Sils Maria

Sils Maria
Titre original:Sils Maria
Réalisateur:Olivier Assayas
Sortie:Cinéma
Durée:123 minutes
Date:20 août 2014
Note:

Accompagnée de son assistante personnelle Valentine, la célèbre actrice Maria Enders se rend à Zurich, où elle doit réceptionner un prix honorifique pour le scénariste Wilhelm Melchior, à l’origine de sa carrière vingt ans plus tôt. Alors qu’elle est encore dans le train, Maria apprend le décès de son mentor. Elle poursuit à contrecœur son voyage. En marge des festivités d’hommage à l’artiste, elle s’entretient avec le réalisateur Klaus Diesterweg qui rêve d’une nouvelle mise en scène de la pièce de Wilhelm, qui avait autrefois rendu Maria célèbre. Sauf que ce sera désormais elle qui jouera le rôle de la quadragénaire poussée au suicide par amour pour une jeune manipulatrice, cette fois-ci interprétée par l’actrice montante Jo-Ann Ellis.

Critique de Tootpadu

Personne ne sait mieux capturer cette notion vague de modernité que Olivier Assayas ! Il n’est pas seulement l’un de nos réalisateurs préférés depuis le début du siècle, mais aussi capable de nous impressionner par son approche singulière de l’époque contemporaine et de nous prendre au dépourvu avec chaque nouveau film. Celui-ci ne fait point exception à la règle, vieille de sept ans et de trois films : Sils Maria dégage une fraîcheur irrésistible, basculant à volonté entre la tragédie et la comédie, la mise en abîme et la satire. Il s’agit d’un film à vif, qui paie parfois le prix de son impétuosité viscérale, mais qui nous subjugue en même temps par sa liberté formelle. A travers l’histoire d’une vedette internationale, qui fait en quelque sorte ses adieux à son Pygmalion en essayant de s’approprier le pendant ténébreux de son premier grand rôle, le réalisateur s’immerge corps et âme dans le monde médiatique d’aujourd’hui. Or, il le fait sur un ton malicieux, comme pour mieux nous indiquer qu’il se plie aux signes du temps, mais qu’il reste nostalgique du passé.

Ce point de vue résigné est avant tout celui de Maria Enders, un persiflage savoureux du métier actuel d’actrice à envergure internationale, où se retrouvent des références à Julia Ormond et Isabelle Huppert, voire à Juliette Binoche elle-même dont le volet hollywoodien de la carrière ne fait guère le poids comparé à son parcours européen. Ce qui n’empêche que la comédienne remplit son rôle complexe avec une désinvolture, qui sied parfaitement à cette femme en proie à la crainte du vieillissement. Ses nombreuses contradictions, qui soulignent en premier lieu sa fragilité, contribuent également à l’un des thèmes principaux du film : l’impossibilité de rejeter en bloc les dérives de notre ère virtuelle, alors que ce sont désormais Google et co. qui gouvernent notre perception du monde. Le jeu habile entre les différents supports de transmission de l’information est principalement orchestré par Valentine, le lien privilégié de Maria avec le monde extérieur, qui mène presque une existence par procuration de la star de plus en plus désemparée.

Alors que nous sommes depuis longtemps convaincus du talent considérable de Olivier Assayas et de Juliette Binoche, ce film nous fournit la première occasion d’apprécier le potentiel de Kristen Stewart. Jusque là cantonnée aux emplois exsangues dans des films qui ne l’étaient pas moins, elle fournit ici un appui précieux à sa patronne et même au récit dans son ensemble. Grâce à son jeu sobre et maîtrisé, l’assistante qui aurait pu n’être qu’une facilité scénaristique, censée mettre en valeur la vedette sur le déclin, accède au rang double d’interlocuteur et de révélateur. Présente au moindre déplacement de l’actrice, elle en devient à la fois la confidente et le cache-misère d’une intimité qui n’existe qu’au fil des invitations en festival et des entretiens avec les réalisateurs de ses prochains films ou pièces de théâtre. Valentine n’est pas dupe du rôle essentiel qu’elle joue dans le quotidien de Maria. Et pourtant, l’air légèrement blasé de Kristen Stewart apporte une petite touche de dérision au cérémoniel codifié entre ces deux femmes, qui prétendent à ce que leur relation soit plus amicale que purement professionnelle.

Cette duplicité se retrouve aussi dans les autres pistes de réflexion que la mise en scène nerveuse de Olivier Assayas aménage avec brio. Le doute plane en effet sur l’utilité de cette mise en abîme de la conscience de l’actrice, qui peine sérieusement à s’identifier avec un personnage qu’elle déteste, alors que l’enjeu plus important du film consiste précisément à apprendre à réconcilier le passé et le présent. De même, les apparences sont trompeuses lorsque Maria rencontre enfin Jo-Ann Ellis, une demi-heure avant la fin du film et après que cette représentante de la nouvelle génération a été, elle aussi, chargée par médias interposés de tous les poncifs sur la machine impitoyable de la célébrité éphémère. L’offensive de charme ne dure qu’une soirée à l’écart des paparazzi, alors que leurs deux rencontres suivantes se passent sous le signe de l’ego démesuré du clone que Hollywood crée, use et vomit à toute vitesse.

Enfin, la prise en considération dubitative de l’effacement des repères culturels, propre à l’œuvre de Olivier Assayas, franchit un nouveau cap dans ce film passionnant. Dans une époque où les informations scabreuses de décès, de tentative de suicide ou d’infidélité circulent à travers la planète en quelques secondes, les espaces de quiétude sont de plus en plus difficiles à garder intacts. Les sommets majestueux des Alpes pourraient être un dernier refuge de l’agitation stressante et du voyeurisme permanent. Sauf que la caméra de Arnold Franck a commencé à les désacraliser 90 ans avant ce film-ci. Celle de Olivier Assayas achève alors de rompre le charme, avec une immense mélancolie, mais surtout avec un regard frais et amplement conscient que l’évolution fracassante des mœurs et des cultures a depuis longtemps balayé les idylles bucoliques. En somme, il est l’un des très rares réalisateurs capables de rendre hommage aux accomplissements du passé, tout en gardant un esprit ouvert face aux surprises, bonnes ou mauvaises, que l’avenir nous réserve.

 

Vu le 29 juillet 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Le réalisateur Olivier Assayas nous livre avec son nouveau film une réflexion sur le métier d’actrice et sur l’envers du décor du milieu du cinéma. En pratiquement trente-six ans de carrière (scénariste, assistant réalisateur et réalisateur) quatorze films ont imposé cet ancien critique de cinéma comme l’un des plus grands réalisateurs français. Plébiscité par la critique souvent unanime ses films ont imposé un scénariste-réalisateur aussi à l’aise dans le drame (Paris s’éveille (1991), la comédie dramatique (Fin août, début septembre (1999)), le thriller (Demon lover (2002)).

Dans un cadre idyllique, le petit village de Sils-Maria dans les Alpes, une actrice, Marie Enders qui a connu le succès au théâtre et au cinéma se prépare à reprendre la même pièce mais en laissant le rôle de Sigrid qui lança sa carrière pour celui de Helena. Ce film permet au réalisateur, scénariste de dresser le portrait de trois femmes ayant trois âges différents. Alors que le synopsis aurait pu laisser entendre un film conçu comme une pièce de théâtre, il n’en est rien. Captivant à chaque instant, malgré certaines langueurs nécessaires pour donner une réelle profondeur à ses trois femmes, le réalisateur livre avec Sils Maria son meilleur film.

Le réalisateur aime jouer constamment sur l’envers du décor. Nous sommes donc loin de cette vie de rêve de certaines comédiennes faisant les beaux jours de la presse people. Il y a une certaine spiritualité qui se dégage dans cette vie de comédienne dont seules les différentes représentations mondaines semblent être le moyen de s’évader d’une vie morne. En donnant à la comédienne Juliette Binoche l’un de ses plus beaux rôles, une comédienne qui a connu comme son personnage un passé glorieux et qui préfère maintenant se tourner vers un cinéma moins populaire mais nettement plus intelligent et lui donnant de vrais personnages consistants à interpréter. Une nouvelle fois parfaite dans son rôle, le réalisateur permet de lui donner deux partenaires aussi originales que guère habituées au monde du réalisateur. Loin des blockbusters américains qui l’on fait connaître (Panic room (2002), Jumper (2008), saga Twilight (2008-2012)..), Olivier Assayas donne à Kristen Stewart son meilleur rôle et le plus consistant à ce jour. Loin du monde de Twilight, Kristen Stewart s’affirme comme une excellente comédienne. Mais, la vraie révélation du film est bien Chloë Grace Moretz. En cassant son image de jeunes comédiennes américaines et loin des nombreux blockbusters où elle a pu s’imposer comme l’une des meilleures comédiennes américains. Dans son rôle de Jo-Ann Ellis, elle démontre qu’elle n’hésite pas à prendre des risques et à travailler avec des réalisateurs ne cherchant pas forcément à atteindre les haut d’un box-office.

Le film permet également au réalisateur de montrer que les images ne reflètent jamais la vraie personnalité des comédiennes que nous vénérons. Entre la jeune Jo-Ann Ellis souvent vue dans la presse people comme une jeune américaine dévergondée et une comédienne revenue de tout et dont la grâce reste intacte, le réalisateur dresse ni plus ni moins qu’une frasque sur le déclin de l’empire Hollywoodien. La vraie Jo-Ann Ellis se révèle être non seulement aussi intelligente que pleine d’ambition. Olivier Assayas semble donc vouloir chercher comme le montre son dernier film son inspiration dans un cinéma américain indépendant en donnant à des comédiens des rôles consistants et loin de ces films vidés de sens.

On ne peut qu’ adhérer à ce grand film d’auteur qui nous présente non seulement un lieu magnifique mais surtout trois grandes comédiennes qui font de Sils Maria tout simplement un chef d’œuvre intemporel..

Vu le 22 août 2014 au Gaumont Champs-Elysées Ambassade, Salle 5, en VO

Note de Mulder: