A bout de course

A bout de course
Titre original:A bout de course
Réalisateur:Sidney Lumet
Sortie:Cinéma
Durée:116 minutes
Date:22 avril 2009
Note:
En 1971, Arthur et Annie Pope ont commis un attentat contre un laboratoire qui fabriquait du napalm, pour protester contre la guerre du Viêt-nam. Depuis, ils sont en cavale avec leurs deux fils Danny et Harry, toujours sur le qui-vive, avec une longueur d'avance sur les agents fédéraux qui sont toujours à leurs trousses, même quinze ans après les faits. La famille vient de déménager à l'improviste dans une petite commune paisible du New Jersey. Danny prend des cours de musique au lycée et son talent brut de pianiste ne manque pas d'attirer l'attention de son professeur, monsieur Phillips. Pour sa part, Danny est plus intéressé par Lorna, la fille de ce dernier, à laquelle il n'ose pourtant pas révéler le secret de sa famille.

Critique de Tootpadu

Est-ce qu'il vaut mieux se réjouir de la ressortie, aussi discrète soit-elle, de ce film magnifique de Sidney Lumet ou au contraire, se lamenter de l'absence d'un tel chef-d'oeuvre de délicatesse dans la filmographie du réalisateur depuis, ce qui représente quand même vingt ans de films plus ou moins médiocres ? L'optimisme mesuré est sans doute de mise, ne serait-ce que pour refléter de manière adéquate le ton subtil et profondément touchant de cette histoire, qui fait de sa complexité émotionnelle une vertu. Qui sait, peut-être le vieux maître aux coups de génie aussi espacés qu'imprévisibles, nous sortira-t-il un chant de cygne de son chapeau, qui saura égaliser la brillance d'A bout de course, qui compte sans aucun doute parmi ses cinq meilleurs films ?
Toujours est-il que ce film combine à la perfection deux versants essentiels du drame : celui qui explore les conflits au sein d'une structure familiale, et celui qui suit un personnage adolescent à la recherche plus ou moins tortueuse de sa place dans un monde d'adultes. Le scénario magnifique de Naomi Foner, déjà à l'époque la mère de Jake et Maggie Gyllenhaal, traite de peurs existentielles très accessibles, qui sont encore magnifiées par l'état de précarité constante dans lequel se trouve la famille Pope. Leur vie à l'écart de la société, à l'évolution de laquelle ces idéalistes d'une époque révolue souhaiteraient tant participer, leur inflige une frustration indélébile, que seule la solidarité familiale peut atténuer. Ce groupe hermétiquement fermé au monde qui l'entoure, et qui dispense néanmoins une éducation particulièrement éclairée aux enfants, vit dans le dilemme du crime militant, dont les conséquences sont en fin de compte néfastes pour tous les participants. Une cavale permanente sans aucune sécurité matérielle ou émotionnelle, en échange d'une protestation qui devient rétrospectivement de plus en plus anecdotique, voire minable, c'est cher payer pour des idées qui vont à contre-courant de l'ordre établi et du pouvoir répressif.
En ce sens, A bout de course est le testament mélancolique d'une révolution déchue, le vestige poignant d'une idéologie qui n'a pas su s'imposer avec le temps - et qui ne le fera sans doute jamais en vue du cours qu'a pris le monde un quart de siècle plus tard -, mais qui a laissé ses traces, marquées d'anachronismes et de la tristesse qui émane de la prise de conscience d'une vie sans issue favorable. Les utopies des années 1970, ce film lucide en fait au mieux une base pour repartir vers de nouveaux horizons. Le passage du relais s'annonce difficile et la nouvelle génération manque parfois encore de cran pour assumer ses choix. Mais ces derniers se démarquent par une attitude réaliste et une volonté d'intégrer le système selon ses propres conditions, qui faisaient défaut aux parents. A moins que la démarche de Danny de s'inscrire à une université artistique d'élite n'équivaille à une capitulation devant la toute-puissance d'une vie, qui se plie aux exigences de la version étroite du rêve américain.
Pour notre plus grand plaisir, la mise en scène de Sidney Lumet et le scénario ne permettent toutefois pas des jugements hâtifs sur le passé trouble et la situation actuelle de la famille Pope. L'impact émotionnel le plus important du film provient de son jeu habile avec les nuances d'un quotidien, qui est vécu à l'arraché en dépit des apparences. Chaque séquence est sublimée par cette urgence d'être prêt à tout plaquer à la moindre suspicion. Des rencontres a priori banales, comme les retrouvailles d'Annie avec son père, revêtent ainsi une intensité émotionnelle difficilement soutenable, sous la menace imaginaire et pourtant palpable d'une arrestation. Le moindre geste décide alors de la pérennité de la famille et traduit en même temps le mensonge dans lequel elle vit jour après jour.
La sincérité des interprétations est à la hauteur de la complexité morale du scénario. Ce sont surtout Christine Lahti dans le rôle de la mère et River Phoenix dans celui du fils rebelle qui nous ont subjugués complètement. La séquence où Danny avoue la vérité à Lorna, peu importe les conséquences, est une des plus belles déclarations d'amour au cinéma. Tout comme les retrouvailles au piano entre la mère, qui se doute qu'elle ne pourra pas maintenir la famille intacte indéfiniment, et Danny, autour d'un morceau pour enfants par lequel a probablement commencé leur histoire commune de la passion pour la musique, condense admirablement leurs rapports affectifs et conflictuels, sans forcer le trait.

Revu le 3 avril 2009, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: