Filmeur (Le)

Filmeur (Le)
Titre original:Filmeur (Le)
Réalisateur:Alain Cavalier
Sortie:Cinéma
Durée:99 minutes
Date:21 septembre 2005
Note:
Dix ans de la vie du cinéaste Alain Cavalier, filmés par lui-même. Son père et sa mère mourants, sa compagne, ses soucis de santé, son appartement, ses chambres d'hötel, ses animaux, ...

Critique de Tootpadu

Comment tenir compte de la partie conséquente d'une vie, d'une décennie avec ses événements aussi importants qu'anodins ? A cette question, il n'existe pas de réponse unique, et les approches possibles sont encore démultipliées dans le domaine du documentaire aux conventions plus souples que dans la fiction. Le journal filmé d'Alain Cavalier constitue alors une réussite importante puisqu'il se dérobe en quelque sorte au problème, qu'il se réapproprie le temps et l'espace afin de construire un édifice profondément personnel. Toutefois, ses observations de la vie quotidienne émettent une telle lucidité en vue de sujets universels qu'elles deviennent un miroir enjoué de notre temps.
Les bribes de sa vie que le cinéaste nous soumet sont assez loin d'un document autobiographique ordinaire. Il n'y est que rarement question de son travail, à moins de considérer l'acte même de filmer en guise de bloc-notes visuel comme la manifestation première de sa création. Cette absence du côté didactique et sérieux d'une existence, ce bonheur d'échapper aux éternelles ruminations d'un cinéaste qui ne roule de toute évidence pas sur l'or, le cinéaste nous la compense amplement par des commentaires d'une ironie jubilatoire. Réduites à la partie privée de sa vie, les mini-séquences ne font pourtant pas abstraction de l'instinct filmique de Cavalier. Affirmer qu'il y réinvente le temps et l'espace cinématographiques serait peut-être aller un peu loin. Mais sa façon d'aborder les choses de sa vie, qui sont d'un point de vue objectif plutôt dramatiques (le vieillissement, la maladie, la mort), les place dans un contexte extrêmement ludique, encore renforcé par une beauté plastique étonnante.
Les lieux, les objets, les animaux, un nombre réduit de personnes : le choix obligatoirement réducteur du réalisateur - à moins de finir avec des dizaines d'heures de métrage - s'est porté plutôt sur la partie inanimée de sa vie. La position d'observateur caché qui regarde d'une façon indirecte les choses fait naître une présence curieuse à partir de motifs très ordinaires. Un rouleau de papier toilette, une rue, une cour, une fenêtre, un gigot, autant d'objets qui acquièrent comme un sens nouveau grâce au regard et au commentaire attachant du cinéaste. Il atteint ainsi un stade supérieur dans l'art de filmer, de nous montrer des choses que nous pensions connaître, et de nous les faire redécouvrir différemment, comme si nous les voyions pour la première fois.
Ce n'est pas depuis l'immense Les Glaneurs et la glaneuse d'Agnès Varda qu'un documentaire français nous a autant interpellés, que l'occasion précieuse nous a été offerte de réinventer le quotidien à partir de choses très simples.

Vu le 31 octobre 2005, au MK2 Beaubourg, Salle 3

Note de Tootpadu: