Servante et le samouraï (La)

Servante et le samouraï (La)
Titre original:Servante et le samouraï (La)
Réalisateur:Yoji Yamada
Sortie:Cinéma
Durée:132 minutes
Date:09 novembre 2005
Note:
Au milieu du XIXème siècle au Japon, le samouraï Katagiri s'éprend de Kie, la servante de sa mère. Avant la mort de cette dernière, Kie quitte la maison pour se marier avec le fils d'un marchand. Désormais tout seul, Katagiri ne peut pas s'empêcher de penser à Kie et il est effondré lorsqu'il apprend qu'elle est souffrante. Il l'emmène alors chez lui, pour la soigner, malgré les ragots qui fusent à cause de cette action en rupture avec le respect des rangs sociaux.

Critique de Tootpadu

A 74 ans, Yoji Yamada n'en est plus à son premier film, au contraire il en a réalisé une soixantaine depuis le début des années 1960. Et pourtant, ses films sortis au cinéma en France se comptent sur les doigts d'une main. Un des cinéastes les plus populaires dans son pays, grâce à la série des C'est dûr d'être un homme !, il demeure plutôt très confidentiel en Europe. La raison principale pour ce manque de reconnaissance internationale se trouve du côté des genres qu'il affectionne, avant tout des comédies populaires, peu propices à l'exportation. Car si nous ignorons déjà ce qui fait rire nos voisins européens - et qui ne nous ferait probablement même pas sourire - , les comédies japonaises auront encore plus de mal à nous divertir, et en premier lieu à être visibles chez nous. Dans ce contexte, il n'est point surprenant que le premier film de Yoji Yamada gratifié d'une sortie au cinéma dans l'Hexagone est un drame de samouraï, un genre plus accessible aux spectateurs occidentaux depuis les épopées d'un Kurosawa.
La démarche du vieux maître de cinéma se démarque volontairement de celle de son aîné. Les affrontements spectaculaires sont ainsi rares et le ton est particulièrement posé. A quelques niveaux sociaux près, on se croirait plutôt chez un Ozu, tellement Yamada privilégie la dimension sociale au détriment de l'action. Il y a également une petite touche du mélodrame à la Sirk, avec ces transitions fleuries et ces tourments sentimentaux retenus. Ces références exquises ne brident toutefois jamais le film, elles lui laissent suffisamment d'espace pour s'exprimer à sa manière, c'est-à-dire avec une fermeté et une sagesse remarquables. Yamada s'y révèle à nos yeux comme un cinéaste extrêmement lucide, qui ne cherche point à coller à l'actualité esthétique du cinéma asiatique, mais qui est plutôt confiant en la narration à l'ancienne. Dépourvu de toute prétention, mais investi d'une beauté et d'une profondeur enivrantes, son style exprime avec une justesse entière les thèmes complexes auxquels il s'attaque.
Le traitement du statut social tel qu'il est développé ici aborde en effet plusieurs sujets, plus pertinents les uns que les autres. L'époque de boulversement presque révolutionnaire au sein de laquelle se déroule l'histoire est en fait évoquée d'une façon très sobre, à travers un manque d'éclat superficiel qui ne se méprend pas pour autant sur les véritables enjeux de la modernisation du pays. Les séquences autour de l'entraînement des samouraïs à l'anglaise ont beau faire sourire, elles trouvent une application plutôt atroce lorsque l'abandon du combat à l'ancienne est consommé par un massacre final exempt de tout honneur. En quelque sorte, le réalisateur fait ici le deuil de la notion même d'honneur, et il regarde stoïquement l'entrée de son pays dans l'ère de la modernité. Ce passage douloureux est d'ailleurs condensé avec une sagesse extraordinaire au moment de la dispute entre les oncles et le jeune protagoniste après la veillée funèbre pour la mère. L'attachement des premiers à la tradition et à tout ce qui est vieux et éprouvé s'oppose dans un dialogue de sourds à la nature plus réfléchie et émotionnelle de leur neveu.
Une réussite indiscutable autant d'un point de vue formel que dans son approche très intelligente et subtile de thèmes universels, ce film est déjà la deuxième partie d'une trilogie - encore une, mais au moins celle-là est loin d'être superflue - que le réalisateur a entreprise sur la condition des samouraïs. En vue de cette oeuvre magnifique, nous ne pouvons qu'espérer qu'un distributeur français aura le courage de sortir également la première partie, The Twilight Samurai, nommé à l'Oscar du Meilleur film étranger l'année dernière.

Vu le 27 octobre 2005, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: