Vers le sud

Vers le sud
Titre original:Vers le sud
Réalisateur:Laurent Cantet
Sortie:Cinéma
Durée:107 minutes
Date:25 janvier 2006
Note:
Vers la fin des années 1970, des femmes américaines plus très jeunes viennent en Haïti pour y jouir des plaisirs charnels que leur proposent les jeunes hommes indigènes. Dans l'hôtel de "La Petite Anse", c'est le très beau et sensuel Legba qui est convoité par toutes les femmes. Parmi elles, Ellen, une prof de français de Boston qui vient depuis des années se délecter de Legba, en échange de quelques cadeaux et d'argent, et Brenda, qui revient pour la deuxième fois, après avoir connu une excitation sexuelle sans précédent avec le jeune homme trois ans plus tôt. Mais les jalousies et coups de griffe des femmes ignorent tout de la situation difficile dans laquelle vit l'objet de leurs fantasmes.

Critique de Tootpadu

Laurent Cantet n'en démord pas de son regard sans concession sur le dysfonctionnement de notre modèle social. Après ses deux premiers films sur le monde du travail, dont surtout le premier, Ressources humaines, était remarquable, il change de registre pour passer au crible une conception hédoniste, et surtout égoïste, du tourisme. Le contexte a beau être différent, y compris le point de vue féminin de l'histoire, Cantet excelle toujours autant dans son refus des compromis et dans une peinture sociale sans salut.
Vers le sud joue en effet beaucoup sur la dichotomie entre le cadre paradisiaque du Haïti, et les agissements douteux qui s'y produisent. Chaque personnage cherche ainsi son petit coin du paradis, son point de fuite pour échapper à la morosité sociale, émotionnelle ou sexuelle. Et bien entendu, ce refuge s'avère rapidement illusoire, pour des raisons diverses, mais dans chaque cas inéluctables. Les confessions de quatre personnages principaux que Cantet enregistre, dans l'esprit des nouvelles de Dany Laferrière sur lesquelles son film se base, fonctionnent dans ce sens tel des mises à nu d'êtres enfermés dans une cage sociale invisible. Bien que certains d'entre eux soient conscients de leur condition (Ellen dans un élan de clairvoyance qui déchantera cependant bientôt), cette lucidité ne leur permet pas de se révolter contre la perfidie du système d'exploitation auquel ils adhèrent. Mais s'attendre à un sursaut bienveillant qui abolira les rapports dégradants entre les personnages, ce serait mal comprendre les intentions du réalisateur qui n'a sans doute pas fait ce film pour juger.
Non, la démarche du cinéaste ressemble davantage à un dépouillement de conventions culturelles et sociales qui n'auraient pas lieu d'être dans un monde parfait. Comme un chirurgien, il dissèque les différentes souches de l'intrigue, il utilise sa caméra en guise de scalpel pour mieux trancher dans le malaise qui habite ses personnages. Car cette romance empoisonnée n'est point un film facile à voir, plutôt une expérience dure et enrichissante, qui permettra dans le meilleur des cas d'y voir un peu plus clair dans les profondeurs de nos fantasmes et dans le fonctionnement des injustices sociales. Là encore, Cantet ne propose aucune solution aux problèmes, mais il expose les travers très humains de ses personnages avec une crudité inhabituelle. C'est en outre ce ton franc qui permet à son film d'accéder au statut de conte moral intemporel, de s'inscrire dans la liste exclusive des oeuvres qui ont osé regarder la noirceur de l'âme humaine en face.
Charlotte Rampling n'arrêtera décidément plus à nous surprendre dans des rôles de plus en plus sublimes et imprévisibles. Son personnage est ainsi un véritable monstre qui dispose d'une vulnérabilité insoupçonnée et qui est peut-être la seule à comprendre à quel point le bonheur est éphémère. Ce qui ne l'empêche nullement de se réfugier dans le paradis envenimé de l'arrogance, une fois que son eden sexuel s'est écroulé. Mais le jeu parfait de cette très grande dame du cinéma européen est encore renforcé par sa capacité à laisser s'exprimer les autres comédiens. Ainsi, Karen Young est tout aussi époustouflante dans le rôle de Brenda, une femme qui est en voie de devenir comme Ellen, mais qui n'a pas encore fait le deuil de ses sentiments.

Vu le 17 janvier 2006, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: