Tomi Ungerer L'Esprit frappeur

Tomi Ungerer L'Esprit frappeur
Titre original:Tomi Ungerer L'Esprit frappeur
Réalisateur:Brad Bernstein
Sortie:Cinéma
Durée:98 minutes
Date:19 décembre 2012
Note:
Né en Alsace en 1931, Tomi Ungerer avait quitté sa terre natale après la guerre, afin de faire fortune aux Etats-Unis. Dès les années 1950, il s’est imposé sur la scène littéraire de New York en tant qu’auteur-illustrateur de nombreux livres pour enfants. En parallèle, il avait dessiné des affiches contre la ségrégation et l’engagement américain au Vietnam, ainsi que des recueils d’images érotiques. Cette dernière activité lui a valu les foudres de l’opinion publique américaine, qui a appelé au boycott de ses livres. Contrait de s’exiler d’abord au Canada et ensuite en Irlande, Ungerer s’est engagé pendant la dernière partie de sa vie en faveur de la réconciliation franco-allemande.

Critique de Tootpadu

Nous n’avons pas honte d’admettre que nous sommes si ignorants dans le domaine du dessin que nous ne connaissions pas Tomi Ungerer avant de le découvrir à travers ce documentaire fort instructif. Alors que le titre du film nous suggérait l’impression manifestement fausse qu’il s’agirait de l’histoire d’un homme en rapport avec les esprits, une sorte d’ermite suisse au don de voyance inouï, son véritable sujet est au contraire un géant très moderne de l’Histoire culturelle du siècle dernier. C’est surtout son regard sur le monde, décomplexé et désabusé, mais aussi jouissif, espiègle et lucide, qui n’a pas mis longtemps avant de nous conquérir, le petit révolutionnaire de pacotille que nous aimerions être pour bousculer notre existence gentiment pantouflarde.
Malgré lui, Tomi Ungerer a traversé les bouleversements majeurs de l’Histoire récente et il met amplement en évidence ses cicatrices psychologiques pour le prouver. A commencer par son statut bâtard d’Alsacien ballotté entre la France et l’Allemagne dans sa jeunesse, jusqu’au retour de bâton salvateur dans la vieillesse qui a fait de lui un fervent défenseur de l’idéal européen, en passant par toutes sortes de libérations factices des mœurs dans la société américaine : chaque fois sa plume était au centre de l’action pour tenir compte d’une subversion maîtrisée. Le style visuel très concis de son travail ne relève peut-être pas du grand art au sens classique et académique du terme. En échange, sa force expressive de provocation est décuplée par l’insouciance avec laquelle l’artiste dépeint les choses les plus libertines ou barbares. Il est certain que Tomi Ungerer est un trublion de service, mais pas le genre de contestataire narcissique qui se met en scène, au lieu d’apporter sa touche engagée aux sujets qui fâchent, ou plus précisément à ceux que la pudibonderie aimerait bannir de la discussion publique.
La vie de cet artiste complet est tellement riche et mouvementée, marquée par des virages spectaculaires qui nécessiteraient à eux seuls un documentaire entier, que le film de Brad Bernstein gratte au mieux à la surface. Il remplit cependant ce rôle d’introduction à l’œuvre foisonnant d’un homme à l’état d’esprit digne d’être imité avec un sérieux et une sobriété des plus appréciables. L’inclusion de nombreuses animations inspirées des dessins de Ungerer n’y est pas le prétexte pour une forme tape-à-l’œil, mais le prolongement organique de la vision iconoclaste et joyeusement perverse d’un monde dont l’artiste n’a pas vu que les bons côtés.

Vu le 2 septembre 2012, au Casino, Deauville, en VO

Note de Tootpadu: