Table-ronde - Paddington - Table ronde avec Guillaume Gallienne

Par Mulder, Paris, Park Hyatt Paris Vendôme, 27 novembre 2014

 
 
Q : J’aimerai savoir comment vous avez abordé le doublage de Paddington par rapport à Peabody ?  Quel a été le changement d’expérience
 
Guilaume Gallienne : ce n’est pas le même film évidemment, l’un est un cartoon et l’autre ne l’est pas. Après, je n’ai pas maquillé ma voix que cela soit dans l’un ou dans l’autre. J’ai déjà fait des choses où je maquillais plus ma voix comme Sammy ou U Lazare le lézard. C’est vrai que la voix était plus maquillée disons. Ce sont des personnages très différents donc cela change le jeu puisque Peabody est un papa, son souci est la responsabilité. Il est même un peu trop coincé au début là-dessus alors que Paddington est un enfant, un enfant de quel âge, on ne sait pas, il pourrait en avoir huit comme douze ou treize. On ne sait pas trop. Le moteur de Paddington  c’est vraiment la naïveté mais la naïveté pas infantilisée, ce n’est pas un crétin. Il est plus intrépide qu’insolent mais c’est une vraie naïveté. Il est en découverte de tout même d’émotions graves voire tristes. Il découvre à chaque fois. Cela le surprend souvent avec pudeur mais toujours avec courage. A chaque fois, il rebondit, il y va, il constate les choses, il encaisse mais il y va. Il me touche beaucoup. Là où je trouve cela très bien fait dans le film c’est que s’il devait être un enfant, si les enfants devaient s’identifier à lui, je trouve cela juste car il a des moments de gravité comme des enfants peuvent en avoir. Je trouve cela très bien fait. Ces moments drôles ne sont pas forcément dans des mises en scène hyper efficaces, il se trouve que c’est drôle mais ce n’est pas schématique. Je trouve cela souvent beaucoup plus poétique. Le film est très poétique. Je connaissais les livres enfant car j’avais une amie anglaise qui me les a fait lire ou lu. C’était en anglais. Ce que je trouve très bien rendu dans le film c’est que les deux raisons pour lesquelles Michael Bond a écrit cette histoire début en 1956, c’était pour un, le fait qu’il était traumatisé par les enfants orphelins pendant la guerre et l’après-guerre qui étaient là avec une étiquette autour du cou, il a été traumatisé par cette image et par le racisme qu’il y avait à Londres dans les années 50 où il a vu des noirs qui n’avaient pas le droit de rentrer dans des restaurants et des choses comme cela. Je trouve que ces deux choses-là sont extrêmement bien rendues dans le film avec beaucoup de subtilité. C‘est aussi un film sur le racisme, sur l’acceptation de  l’étranger, malgré ou voir grâce à ces différences. On voit qu’il y a quelque chose de l’ordre de sans famille, de Dickens comme la première image dans la gare où il est pile à un endroit où c’est marqué lost and found. Il y a quelque chose de touchant comme cela. J’ai versé ma larme plusieurs fois en le faisant. C’est vrai que là ce n’est pas cartoon, les personnages en face c’est Hugh Bonneville, Nicole Kidman, Julie Walters. D’ailleurs l’acteur anglais Ben Whishaw ne maquille pas sa voix du tout non plus.
 
 
Q : Est-ce que vous trouvez dans Paddington que les habitudes et coutumes anglaises sont bien représentées ? Qu’aimez- vous particulièrement chez les anglais ?
 
Gallienne : Je trouve qu’elles sont très bien représentées. Mais justement,  la qualité du film par rapport aux livres c’est que le film se dégage de cette limitation aux folklores britanniques entre guillemets. Cela y est mais ce n’est pas un code permanent et obligatoire. Cela y est en référence parfois d’une manière assez drôle mas ce n’est pas aussi présent que dans les livres. Je trouve que le film se dégage vers une poésie un petit peu plus universelle que cela soit le décor de cette maison avec cet arbre dans l’escalier qui fleurit à la fin , des images qui sont assez merveilleuses et pas seulement « Would you want a nice cup of tea ?» . Cela y est mais point trop n’en faut. Mrs. Bird est d’une originalité démente. Julie Walters en fait un truc tout simplement génial et moins uptight que peut l’être Ms Bird dans la collection de livres. Ce que j’aime chez les anglais, je ris tous les jours en Angleterre. C’est ce que les anglais appellent sense of humor and wit. Il y a un humour, pas un esprit, anglais qui me fait rire. C’est ce qui me manque le plus quand j’en suis loin, c’est cela, et puis la langue anglaise , je parle anglais à mon fils et quotidiennement mais d’entendre l’anglais cela me manque parce que la tonicité de la langue. C’est une langue qui est quand même synthétique, qui est rapide, tonique. C’est une langue où tous mots peut-être un verbe. C’est une langue qui peut être très  active. On peut transformer tout  mot en verbe. C’est ce qui me vient à l’idée. Après le côté cosy, nice cup of tea, les scones, tout cela j’adore mais je suis ravi en même temps d’habiter Paris, de ne pas avoir une pression d’eau de douche aussi nulle que celle qui existe en Angleterre, de ne pas me brûler les mains dès que je veux avoir un peu d’eau chaude d’un robinet car en fait l’eau froide et l’eau chaude sont forcément séparées en Angleterre. Après, il y a plein d‘avantage d’être en France plutôt qu’en Angleterre. Ce n’est pas la question.
 
 
Q : J’aimerai sortir un peu de Paddington pour vous demander quels sont vos projets en tant que réalisateur. Par exemple un film en anglais pourquoi pas.
 
Gallienne : On m’en a proposé un, même plusieurs. Il y en a un que je vais lire mais je ne me vois pas accepter un film de commande avant d’avoir réalisé mon second film que j’ai en tête depuis douze ans et que j’écris en ce moment mais que je ne tournerai avant l’automne 2016 pour deux raisons. La première c’est que cette année j’avais des engagements auprès du français qui étaient de longue date que cela soit Lucrèce Borgia (en avril)  ou encore  Oblomov d'Ivan Alexandrovitch Gontcharov au Théâtre du Vieux-Colombier et la reprise d’Un fil à la patte en juin. J’ai accepté deux longs métrages en tant qu’acteur en 2015, février/mars et septembre/octobre je serai en tournage mais après à partir novembre 2015 jusqu’en juillet 2016 je voulais être disponible pour la première saison programmée par Eric Ruf qui est notre nouvel administrateur général. Je voulais être disponible pour sa première proposition artistique. Donc, cela ne sera pas avant 2016 pour le tournage donc il ne sortira pas avant 2017. C’est une histoire que je porte en moi depuis douze ans. Je l’écris et cela ne parlera pas de moi. Pourtant François Truffait disait que l’on faisait toujours le même film. C’est tiré d’une histoire vraie. Une amie m’a raconté il y a douze ans sa vie. Cette histoire ne m’a pas quitté depuis. Je la porte en moi. J‘ai l’impression d’en connaître chaque silence, chaque respiration. C’est l’histoire d’une jeune femme qui a grandi dans une famille qui ne parlait pas, qui ne recevait personne, qui vivait les volets clos et qui a 20 ans a pris son baluchon et est montée à Paris pour être comédienne sauf qu’elle n’avait pas les mots pour se défendre. Cela m’a toujours touché les gens qui n’avaient pas les mots, pour un grand bavard comme moi. C’est un sujet sur une personne modeste, humble très humble, modeste aussi socialement. Cela me demande beaucoup de travail car je ne le suis pas du tout et il faut que je rentre dedans. Je cherche aussi comment filmer la simplicité et la pauvreté sans que cela soit glauque. Pour l’instant l’auteur que je suis est partagé entre l’homme d’images et l’homme de lettres. J’écris des transitions, des liens beaucoup trop littéraires  que je raye car ce que j’aime au cinéma est l’ellipse. Il faut donc que je trouve l’ellipse qui n’est pas littéraire, pas explicative qui se fait soit à l’image soit contre l’image. Cela peut être un cut. Je cherche cela dès l’écriture pour ne pas dépenser de l’argent inutilement. Comme
 le sujet est humble, j’aimerai que le budget le soit aussi. Je trouve cela important. Mais, je n’ai pas été élevé pour faire avec peu de moyens. Il faut que j’apprenne en tant que co-producteur je m’y attelle dès l’écriture pour ne pas me dire à moi-même qu’il faut couper.
 
Q : le pitch a l’air intéressant sinon j’aimerai revenir à Paddington. S’il y avait une suite, est ce que vous aimeriez avoir un rôle physique et si oui quel type ?
 
Gallienne : bah non, maintenant je fais la voix de Paddington donc je vais continuer à faire la voix de Paddington si il y a une suite. Maintenant jouer en anglais oui volontiers, je l’ai déjà fait et j’adore le faire. Jouer en anglais bien volontiers. Maintenant qui est mon personnage préféré dans Padington, je peux vous répondre. Je pense que c’est Mr Brown. D’abord, j’adore cet acteur, je n’ai aucune envie de le remplacer. Il est génial. J’aime beaucoup ce personnage parce qu’il évolue beaucoup. Au départ, il est assez hostile mais il arrive quand même à demeurer sympathique. Au départ, il tient des propos qui sont limites. Il est dur, il n’est pas du tout généreux au début. Il évolue bien. 
 
 
Q : après tous les doublages que vous avez pu faire dans M. Peabody et Sherman : Les Voyages dans le temps, dans Sammy 2, vous avez acquis une sort d’aisance au doublage même si c’est  évidemment plus simple. Avez vos acquis une certaine méthode ?
 
Gallienne : Ce n’est pas une méthode mais disons que je n’ai jamais été impressionné par la bande rythmo. J’ai chopé le tuc d’entrée mais je fais cela aussi avec le serpent dans la série le Petit pince. Je fais aussi cela toutes les semaines sur France Inter. Je n’ai pas de bande rythmo mais la manière de dire le texte, d’être face un micro et sans public présent, je le fais toutes les semaines et cela  fait cinq ans et demi que l’émission existe. J’aime cela, j’aime plonger sans décider auparavant. Pour France Inter, je ne lis jamais les textes avant. C’est souvent des textes que j’ai lus il y a longtemps, ou je me souviens. Je ne lis jamais avant. De même en synchro, j’écoute une fois la scène en anglais car elle existe en anglais. Je l’écoute une fois mais je n’essaye pas de la concurrencer. Je retiens l’information dramaturgique et après je plonge. C’est ce qui m’amuse, qui rend la scène créative. Mais surtout que cela soit en radio ou en studio de doublage on n’a pas peur de se planter Je ne fais pas tellement de prise en fait. C’’est une histoire d’énergie. En plus, je retiens très vite les textes. Je les retiens presque malgré moi. Je suis  plus sur l’image que sur la bande rythme. Je ne suis pas du tout collé à cette bande. Mais c’est un rôle physique, on est derrière  une petite barre avec micro. Sur place, il faut bouger beaucoup. Pour Paddington, il y avait beaucoup de moments, ou il se casse la guele. Il fallait que cela sente le vécu pour que cela passe.. Il ne faut pas avoir peur de se planter. Tout cela colle à m’image. 
 
 
Q : Quel regard portez-vous sur le film en tant que réalisateur et comédien ?
 
Gallienne : Je trouve le film extrêmement bien réalisé, puisque extrêmement délicat et poétique et jamais schématique comme je disais tout à l'heure. Même la scène de travestissement de Hugh Bonneville c’est étonnant, comment c'est traité. C'est très intelligent. C'est rare le travestissement traité comme cela d'ailleurs. Nicole Kidman m'a bluffé par ce que je trouve qu'elle a chopé un truc, qu'elle est d'une sincérité dans son rôle et en même temps en décalage par rapport à l'univers et à Paddington. Cela s'adresse aussi à des gamins de cinq ans. Je trouve qu'elle le tient. Je ne sais pas comme elle fait et j'adore cela, on ne pas voit les ficelles et me dire elle fait comment, par ce qu'elle est tout le temps sincère. Elle est presque touchante. On sent une femme meurtrie, une petite fille meurtrie qui a été humiliée enfant. Elle ne grossit pas tellement les choses, même avec le voisin épouvantable et puis tout cela. Elle ne grossit pas tellement, c'est sur un fil et le fait qu'elle ait accepté en se prenant une remorque entière de fumier sur la gueule, mais cela chapeau. C'est la classe quand même. Elle est étonnante et puis le rythme qu'elle a, la lenteur qu'elle a dans ce chemin là qu'elle traverse. Elle trace une route qui se termine sous le fumier mais quand même. Le film s'adapte non seulement au passage et imite mission impossible. Je la trouve vraiment forte. J'adore aussi Julie Walters. Elle pourrait lire le bottin que je trouverai cela bien. Je suis fan de cette actrice. Là aussi, c'est génial la scène de beuverie. Mais cela c'est aussi la puissance de jeu de ces acteurs-là qui jouent très sérieusement les scènes et ne perdent jamais la crédibilité même en poussant le curseur. Cela ne se réduit jamais à la grimace. « It's Never an attitude ». C'est toujours la même attitude et toujours avec un brin de fantaisie. 
 
 
Q: justement pour revenir sur cette question. Est-ce que vous pouvez nous donner votre point de vue sur ce qui nous paraît un peu en France disproportionné c'est la polémique vis à vis de la censure britannique qui voit des insinuations sexuelles 
 
Gallienne : Mon avis c’est que les personnes qui ont pris cette décision consultent. Il faudra déjà commencer par deux séances par semaine. Cela ne serait pas irraisonnable. Après plus largement le politiquement correct me gave mais il est la conséquence de choses qui parfois sont aussi positives. Notre société évolue et parfois il y a des abus de certaines choses mais parfois quand une femme se fait violer, aujourd'hui ce n'est pas de sa faute même si elle portait une mini-jupe, on ne casse pas des pédés. Le racisme et l'antisémitisme sont condamnés par la loi. Donc parfois cela amène à des excès inverses qui sont le politiquement correct. Après, je pense qu'à force de vouloir protéger nos enfants, on risque de les bêtifier. Je suis très surpris qu'aujourd'hui on continue à considèrera quelqu'un de vingt Huit ans comme encore un gamin .je vois également des jeunes de vingt-huit ans qui se comportent comme des ados. Ils peuvent être en costume cravate et parler avec une voix Grave. Parce que l’on meurt  de plus en plus vieux, on imagine qu’il y a un décalage. , que rentrer dans la vie active est de plus en plus compliqué. Après je peux développer sur plein de choses qui sont des conséquences mais cela fait réfléchir c'est vrai. Maintenant la référence sexuelle de la scène de Hugh Bonneville. Non mais c'est drôle de différencier les déguisements quand il s'agit d'un travestissement. Je pense qu'il s'agit de cela. Si il y a un âge auquel on se déguise c'est bien l'enfance. Les soirées à thèmes c'est drôle mais cela peut mal tourner. Je ne vois pas pourquoi vous riez. Je ne comprends pas. C'est un excès de zèle. Après que l’on n’emmène pas un enfant de moins de cinq ans, moi je comprends. Je trouve qu'il y a dans le film des choses un peu dures. Si j'avais un enfant de moins de cinq ans, je ne l'emmènerai pas. Mais à partir de cinq ans cela va, il y a eu tellement d'abus. C'est cela le problème. C'est presque un message politique pour dire attention. Mais dans ce cas-là qu'ils disent attention sur certains sites internet. En même temps quand on autorise les kiosques à journaux à afficher en extérieur de kiosques à hauteur d’enfants des couvertures de magazines porno, est-ce que l’on peut être juste être un tout petit peu cohérent. Cela dit, je ne sais pas si cette information est juste pour l’Angleterre. Je ne sais pas ils ont la même chose. Il faudrait vérifier.
 
 
Q : Est-ce que vous avez vu ce film avec votre fils?
 
Gallienne : Non, on y va dimanche mais cela y est, on est déjà dans les bouquins. Il est déjà à fond. Il est Paddington et moi Mr Brown. En plus, on vient d’acheter un chien. L’animal à poil dur on connaît. Il avait vu Peabody et dans ce film, dans son dernier tiers, il y a un moment où on pense qu’il est mort. Mon fils a retenu son souffle et au moment où la salle s’est rallumée, il a explosé en sanglot. Pendant quinze minutes. Donc là, je l’ai prévenu. Attention, il y a un moment dans lequel on a très peur. Il y a des moments où c’est émouvant. Je l’ai prévenu. Je ne m’attendais pas du tout à cette réaction. Cela m’a vraiment overwhelm (en anglais). Mais il est content. C’est plus le ludisme de la chose, du sujet, du film, ce qu’il peut raconter de moins drôle mais d’intéressant. Après, je lui raconte le doublage. Je lui ai fait faire un peu de doublage en rigolant en lui disant, tu peux me la jouer, là il a peur. C’est juste de l’amusement.
 
 
Q : Lors de la présentation des images, vous nous aviez parlé de deux jours de doublage. Pouvez-vous nous dire comment cela s’est déroulé ?
 
Gallienne : Je suis arrivé en studio, j’ai rencontré Valérie qui m’a dirigé pendant ces deux jours ainsi qu’un monsieur de studio Canal qui supervisait tout cela, le technicien. Les anglais nous ont dit vraiment qu’il ne fallait jamais perdre la naïveté. J’avais déjà vu quelques images. On a commencé dans l’ordre du film. là c’est avec son oncle et sa grande tante, ok let’s go.. Je l’ai fait, on me montrait la scène en anglais, je la faisais tout de suite. On se parlait ensuite. On parlait, on réécoutait la scène et on se disait, peut être que  là c’est plus punch ou là attention par rapport à la scène d’après. Est-ce que là on ne devrait pas être plus. On réecoute en anglais ce qu’il fait, oui mais là en français c’est plus. Vous êtes sûr de ce mot là et si je proposais cela, vous verriez bien au montage. On s’est très bien entendu sur les propositions. J’ai fait seul le montage. Etant donné que je suis bilingue, je n’avais pas besoin. J’écoutais en anglais. Je sentais bien l’énergie que je mettais dans Paddington en français n’est pas la même du tout que l’acteur anglais. Je trouve qu’il est vachement sur la réserve. Je le trouve assez grave, plus posé que ce qui m’est venu moi parce qu’l y a une tonicité qui est écrite dans la langue anglaise et qu’il faut décider en langue française. On est la seule langue où l’accent tonique est libre de choix. Cela change beaucoup. Il y a des moments où c’est à l’acteur de décider où il va tonifier le verbe ou la phrase alors qu’en anglais c’est d’office.
 
 
 
 
Avec tous nos remerciements à Youmaly de l’agence WayToBlue
Propos recueillis et transcription par Mulder
Montage vidéo: Mulder