De toutes nos forces

De toutes nos forces
Titre original:De toutes nos forces
Réalisateur:Nils Tavernier
Sortie:Cinéma
Durée:90 minutes
Date:26 mars 2014
Note:

A 17 ans, Julien a des rêves plein la tête. Mais en tant qu’infirme moteur cérébral, il a un degré d’autonomie très réduit, dépendant de sa mère Claire pour les moindres tâches quotidiennes. Quant à son père Paul, il vient de perdre son emploi, ce qui lui permettrait en théorie de passer plus de temps avec Julien. Mais leurs rapports sont très distants, une situation dont souffre toute la famille. Jusqu’au jour où Julien décide de concourir à l’épreuve de l’Ironman de Nice aux côtés de son père. Paul trouve cette idée complètement impraticable. A force d’insister, son fils finit toutefois par le persuader de s’entraîner ensemble.

Critique de Tootpadu

Le handicap, c’est de la normalité vécue depuis un autre point de vue. Le cinéma, souvent frileux lorsqu’il s’agit d’évoquer cette différence, s’emploie avant tout à la minimiser, à faire comme si une existence valide était le rêve suprême de toute personne handicapée. Dans la hiérarchie impitoyable et injuste, instaurée par ceux qui comprennent mal le handicap, selon laquelle une vie sans souci médical chronique vaut plus qu’un quotidien rythmé par les visites à l’hôpital et une autonomie réduite, les personnes qui en souffrent peuvent déjà s’estimer heureux de prétendre éventuellement à leur petite part de normalité. Il est hors de question alors, qu’elles prétendent à quelque chose d’exceptionnel, à un dépassement de soi dont très peu de gens sont capables. Le deuxième film de fiction de Nils Tavernier ose ce grand écart, qui abolit les frontières archaïques entre les personnes handicapées et valides. Et il le fait de surcroît d’une façon qui va droit au cœur, avec un minimum de poncifs sentimentaux et volontaristes, dont l’équivalent américain déborderait.

La morale hollywoodienne du dépassement de soi et de l’obsession de la réussite n’a guère droit de cité dans De toutes nos forces. C’est le chemin qui y importe et pas tant l’aboutissement, et encore. Car contrairement à ce que montre la bande-annonce un brin trop explicite, l’épreuve de l’Ironman en elle-même prend presque une place secondaire au sein du récit, tout comme l’entraînement qui lui précède. Le cœur de l’intrigue est en fait la relation conflictuelle entre un père et son fils et le lent processus qui mènera jusqu’à leur réconciliation. A la limite, c’est cette perspective encore différente sur le handicap, dans le cercle familial où l’exclusion n’est pas vraiment une option, qui nous a touchés le plus. Pour pallier au déséquilibre entre la proximité étouffante avec sa mère et la grande distance affective envers son père, Julien choisit l’épreuve sportive comme un prétexte pour traverser le fossé qui le sépare de Paul, grâce à quelque chose qui lui tient à cœur. Le film n’aurait sans doute pas été animé par le même souffle héroïque, si son loisir avait été quelque chose de moins spectaculaire. Toujours est-il que l’essence de l’histoire réside dans ces retrouvailles entre un père et son fils, dans le regain d’une intimité familiale plus précieuse que toutes les médailles ou substituts matériels réunis !

La charge émotionnelle que la narration doit gérer est certes considérable. Mais Nils Tavernier s’acquitte de cette responsabilité avec une sobriété appréciable. Il force rarement le trait, ce qui relève déjà de l’exploit puisque la tentation a dû être grande de compenser la nature peu bavarde des deux personnages principaux par des effusions sentimentales ou des envolées plein de pathos. Il n’en est heureusement rien, puisque la plus grande qualité du film est peut-être de ne jamais trahir l’intégrité morale et l’imperfection humaine des personnages. Ce qui relève déjà de l’accomplissement notable de la part d’un film très honnête, qui aurait facilement pu se servir du sujet du handicap pour un chantage à l’émotion en règle.

 

Vu le 10 mars 2014, à la Salle Pathé Lamennais

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

A Jacky,

Rares sont les films français qui retiennent réellement mon attention. Le dernier en date fut l’excellent film de  Fred Cavayé Mea Culpa. Tout comme ce réalisateur, on ressent la même passion et l’influence du cinéma américain sur le réalisateur Nils Tavernier.  Dès l’excellente scène d’introduction se passant à Nice et montrant les participants de l’épreuve de l’Ironman (triathlon : 3.8km de natation, 180km de cyclisme et 42.195km de course à pied) dans laquelle un seul candidat dénote des autres par le fait qu’il y participe avec son fils handicapé, on sent que ce film ne cherche pas la facilité mais cherche le réalisme. Nils Tavernier est le fils du grand réalisateur français Bertrand Tavernier et tout comme lui son cinéma se veut efficace, réaliste et non superficiel. Comme le cinéma américain a été une source d’inspiration pour son père (plusieurs livres ont été écrits par celui-ci sur le cinéma américain), on ressent dans la manière de filmer cette même volonté de s’extraire du formalisme de mise en scène française pour nous livrer tout simplement un grand film d’auteur.

Le scénario co-écrit par le réalisateur de ce film Nils Tavernier et par Pierre Leyssieux, Laurent Bertoni est inspiré de l’histoire vraie de Dick Hoyt et de son fils Rick qui ont fait plus de 6 ironman et plusieurs marathons. On ne peut qu’applaudir cet exploit surhumain, cette volonté de se battre contre un handicap et surtout ce père capable par amour pour son fils d’un tel exploit. Les scénaristes ont pu faire de cet exemple un grand film. Ce père de famille récemment licencié et ayant mis un terme dans son passé à sa volonté de poursuivre son entraînement sportif suite à la naissance de son fils handicapé, décide d’écouter son fils et de faire ensemble cet ironman. Le film ne cherche pas à tirer sur la corde sensible du spectateur, loin de là même. Le réalisateur Nils Tavernier est d’abord un réalisateur de documentaire et cela se ressent dans son film par cette approche réaliste de raconter cette histoire et de la mettre en scène. En 2012,le documentaire qu’il a co-réalisé avec Gil Rabier Que Reste t’il de nos erreurs ? fut soutenu par le Ministère français de la santé et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. C’est ce documentaire qui est en quelque  sorte à la source de son deuxième film qui n’est pas un documentaire.

C’est en s’appuyant sur les prestations parfaites des acteurs principaux, Jacques Gamblin (Paul Amblard), Alexandra Lamy (Claire Amblard) et surtout sur un jeune acteur handicapé Fabien Héraud (c’est ici son premier film) qu’il nous présente son regard sensible sur les personnes souffrant de handicap. La prouesse physique de l’acteur Jacques Gamblin est à saluer car il est  de nouveau parfait dans son rôle, il est parfaitement crédible en ancien sportif décidant de revenir dans la compétition afin de se réconcilier avec son fils. L’approche du film composée par la présentation des personnages, l’entraînement et enfin l’épreuve nous rappelle la mécanique parfaitement huilée de la saga Rocky et de son personnage principal Rocky Balboa. Ce n’est donc pas un hasard fortuit si dans une scène du film le personnage Paul et son fils regarde l’un des films de cette saga.

Alors que beaucoup de films cherchent à tirer sur la corde sensible des spectateurs, celui-ci ne recourt à aucune figure de style,  ne cherche pas à vouloir responsabiliser le public sur la place des handicapés dans notre société. Au contraire, la force de ce film est de donner de l’espoir et à nous montrer qu’à leur contact on apprend beaucoup de choses comme l’humilité, la volonté de se relever et de s’adapter. L’image de Paul en fin de course épuisé, déboussolé qui retrouve la volonté de finir la course par la volonté sans faille de son fils est un des plus forts moments de cinéma que j’ai pu ressentir récemment.

Vu le 19 mars 2014 à la Salle Pathé Lamennais

Note de Mulder: