L'incendie de Chicago

L'incendie de Chicago
Titre original:In old Chicago
Réalisateur:Henry King
Sortie:Cinéma
Durée:95 minutes
Date:31 mars 1938
Note:
Lorsque Patrick O'Leary meurt juste avant d'arriver à Chicago, la ville de ses rêves dont il espérait forger l'avenir, il transmet son ambition à ses trois fils qui sont encore des enfants. Presque vingt ans plus tard, en 1871, les frères O'Leary font partie intégrante de la ville du vent et de leur quartier, le Patch. Alors que le plus jeune, Bob, s'est épris de l'assistante de sa mère, une blanchisseuse, les deux autres n'ont rien en commun. Dion est un joueur et un entrepreneur qui n'hésite pas à monter les échelons à coups de pots de vin et de trahisons, tandis que Jack est un homme vertueux qui, en tant qu'avocat, espère en finir avec la pègre du Patch. Pour contrer son rival principal, Dion fait jouer son influence afin de faire élire son frère comme maire de la ville. Un poste crucial justement le jour où un incendie gigantesque se déclenche dans le quartier populaire insalubre.

Critique de Tootpadu

Visiblement conçue comme une réplique de San Francisco du studio concurrent de la MGM, avec un prologue qui rappelle fortement l'esprit pionnier de La Ruée vers l'ouest, cette saga familiale est cependant un témoignage intéressant sur l'état d'esprit d'une certaine époque. Ses traits particuliers se profilent même, si l'on est prêt à regarder plus loin que son accomplissement solide des conventions du cinéma américain des années 1930. En dessous des manoeuvres familiales, des discours inspirants de rigueur, des numéros musicaux légèrement trop nombreux et du cataclysme final qui se déchaîne un peu tard, au bout de presque une heure et demie, pour considérer ce drame épique comme un film catastrophe, en dehors donc de tous les éléments qui ajoutent un coloris ancien fort charmant, cette oeuvre divertissante se permet également une vision critique sur le rêve américain.
D'emblée, le ton est donné quand le père de famille tombe victime de sa propre irresponsabilité, d'un coup de tête qu'il sait déraisonnable mais dont il juge mal les conséquences. Accessoirement, le duel entre la vétusté et la modernité se retrouve d'une façon plus larvée ultérieurement, quand justement le plus vieux membre de la famille énonce sa vision de la ville future. Les bêtises qui coûtent chères, très chères, refont par contre surface régulièrement et elles participent ainsi à la philosophie ironique du film. Provoquer le mal par inadvertance devient presque la qualité principale d'un groupe de personnages faussement valeureux. Tous les coups bas sont alors permis, même si celui qui les opère sciemment et avec une intelligence politique exceptionnelle (Dion) est en fin de compte déclassé par une incendiaire involontaire qui privilégie la suprématie du lien familial au raisonnement féminin. Quelle belle image de l'Amérique que nous livre ce film plus redoutable qu'il ne paraît : le paradis des intérêts particuliers qui se cachent vicieusement derrière un patriotisme et une défense des valeurs familiales exacerbés.
Le style sophistiqué et plein de pièges du scénario n'est pas celui de la mise en scène, qui fait davantage confiance à la solidité. Servi par une distribution plus belle (le jeune Tyrone Power au sourire désarmant) que talentueuse, Henry King ne se permet pas le moindre relâchement, même pas lors des trois ou quatre chansons sympathiques qui n'apportent pas grand-chose à l'histoire. Toutefois, elles constituent le seul usage abondant de musique, une fois de plus largement absente des séquences spectaculaires du sinistre.

Vu le 19 mai 2006, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju, en VO

Note de Tootpadu: