Titre original: | Autopsie d'un meurtre |
Réalisateur: | Otto Preminger |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 159 minutes |
Date: | 14 octobre 1959 |
Note: | |
De retour d’un week-end de pêche, l’avocat et ancien procureur Paul Biegler trouve un message qui l’invite à rentrer en contact avec une certaine Laura Manion. Son associé alcoolique Parnell McCarthy l’incite à défendre le mari de celle-ci, le lieutant Frederick Manion, accusé d’avoir tué de sang froid l’homme qui aurait violé sa femme. Biegler hésite d’abord à s’investir dans cette affaire courue d’avance, jusqu’à ce qu’il trouve une approche qui pourrait lui permettre d’éviter la prison à Manion : prétendre que le meurtrier ait agi sous l’emprise d’une pulsion irrépressible, un accès de folie temporaire qui ne le rendrait pas responsable de ses actes.
Critique de Tootpadu
La surabondance de séries télé dont l’action se passe essentiellement devant les tribunaux, afin de montrer l’ingéniosité du raisonnement légal de héros du petit écran comme Perry Mason et Ben Matlock, pourrait infliger un sérieux coup de déjà-vu à cette épopée judiciaire signée Otto Preminger. Les enjeux d’Autopsie d’un meurtre ne se trouvent pourtant pas du côté de la recherche d’un coupable, qui serait démasqué in extremis dans le but d’innocenter le pauvre bouc émissaire qu’est l’accusé. Le crime de Frederick Manion ne fait à aucun moment débat, personne ne le conteste, même pas le meurtrier lui-même, dont la justification paraît bien plus calculée que ne le serait une reconnaissance de faute sincère. La sincérité fait d’ailleurs volontairement défaut aux manœuvres mesquines qui rythment un procès dépourvu de grandeur.
Il nous a toujours paru étrange, presque comme une tare inexplicable et impardonnable, que les plaidoiries des représentants des deux camps, l’accusation et la défense, ne figurent pas dans le film. Cette absence s’explique néanmoins de plus en plus, à chaque retour sur ce chef-d’œuvre du genre, par le refus catégorique de vouloir ériger l’intrigue en un cas d’école à la gloire de l’institution judiciaire. La conclusion, elle aussi plutôt atypique, participe davantage à l’orchestration suprême d’un sentiment de frustration et d’injustice, infiniment plus subversif que l’évocation régulière des aspects relativement vulgaires du crime. Le ton mesuré et le rythme parfois pondérant de la narration, comme lors de cette introduction lente qui campe déjà à elle seule la nature réfléchie, voire détachée, du personnage principal, étouffent d’emblée toute propension à l’envolée verbale, au service d’une éventuelle mise en valeur de la perception manichéenne de la justice depuis le point de vue américain. Aucune gratification n’est à tirer de cette histoire où tout le monde s’emploie à une manipulation perfide, sans que ce détournement de l’appareil judiciaire ne produit le résultat escompté. En plus de cette frustration délicieuse, puisque lucide, la narration instaure en effet chez nous un sentiment d’incertitude, pas tellement par rapport aux détails d’une affaire sans véritable zone d’ombres, mais basée sur une perte des repères moraux bien plus sournoise et subtile que le soulèvement de la jeunesse survenu une dizaine d’années plus tard n’a pu l’être.
Derrière la façade d’un drame judiciaire conventionnel, qui s’applique à évoquer toutes les étapes, ou presque, du processus de condamnation devant un tribunal, avec en guise d’une autre omission certainement préméditée pratiquement aucun plan sur les membres du jury, Otto Preminger cache malicieusement un conte sur la perversion de l’homme. L’implication de James Stewart, la vedette sans reproche d’une Amérique idéaliste et attachée aux traditions, dans une telle entreprise cynique n’avait certes plus rien de révélateur, puisque l’acteur avait déjà commencé à explorer son côté sombre chez Alfred Hitchcock, Anthony Mann et John Ford. Mais son interprétation d’un avocat désabusé, qui connaît suffisamment les nombreuses failles du système pour savoir s’en servir judicieusement, est au moins aussi galvanisante que celles de Lee Remick et de Ben Gazzara, dont la jeunesse ne véhicule point de l’innocence mais une forme plus physique de ce don de manipulation, dont personne n’est dupe puisque tout le monde s’en sert à des buts égoïstes.
Revu le 18 mars 2012, au Magic Cinéma, Salle 1, Bobigny, en VO
Note de Tootpadu: