
Titre original: | Irène |
Réalisateur: | Alain Cavalier |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 85 minutes |
Date: | 28 octobre 2009 |
Note: | |
Profondément attristé par la disparition de sa mère Germaine, le réalisateur Alain Cavalier se replonge dans les cahiers de son journal intime, qui couvrent les années 1970 à '72. Cette époque coïncide avec la mort accidentelle de sa femme Irène, en janvier '72. A travers la relecture de ses pensées d'antan, et en revisitant les lieux clefs de sa relation sentimentale, le cinéaste s'interroge sur la femme de sa vie, qu'il aimait tant et qui doutait tellement d'elle-même.
Critique de Tootpadu
Le réalisateur Alain Cavalier continue sur la voie de l'introspection sous forme de monologue nostalgique, avec ce documentaire présenté cette année à Cannes, dans la section Un certain regard. Comme ce fut déjà le cas il y a quatre ans, dans le sensiblement plus accessible Le Filmeur, Cavalier braque la caméra sur le monde qui l'entoure, depuis un point de vue immanquablement subjectif. Le sujet qu'il aborde cette fois-ci est cependant plus abstrait encore et plus personnel que dans son film précédent. Tandis que ce dernier était un enregistrement passionnant du temps qui passe, Irène cherche à raviver des souvenirs du passé et à aller à l'encontre de la faculté première de la mémoire humaine : l'oubli.
Les objets, les lieux et à plus forte raison les sentiments n'ont pas traversé indemnes l'épreuve du temps. Tout le projet du film - de ressusciter indirectement un être cher, voire crucial dans la vie d'un homme, rien qu'à partir des traces invisibles que cette personne a laissé - relève ainsi d'emblée de l'impossible. En tant que spectateur, nous ne pouvons jamais vraiment ressentir la présence d'Irène Tunc. Les longs monologues du veuf qu'elle a laissé derrière elle n'en donnent forcément qu'un aperçu, aussi partiel que ses rares photos qu'Alain Cavalier a gardées et qu'il ne montre que vers la fin de son film très contemplatif.
En dépit de son titre assez pragmatique, Irène ne s'arrête cependant pas à une nécrologie romantique de l'épouse tragiquement disparue du réalisateur. Celui-ci ouvre son regard aux autres femmes, ne serait-ce que pour mieux se convaincre à quel point l'amour de sa vie est irremplaçable. Du cadavre exposé de sa mère, aux rares prises de sa compagne actuelle, qui est néanmoins la seule à prendre la parole en dehors de la voix omniprésente du narrateur, en passant par une relation artistique fantasmée avec Sophie Marceau, Alain Cavalier nous dévoile cet aspect de sa vie intime sans fausse pudeur, ni sursaut désespéré d'un vieillard en manque d'excitation libidineuse. La sincérité avec laquelle il évoque son idéal féminin et sa lucidité sur la part d'ombre de celle qui s'en approchait le plus comptent indéniablement parmi les qualités de ce documentaire exigeant.
Enfin, ce n'est sans doute pas par hasard que nous avions déjà évoqué l'oeuvre d'Agnès Varda dans notre critique du film précédent du réalisateur. Comme la réalisatrice des Plages d'Agnès, Alain Cavalier est un filmeur infatigable, qui procède à une mise en abîme constante de sa propre image. L'emploi récurrent de la voix off, jamais avare en commentaires philosophiques, fortifie encore cette parenté formelle, qui pourrait nous faire croire qu'Alain Cavalier soit le pendant masculin de la veuve de Jacques Demy. Sauf qu'il existe un élément primordial, qui différencie l'oeuvre de ces deux cinéastes, et qui nous rend le style d'Agnès Varda clairement plus attrayant.
En effet, le regard subjectif d'Alain Cavalier ne fait guère d'efforts pour s'ouvrir aux autres. Comme nous l'avions mentionné plus haut, il n'y a point de place dans Irène pour une autre voix que la sienne et ses préoccupations portent essentiellement sur quelqu'un, qui ne peut plus lui voler la vedette. Là où l'humanité d'Agnès Varda naît justement de l'intérêt sincère et modeste qu'elle porte aux autres - le plus souvent des inconnus ou des amis dont l'attachement durable devient perceptible par quelques traits simples -, le regard d'Alain Cavalier reste beaucoup trop prisonnier d'une subjectivité, qui borde au narcissime. Aussi riche et profond le récit de son amour effacé par le temps soit-il, il dégage en même temps une lourdeur étouffante, que les nombreuses trouvailles visuelles n'arrivent guère à aérer. A peine âgée de trois ans de plus qu'Alain Cavalier, Agnès Varda dégage toujours un charme et une espièglerie frais à travers ses documentaires personnels, tandis que son confrère se complaît un peu trop dans des ruminations de vieillesse, auxquelles il manque l'envergure universelle, qui les rendrait réellement attachantes.
Vu le 28 septembre 2009, au Club 13
Note de Tootpadu: