Etranger (L')

Etranger (L')
Titre original:Etranger (L')
Réalisateur:Luchino Visconti
Sortie:Cinéma
Durée:104 minutes
Date:11 novembre 2009
Note:
Alger, 1935. La mère d'Arthur Meursault est décédée dans l'hospice où son fils l'avait placée quelques années plus tôt. Présent à l'enterrement, Meursault, un employé modeste, reste indifférent au deuil et au chagrin qui l'entoure. Le lendemain, il croise par hasard Marie Cardona, une ancienne collègue, au bord de la mer et commence une relation avec elle. En même temps, son voisin à la réputation douteuse Raymond le sollicite pour écrire une lettre de menace à l'égard de sa maîtresse arabe, dont il a du mal à se défaire. Quelques jours plus tard, au cours d'un séjour à la campagne, Meursault tue le frère de la maîtresse, qui avait harcelé avec insistance son ami Raymond. Arrêté et accusé de meurtre, Meursault se voit surtout reproché son indifférence totale comme circonstance aggravante de son crime.

Critique de Tootpadu

Nos souvenirs de cette adaptation du roman d'Albert Camus par Luchino Visconti, sortie d'abord en 1967, sont forcément influencés par le cadre scolaire dans lequel nous avions étudié et le livre, et le film, il y a plus de quinze ans. L'âge adolescente et les exigences étouffantes du travail en classe aidant, le destin de Meursault ne nous avait inspiré à l'époque que le genre d'indifférence par laquelle se démarque cette chiffe molle d'un homme, à qui rien n'importe. La ressortie dans une copie magnifique de ce film plutôt méconnu de Luchino Visconti nous a permis de réévaluer notre appréciation initiale mesurée.
Après avoir vécu pratiquement deux fois plus longtemps qu'après notre première rencontre avec L'Etranger, nous sommes désormais capables d'établir des parallèles plus parlantes entre ce film et notre propre expérience de vie. Tandis que le personnage de Meursault nous paraissait peu engageant depuis le point de vue assez naïf du jeunot que nous étions, sa dimension désabusée nous paraît infiniment plus compréhensible à ce point de notre vie, où les chimères de nos débuts ont laissé la place à un quotidien avant tout confortable. Nous ne ressemblons heureusement pas encore tout à fait à Meursault. Mais notre philosophie de vie réfléchie et plutôt cynique nous prédestine sans doute à un recouvrement d'identités encore plus grand, lorsque nos chemins se recroiseront peut-être un jour prochain. Rien que par son portrait presque trop crédible d'un homme désillusionné et émotionnellement froid, qui se croit déjà revenu de tout, cette adaptation littéraire nous aurait subjugués.
Mais le réalisateur Luchino Visconti sait se réapproprier encore davantage l'oeuvre remarquable de Camus. Il y opère une étude fascinante sur la subjectivité, en nous présentant pendant la première moitié du film la version de Meursault, et en en opérant une relecture à peine plus objective au cours du procès qui s'ensuit. L'un comme l'un, ces récits ne contiennent pas plus de vérité que les différents témoignages dans Rashomon d'Akira Kurosawa. Mais ils ouvrent l'abîme béant de tout ce qui est admissible ou qui ne l'est pas, selon le point de vue dans ce cirque tragique que l'on appelle communément la civilisation humaine. Car malgré la photographie splendide de Giuseppe Rotunno et la mise en scène magistrale de Luchino Visconti, nous serions tentés de donner raison au jeu parfaitement mélancolique de l'immense Marcello Mastroianni, qui semble avoir parfaitement compris l'essence nihiliste de son personnage tristement emblématique.

Revu le 12 octobre 2009, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: