Mémoires de nos pères

Mémoires de nos pères
Titre original:Mémoires de nos pères
Réalisateur:Clint Eastwood
Sortie:Cinéma
Durée:132 minutes
Date:25 octobre 2006
Note:
Le 23 février 1945, cinq soldats américains et un infirmier de la marine hissent le drapeau national sur le mont Suribachi, l'enjeu stratégique majeur de la bataille d'Iwo Jima. La photo qui est prise de l'événement donne un premier espoir de victoire au peuple américain, épuisé par l'effort de guerre prolongé. L'armée pense pouvoir en tirer un profit supplémentaire en organisant une tournée à travers le pays avec les trois héros qui ont survécu à la bataille. Le but : inciter les Américains à investir encore plus d'argent dans la guerre, qui a vidé les caisses de l'Etat.

Critique de Tootpadu

La guerre vue par Clint Eastwood est une affaire plus hasardeuse et en fin de compte frustrante que nous l'aurions cru et souhaité. Sa première partie d'un diptyque sur la bataille d'Iwo Jima, à laquelle suivra Letters from Iwo Jima au début de l'année prochaine, démarre cependant avec une délicatesse surprenante pour le genre guerrier, avec le réalisateur en personne qui entonne l'extrait d'une chanson mélancolique. Et l'insistance du scénario d'établir un lien avec le présent, à la façon d'un Il faut sauver le soldat Ryan, est vite pardonnée face à la dénonciation en règle de la machine de propagande.
Eastwood s'affirme à ce moment comme le réalisateur subtil, mais ferme, que l'on a toujours apprécié, depuis que l'ancienne vedette du western est passé de l'autre côté de la caméra il y a plus de trente ans. L'opposition viscérale entre l'extrême cruauté du théâtre de guerre et le spectacle qui en est fait pour la population civile aux Etats-Unis ne manque pas de brillance pendant la première partie du film. Telle une douce musique de polémique en temps de guerre, la mise en scène d'Eastwood ne perd jamais de vue les implications d'un conflit armé d'ampleur pour une nation toute entière. Au delà de l'édifice narratif en deux, voire trois temps (la bataille, le battage médiatique, l'enquête du fils), Mémoires de nos pères insiste sur l'effet néfaste de toute guerre, qu'elle se passe au Japon, au Viêt Nam, ou en Irak, et des perversions qu'elle génère. Enfin, le film réussit à recréer parfaitement l'état d'esprit et le style des années 1940, au point de ressembler plus aux Plus belles années de notre vie qu'aux épopées plus récentes.
Hélas, cette première impression positive ne se confirme pas par la suite ! Le scénario ne progresse ainsi plus, une fois les principaux axes de réflexion et de narration établis avec une maîtrise indiscutable. Le caractère grotesque de la campagne de propagande est répété à satiété et la mise en parallèle entre les massacres sur l'île et leur célébration dans les stades américains devient presque lassante. Notre attente d'un grand sursaut pour conclure avec un coup de génie ce récit guerrier sur la pente descendante allait-elle être récompensée ?
A notre grand regret, la réponse à cette question doit être un "non" des plus catégoriques. Au début prometteur et à la partie centrale en ralentissement suit en effet un dénouement pas loin d'être catastrophique. Cela commence par la partie trop ramassée qui traite de la mort violente des trois héros du drapeau qui ne pouvaient plus participer à la tournée de bonne volonté. Et puis surgit une volonté scénaristique des plus déconcertantes de clore chaque chapitre de l'histoire, de poursuivre le destin de chacun des protagonistes jusqu'au présent. En comparaison avec cette structure interminable en chute libre, la simple question à la fin du Soldat Ryan, aussi pompeuse soit-elle, paraît comme une bénédiction. Car le désordre narratif général, à la fin d'un film en fin de compte trop long pour ce qu'il avait à dire, n'aboutit à aucune conclusion satisfaisante.
Une exposition prometteuse, une photographie splendide, une bande son tonitruante et des effets spéciaux discrets ne suffisent alors pas pour sauver ce premier retour de Clint Eastwood sur le champ de bataille en plus de vingt ans.

Vu le 2 novembre 2006, au Max Linder, en VO

Note de Tootpadu: