Pour un seul de mes deux yeux

Pour un seul de mes deux yeux
Titre original:Pour un seul de mes deux yeux
Réalisateur:Avi Mograbi
Sortie:Cinéma
Durée:105 minutes
Date:30 novembre 2005
Note:
Alors que le territoire palestinien de la Cisjordanie est découpé par un mur et des points de contrôle innombrables, rendant la vie quotidienne des habitants difficile et humiliante, deux mythes du passé israélien sont transmis aux générations futures comme des exemples du combat pour la liberté jusqu'à la mort : le suicide de Samson le héros et le siège et le suicide collectif de la forteresse de Massada.

Critique de Tootpadu

Par une curieuse coïncidence dans l'agenda des sorties en France, ce rapprochement intelligent entre deux idéologies différentes qui se retrouvent dans une même glorification du suicide patriotique sort seulement une semaine après l'excellent Belzec et le fourre-tout Les Protocoles de la rumeur. Trois points de vue profondément opposés qui traitent néanmoins, dans une perspective historique, d'actualité ou de répercussions internationales, de la même question juive ou israélienne. Rien que de constater cette profusion de documentaires, qui ressemble d'ailleurs le temps d'une quinzaine à un monopole, nous rappelle que le peuple juif et sa terre promise restent un des défis les plus urgents en termes de compréhension, d'information et, osons rêver, de solution pacifique de nos jours.
Le style d'Avi Mograbi, avec ses prises enregistrées sur le vif quitte à se retrouver par moments avec une bande son fortement parasitée, risque au début de se mettre à travers l'analyse fine de la situation en Cisjordanie que le cinéaste tente d'entreprendre. Mais au final, ces moments bruts, apparemment loin de toute orchestration, s'avèrent des témoignages puissants sur un état de siège quotidien qui est censé opprimer les Palestiniens. Prises par elles-mêmes, les humiliations arbitraires que nous voyons prennent presque un air anecdotique. Dans le contexte du discours idéologiquement teinté des guides sur la montagne de Massada et à force d'être répétées, elles se transforment cependant en des incidents d'une violence sourde et dégradante bien plus cruelle que des coups de feu. D'ailleurs, Mograbi se garde justement d'inclure des images des attentats suicides contemporains, une preuve supplémentaire de sa volonté marquée de chercher plutôt les liens cachés et inavoués des deux combats meurtriers pour la liberté que les rapprochements faciles et trop évidents.
L'accomplissement de ce documentaire, qui n'a pourtant pas peur de quelques explosions de colère guère objectives (notamment les insultes envers les soldats qui refusent d'ouvrir le passage), est de laisser les images et les paroles parler pour elles-mêmes. Sur fond d'une conversation téléphonique avec un ami du réalisateur isolé à cause du couvre-feu, la seule réflexion explicite sur le problème, les situations auxquelles Avi Mograbi assiste contiennent une charge dénonciatrice suffisamment importante pour se passer allègrement de tout commentaire. Leur banalité ne cache alors plus très bien la guerre d'intimidation et d'endoctrinement à laquelle se livre quotidiennement l'armée israélienne et certains mouvements nationalistes. Que ce soit le jeep qui gère son barrage avec une nervosité menaçante digne du camion dans le Duel de Spielberg, ou le soldat retranché dans sa tour de garde pour surveiller un autre point de contrôle artisanal, ou bien la récupération sans vergogne de mythes anciens qui seraient plutôt aptes à justifier le camp adverse, les observations du réalisateur sont d'une simplicité poignante. Et elles laissent hélas entrevoir une poursuite du conflit, tant que la compréhension entre les deux ennemis héréditaires n'a pas supplanté la célébration fanatique du suicide pour le bien futur de la patrie.

Vu le 17 novembre 2005, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: