Titre original: | Famille Savage (La) |
Réalisateur: | Tamara Jenkins |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 114 minutes |
Date: | 20 février 2008 |
Note: | |
Dans la famille Savage, tout le monde vit de son côté, sans vraiment se préoccuper des autres. Le père Lenny est parti s'installer avec sa compagne Doris dans la ville modèle de Sun City, dans le désert de l'Arizona. Le fils Jon enseigne le théâtre de l'entre-deux-guerres allemand à l'université de Buffalo. Et la fille Wendy rêve toujours, à 39 ans, d'une carrière d'auteur de théâtre, alors qu'elle gagne sa vie en tant qu'intérimaire et que sa vie privée consiste en la partie de jambes en l'air occasionnelle avec un homme plus âgé et marié. Mais lorsque Lenny montre des signes de démence et que Doris meurt subitement, Wendy et Jon sont bien obligés de s'occuper de leur père vieillissant.
Critique de Tootpadu
Seuls les premiers plans de ce film montrent une image propre et idéalisée de l'Amérique. Dans la communauté préservée de Sun City, la vieillesse prend une apparence irréelle, telle une chimère aseptisée à l'échelle de la présence même de cette oasis de la volupté du troisième âge en plein coeur du désert. Le désenchantement est brutal et durable. Derrière les rideaux tirés par précaution de ces résidences parfaitement interchangeables dans leur perfection de l'impersonnel, la dépendance des gâteux prend des formes grotesques. Le vieux Lenny n'aura plus recours, par la suite, à des actes aussi aberrants que d'exprimer ses frustrations par le biais de dessins littéralement scatologiques. Mais ses derniers jours ne seront pas non plus une source de quiétude et de réconfort.
Le regard, que Tamara Jenkins porte dans son deuxième film sur les liens familiaux en général, et la gestion du départ progressif de la génération aînée en particulier, insiste en effet sur les traits de caractère peu reluisants de ses personnages. Il ne s'agit pas vraiment de misérabilisme ici, mais pour être réconforté sur la solidité de la solidarité familiale, il vaut mieux chercher un divertissement plus consensuel. En même temps, la posture constante de l'apitoiement sur soi et l'empressement d'enfoncer l'autre dans son échec existentiel, qu'il soit d'un ordre affectif, physique ou professionnel, rendent ce frère et cette soeur facilement accessibles. D'une certaine manière, Wendy et Jon n'ont pas besoin de faire semblant entre eux. Ils ne doivent pas prétendre à l'épanouissement, alors que le regard d'une vieille chienne les enthousiasme plus que du sexe sans saveur et que la vie dans son ensemble ne leur réserve plus de surprises. A force de se connaître et d'être coincés dans une mécanique de course à l'existence la plus minable, ils ont fini par s'entredéchirer sans ménagement.
Et pourtant, la garde de leur père toujours mentalement absent leur redonne une vigueur relative, comme une obligation passagère, qui les met face à leurs responsabilités familiales. Certes, le scénario plutôt bien structuré de Jenkins ne leur permet à aucun moment de se libérer de leur état d'esprit profondément marqué par l'inhibition, issue du nombrilisme intellectuel et bourgeois qu'ils se sont créé comme rempart contre la réalité dans toute sa banalité. Les rares tentatives d'établir un lien avec des individus en dehors de leur sphère égoïste se soldent en effet par un échec. Mais à la fin, bien que la disparition du père n'ait pas produit de réaction émotionnelle forte, chez cette progéniture prisonnière de la misère dans laquelle elle s'est fourvoyée au fil du temps, Wendy et Jon ont quand même repris du poil de la bête, à leur propre façon, qui ne laisse de la place que pour eux-mêmes.
Cette histoire triste et émotionnellement éprouvante, peut-être justement parce qu'elle n'offre pas de solution facile, est portée à bras le corps par Laura Linney et Philip Seymour Hoffman. Le ton précis de leurs interprétations fascine avant tout par le refus d'embellir ou d'abaisser leurs personnages guère glorieux, mais profondément humains. Cette tranche de vie ne vous rendra sans doute pas plus heureux, mais elle vous propose le faible réconfort qu'il existe sans doute des personnes au moins aussi frustrées et imparfaites que nous le sommes tous, sur Terre.
Vu le 13 février 2008, au Club de l'Etoile, en VO
Note de Tootpadu: