King of New York (The)

King of New York (The)
Titre original:King of New York (The)
Réalisateur:Abel Ferrara
Sortie:Cinéma
Durée:103 minutes
Date:18 juillet 1990
Note:
Frank White, un trafiquant de drogue puissant de New York, sort de prison. Pendant son séjour derrière les barreaux, il a réfléchi et il compte bien réorganiser le monde de la pègre. Il propose à chacun de ses concurrents de se joindre à lui, faute de quoi Frank se débarrasserait d'eux. Cette politique de nettoyage sanglante, qui révèle également le côté altruiste de Frank à travers son engagement pour le maintien de l'hôpital du quartier, bref, ce carnage sans pitié déplaît à la police qui se met aux trousses de Frank, coûte que coûte.

Critique de Tootpadu

Abel Ferrara ne fait plus tellement parler de lui de nos jours, en dépit de son dernier film avec Juliette Binoche qui sera projeté à Venise le mois prochain. Mais il y a pratiquement quinze ans, il commençait avec cette sombre saga une série de films remarquables qui inclut Bad Lieutenant, son remake de Body Snatchers et Snake Eyes avec Madonna. Il n'a pas vraiment retrouvé les sommets de son art depuis, ce qui ne l'empêche pas d'être un des cinéastes les plus intéressants de la première moitié des années 1990.
Grâce à sa mise en scène tranchée au scalpel, il crée un monde à la fois menaçant et stylisé, passionnant et lucide. Et il se dresse comme un des grands réalisateurs new yorkais, qui savent donner à cette ville foisonnante une identité filmique, un aspect géographique qui décompose les taudis, les immeubles abandonnés, et les rues et ponts déserts éclairés par une lumière bleue mystifiante. Dans cette jungle urbaine, chaque communauté vit dans son coin, les Italiens mafieux, les Chinois des triades et les Irlandais policiers et buveurs. La mégalomanie du projet du personnage titre, qui rêve de faire quelque chose de bien pendant le temps qui lui reste, doit alors forcément se heurter contre cette cacophonie, en opposition à cette pluralité d'intérêts. En quelque sorte, l'ambition politique de Frank White, dans le parlement de la rue, est de transformer le mal en bien, de liquider tous les malfrats pour qu'il y ait un lieu où les victimes de cette guerre sanguinaire peuvent se faire soigner. L'ironie qui découle de ce combat irréel apporte un ton élégiaque à cette opéra brillante sur la déchéance inévitable d'un criminel. Que ce dernier n'arrive pas à se faire comprendre, ni par la police auprès de laquelle il veut passer comme un simple homme d'affaire, ni auprès de ses concurrents dont il partage les méthodes abjectes, mais desquels il prétend se distinguer par la noblesse de ses intentions, le rend inévitablement tragique, telle une figure volontairement prisonnière de son style de vie.
A l'intérieur de la narration très maîtrisée et merveilleusement stylisée d'Abel Ferrara, Christopher Walken impressionne par son jeu imprévisible. Sa machine de guerre qui a entrepris une croisade pour se racheter selon ses propres règles est probablement un des personnages les plus inquiétants de l'histoire du cinéma. Cet homme assez sophistiqué, assez intelligent et sans scrupules pour comprendre sa condition de chef de la pègre interpelle inlassablement par la dualité de ses actions : la violence sans merci de ses meurtres en cascade ne pourra en effet jamais se réconcilier avec la quasi-naïveté de ses projets humanitaires. Grâce au jeu aussi subtil qu'imposant de Christopher Walken, Frank White n'apparaît jamais tout à fait comme un illuminé, mais jamais comme un homme résigné et mélancolique non plus. En bref, Walken réussit ici le rare exploit de laisser exister son personnage dans un équilibre précaire entre des forces diamètralement opposées.

Revu le 30 août 2005, au MK2 Hautefeuille, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: