36 vues du Pic Saint Loup

36 vues du Pic Saint Loup
Titre original:36 vues du Pic Saint Loup
Réalisateur:Jacques Rivette
Sortie:Cinéma
Durée:86 minutes
Date:09 septembre 2009
Note:
La voiture de Kate est tombé en panne sur une route peu fréquentée du sud de la France. Vittorio, un Italien qui passait par là dans son cabriolet, en chemin de Milan à Barcelone, réussit à la faire redémarrer. Au village le plus proche, Kate rejoint sa troupe de cirque, qu'elle avait retrouvée quelques jours auparavant suite à la mort de son père. L'ancienne artiste avait quitté le chapiteau quinze ans plus tôt, suite à la mort accidentelle de son compagnon Antoine. Vittorio assiste à la représentation du soir et suit pendant un certain temps la troupe des saltimbanques, dans l'espoir de réconcilier Kate avec son passé.

Critique de Tootpadu

En comparaison avec le reste de la filmographie de Jacques Rivette, sa dernière oeuvre, présentée en compétition au festival de Venise, ressemble presqu'à un court-métrage. Habitué aux durées épiques d'au moins deux heures, le maître incontestable du cinéma français se contente ici d'un bref conte poétique. Mais ce n'est pas pour autant que 36 vues du Pic Saint Loup serait moins tributaire de l'univers cher au réalisateur. Au contraire, il s'agit d'un condensé magnifique des thèmes et de l'esthétique rivettiens, dont l'expérience raccourcie élimine sans gêne le seul aspect peu commode de ses films fascinants.
A l'instar de la plupart de ses confrères issus de la Nouvelle Vague, Godard, Resnais, Rohmer, Chabrol, qui continuent de tourner en dépit de leur âge avancé, Jacques Rivette a forgé au fil des décennies son propre style, à la fois du point de vue du maniement du dispositif filmique et du genre de situation sur lequel il revient sans cesse. Ses films se démarquent de même par une tonalité hautement reconnaissable, soutenue principalement par des répliques et un jeu d'acteur qui tirent subtilement vers l'artifice. Jacques Rivette n'est pas un cinéaste porté sur le réalisme de la forme ou du fond. Il étudie davantage les rapports entre ses personnages et, surtout, les éléments qui constituent leur personnalité et ses particularités.
Ainsi, l'histoire du film a tout d'un interlude crépusculaire. Confrontée contre son gré à son passé, Kate sortira guérie ou au moins différemment traumatisée de ses retrouvailles avec le cirque, tandis que Vittorio aura en partie rempli son rôle de libérateur des complexes enfouis. Pour y parvenir, Jacques Rivette n'emploie point des facilités narratives. Il plonge plutôt corps et âme dans une suite de rencontres, entre Vittorio et les membres du cirque, qui dévoilent petit à petit les blessures sentimentales qui affectent Kate. La quête constante d'une poésie filmique à l'état pur ne prévoit alors guère de révélations tonitruantes. Il émane plutôt de ce beau film une douce musique enchanteresse, parfaitement équilibrée entre le rire parfois absurde et la mélancolie.
Les outils formels à l'oeuvre pour conférer ce ton si particulier relèvent à la fois de la subtilité (la progression du sketch des assiettes au fil des spectacles, jusqu'à l'aboutissement sur une conclusion improvisée, qui nous prive en fin de compte de la découverte de l'entrée en intégrale) et du dispositif théâtral revendiqué (les changements de lumière lors de l'altercation entre Alexandre et Wilfrid, les sorties successives du chapiteau des trois personnages vers la fin). Mais à chaque instant, Jacques Rivette maîtrise parfaitement son récit et fait de cette oeuvre de vieillesse nullement gâteuse une franche, quoique brève, réussite.
Enfin, profitons de ce film pour confesser notre admiration pour Jane Birkin, l'actrice, qui se fait hélas trop rare sur nos écrans. Sa fragilité et son spleen font une fois de plus bon ménage ici. Et même si la mise en scène n'invite point au rapprochement d'une telle évidence, il nous est impossible de ne pas penser à son compagnon de toujours, feu Serge Gainsbourg, au moment de son monologue de deuil au bord de l'arène.

Vu le 21 juillet 2009, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: