Chacun son cinéma

Chacun son cinéma
Titre original:Chacun son cinéma
Réalisateur: Wim Wenders, Raymond Depardon, Wong Kar-wai, Gus Van Sant, Walter Salles, Olivier Assayas, Takeshi Kitano, Theo Angelopoulos, Andrej Konchalovsky, Nanni Moretti, Hou Hsiao-Hsien, Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Zhang Yimou, Amos Gitai, Jane Campion, Atom Egoyan, Aki Kaurismäki, Youssef Chahine, Tsai Ming-Liang, Lars von Trier, Raoul Ruiz, Claude Lelouch, Roman Polanski, Michael Cimino, David Cronenberg, Abbas Kiarostami, Bille August, Elia Suleiman, Manoel De Oliveira, Chen Kaige, Ken Loach
Sortie:Cinéma
Durée:115 minutes
Date:31 octobre 2007
Note:
Le film anniversaire du 60ème Festival International du Film de Cannes. 34 cinéastes, issus de 25 pays, expriment en trois minutes chacun leur état d'esprit actuel par rapport au cinéma.

Critique de Tootpadu

Depuis bientôt vingt ans, notre coeur bat presque exclusivement pour le cinéma. Nous y avons passé le plus clair de notre temps, et notre soif de films et d'expériences cinématographiques n'est pas prête à tarir. Nous attendions et espérions donc avec impatience la sortie en salles de ce projet fou, de cette déclaration d'amour au Septième art entonnée par les plus grands noms du cinéma mondial. Et notre attente de plus de cinq mois, depuis la première du film à Cannes et à la télévision française, a largement valu la peine, tellement Chacun son cinéma constitue une somme passionnante et riche de tout ce qui nous fait aimer le cinéma, encore et pour toujours !
La contrainte des trois minutes par réalisateur, dont certains se plaignent assez subtilement (Angelopoulos, Ruiz), crée en effet un espace temporel serré, qui oblige une condensation révélatrice. Chaque court-métrage fonctionne comme une mise-en-bouche, magistrale ou pas, pour chaque participant. Impossible de se rattraper sur une durée si courte, mais impossible aussi de laisser plus qu'une impression ponctuelle, qui survivra au mieux en interagissant avec les autres bribes de film qui l'entourent. La signature de certains réalisateurs est ainsi manifeste dès les premiers plans (Lynch, Wong) ou bien chez d'autres, la reconnaissance s'opère à travers l'apparition d'acteurs fétiches (Tsai, De Oliveira, Angelopoulos). De même, le retour sur des terrains de prédilection, comme l'enfance chez les réalisateurs asiatiques les plus consensuels (Zhang Yimou et Chen Kaige), s'inscrit parfaitement dans la continuité de leur oeuvre. Enfin, un certain narcissisme est parfois de mise, qu'il soit présenté avec humour (Moretti, von Trier, Suleiman) ou une prétention assumée (Chahine, Lelouch, et en quelque sorte Cimino).
Quant aux thèmes, ils se recoupent d'une façon étonnante, surtout lorsqu'on sait que chacun des réalisateurs a travaillé dans l'ignorance la plus totale des projets de ses confrères. Pourquoi en effet cette fascination pour la cécité dans au moins trois segments, tandis que la surdité, presque aussi préjudiciable pour apprécier pleinement le spectacle cinématographique, n'est pas mentionnée une seule fois ? Et quel étrange équilibre entre les expériences personnelles et collectives au sein des salles obscures ? Eh oui, lorsque l'on s'engouffre dans un cinéma, c'est à la fois pour vivre une relation privilégiée et individuelle avec un film, mais en même temps, paradoxalement, pour la partager avec une foule d'inconus.
Le spectre de ces expériences est aussi large que la liste des réalisateurs est longue. Heureusement, les approches ingénieuses, touchantes ou amusantes, prévalent par rapport aux scénettes plus laborieuses (notamment Alejandro Gonzalez Iñarritu et Amos Gitai). Les bonnes surprises sont en effet nombreuses, qu'elles prennent la forme d'expériences inattendues (la comédie noire pour von Trier et Polanski, par exemple), ou qu'elles confirment simplement l'immense talent artistique de ces piliers du cinéma. De les avoir réunis pour créer une mosaïque magistrale, qui s'approche de très près de la définition parfaite du cinéma, est un des derniers coups de génie de Gilles Jacob.
Finalement, il y a tout de même deux choses qui étonnent. D'abord, que ce film soit sorti sur une combinaison aussi pitoyable de salles, probablement à cause de son passage antérieur à la télévision. Quel intérêt cependant de découvrir un chef-d'oeuvre, qui célèbre le cinéma à chaque instant, sur le petit écran ?!? Notre amour du cinéma s'est vu pousser des ailes grâce à cette oeuvre collective passionnante. Mais nous n'osons même pas imaginer la revoir ailleurs que dans une salle de cinéma, ne serait-ce que pour échapper à la chimère horrifique de Cronenberg et Hou. Et puis, il manque un court-métrage à l'appel, celui des frères Coen, qui a disparu mystérieusement entre le premier passage à la télé et cette exploitation cinématographique tardive, mais indispensable.

Vu le 1er novembre 2007, au Cinéma des Cinéastes, Salle 3, en VO

Note de Tootpadu: