu: