Table-ronde - Table ronde Au bonheur des ogres

Par Mulder, Pathé Films, 16 octobre 2013

Table ronde Au bonheur des ogres
Mercredi 16 octobre 2013

Nous avons du découper en deux parties notre vidéo de la table ronde:

partie 01:

partie 02:

 

Présentatrice : bonsoir messieurs dames merci d’être là. Nous sommes très honorés d’avoir ici Mr Pennac et Mr Bary. Peut-être avant de commencer, Sophie va juste faire un tour de table pour présenter qui est là et vous laissez la parole rapidement puisque que ces deux messieurs ne vous connaissent pas et rapidement rappeler de quoi parle votre site, votre blog pour voir vers où la conversation va s’axer. Merci beaucoup d’être là, cela fait plaisir… (présentation des différentes personnes autour de la table). Vous pouvez prendre la parole en levant la main. N’hésitez pas comme a dit Sophie de twitter pendant la table ronde avec le hashtag. Olivier vous retwittera pendant ce moment.

Nicolas Bary : merci de vous êtes présentés, c’est nous qui vous posons les questions ? Nous vous retwitterons nous-mêmes (ton humoristique)

Q : j’ai une question pour Daniel Pennac, j’ai entendu que vous aviez refusé beaucoup d’adaptations de vos livres.

Daniel Pennac : Pourquoi Nicolas ?. Parce qu’il y avait une prime à l’enthousiasme. C’était très instinctif. J’étais dans un théâtre où je lisais le Bartleby de Melville qui est une nouvelle sur le non désir radical et j’ai lu cette nouvelle pendant trois ans au théâtre et un jour en sortant du théâtre ce fou furieux me saute dessus en me disant je veux faire Au bonheur des ogres donc le désir total. Je venais de m’occuper du non désir et je lui ai dit si tu veux le faire fais le. C’était vraiment la prime à l’enthousiasme. C’était très préparé avant. Sur le bonheur des ogres il n’y a pas eu grand-chose avant. Il n’y a eu que quelques demandes et qui se sont toutes heurtées dans la réalisation à la question des grands magasins. Comment filmer dans un grand magasin ? Apparemment cela a été rédhibitoire pour certains mais lui, il m’a montré ses deux courts-métrages. Une fois qu’il m’a montré ses deux courts-métrages je lui ai dit fais ce que tu veux, tu as ma bénédiction. C’était vraiment sur l’enthousiasme. C’est pareil pour l’autre, Ernest et Célestine, il y avait un tout jeune homme qui avait 20 ans quand il a commencé le film, pareil. La jeunesse quelle enthousiasme. Le désir de faire quelque chose. Nicolas, c’est effarant. J’aurais voulu l’empêcher, je n’aurais pas pu.

Q : avez-vous pensé un jour à être adapté au cinéma ?

Pennac : non, en écrivant la saga Malaussène, je me disais même que cela n’était pas adaptable parce que pour moi ce ne sont pas des livres d’images. L’écriture produit des images mentales pas de l’image rétinienne. Par exemple, dans les Malaussène, aucun personnage n’est décrit physiquement. On ne sait pas à quoi ressemble Malaussène ni Julie. On sait uniquement que Julie a de jolis seins et cela ne suffit pas pour décrire une personne, que Clara a une voix de velours. C’est assez banal comme expression et cela ne suffit pas non plus à définir quelqu’un. Il n’y a pas de description à proprement parler et pourtant quand Nicolas est arrivé, la première chose qu’il a dite, je vois ce magasin sortir la nuit et je vois ceci.. De toute façon, toutes ces phrases commencent par je vois. Tu vois, tu montres très bien.

Bary : je vois des milliers de figurants..

Q : est-ce que vous pensez aussi signer l’adaptation des autres livres de la saga Malaussène ?

Bary : c’est un peu aussi lié au succès ou pas du ce premier film. Il faut qu’il y ait un public qui ait envie de cela déjà.

Q : derrière vous avez-vous l’envie secrète de réaliser d’autres films sur Malaussène et leurs aventures ?

Bary : est-ce que déjà Daniel aurait envie d’une autre aventure

Pennac : moi, cela m’est complètement égal. Dans la mesure où Nicolas est lui-même un ovni qui est arrivé et qui a reporté comme cela Au bonheur des ogres et paf il le met au cinéma. Jamais j’avais pensé que le sort, que le destin de mes bouquins était de finir sur un écran. Vraiment, je n’ai jamais pensé cela mais, encore une fois, quand il arrive lui et il parle de Au bonheur des ogres avec moi, il m’en parle essentiellement par l’image et c’est cela qui m’a frappé. Si vous me demandez de parler de Au bonheur des ogres, vous auriez très peu d’images. Vous auriez des considérations sur le bouc émissaire, sur la boucémissarisation, René Girard qui est un philosophe que beaucoup d’entre vous ne connaissent sûrement pas à partir duquel est née cette idée. Niende de l’image. Belleville, mais en fait parce que j’y habite. Il est prudent de ne parler que de ce qu’on connaît. Si Malaussène habite à Belleville c’est parce que j’y habite. Il y a très peu de métaphores. Donc si l’ovni là à ma gauche débarque avec la même envie ravageuse de faire quelque chose. Je lui dis, fais le. C’est autre chose, vous comprenez. C’est un autre mode d’expression. C’est un art à part entière, un mode d’expression à part entière. Les gens ou ils trouvent des sujets ou ils adaptent des livres mais on n’est pas beaucoup plus propriétaire du sujet qu’il trouve ou du livre qu’il met à l’écran. C’est lui l’auteur.

Bary : c’est un peu comme dans le monde de l’opéra où il y a des compositeurs qui ont fait des opéras sur des livrets qui existaient déjà. J’ai choisi cette idée là car cela me parle. Effectivement, je pense qu’il peut y avoir une approche que j’ai envie de mettre en scène au sens orchestre, faire converger des énergies. Au cinéma, c’est cela qui est intéressant, c’est d’avoir plein de gens qui se réunissent pour faire un projet ensemble. À la différence du livre ou le lecteur aussi projette son univers et son imaginaire par rapport à la lecture. Le cinéma donne quelque chose d’assez concret par l’image de son. C’est vrai, que c’est là aussi qu’il était chouette d’avoir une salve commune entre le film et le livre. On ne peut pas dire que l’un soit le calque précis de l’autre. Le temps de lecture est différent. On peut mettre plusieurs soirées plusieurs semaines alors qu’un film cela dure 1h30 il y a des choses que l’on va raconter en quelques plans. On va raconter une idée alors que l’on peut la développer sur un chapitre entier dans un livre. C’est obligatoire qu’il y ait des différences on va dire. Pour moi, l’important c’est que la sève, la tonalité, ce que l’on ressent en fait soit fidèle au livre et je reviens sur l’image de l’opéra, c’est vrai qu’il peut y avoir comme cela l’opération des livrets qui vont transporter avec une certaine mise en scène le spectateur sans remettre en question le texte de départ. C’est cela que je voulais absolument dans l’adaptation.

Q : justement, le travail que vous avez effectué sur comment passer du roman au scénario, cela s’est passé comment ? Est-ce que Daniel Pennac a participé aussi ?

Bary : on s’est parlé souvent en fait d’abord en se voyant assez régulièrement et où Daniel me disait raconte-moi Au bonheur des Ogres. Je lui disais que c’était un peu compliqué de lui raconter Au bonheur des ogres car vous en êtes le père mais au final c’était sa façon de me dire raconte-moi ta version entre guillemets du film pas du livre. Du coup, progressivement cela m’a permis de m’approprier cette histoire et en ayant une très grande conscience que l’adaptation littérale ne ferait pas un bon film. Daniel me poussait à ce que je ne cherche pas à être trop fidèle et en même temps je l’étais de fait car je n’avais pas envie de ne pas l’être mais en me disant s’il faut adapter des choses pour que le film soit bien, fais le. Je dirais qu’après il y a eu des réflexions de type par exemple que le livre étant sorti en 1985 et que là on est quasiment 30 ans plus tard. En 1985 j’avais cinq ans.

Pennac : incroyable. La plupart d’entre vous n’était pas né.

Bary : Une première question, c’est de se dire par exemple quand on fait l’adaptation et de se dire si on va l’adapter dans l’époque où aujourd’hui. Moi, je me suis dit faire un film d’époque sur certains sujets c’est vital mais là en même temps quand je lisais Au bonheur des ogres je ne me l’imaginais pas dans l’époque des années 80 mais dans une sorte de moment intemporel c’est un peu cela que j’aime dans la mise en scène ce n’est pas forcément recréer la réalité. Comme c’est un conte Au bonheur des ogres, pour parler d’un conte on commence par dire il était une fois, on imagine des choses. Je me suis dit, il était une fois Au bonheur des ogres et en le lisant j’imaginais une modernité par mon vécu et par le fait que je pensais que c’était bien de l’adapter aujourd’hui. Déjà dans la back Story, c’est dire l’histoire qui se passe dans le passé dans l’histoire car il y a des disparitions d’enfants en 1985 il y avait des liens avec la deuxième guerre mondiale puisque le magasin était fermé pendant celle-ci et c’est là que les sacrifices d’enfants avaient lieu. Là on s’est dit si on l’adapte 30 ans plus tard, les mecs qui étaient pendant la deuxième guerre mondiale en âge de faire cela sont très âgés. On s’est dit, tant qu’à adapter dans l’époque on va transformer du coup un peu cela est on s’est dit remettons les ogres encore en activité dans le magasin pour encore ancrer plus l’histoire dans le magasin puisque visuellement il va être très au centre aussi cet endroit. On s’est dit il faut vraiment que le magasin devienne l’ogre en chef et là on a commencé un peu à triturer la partie policière car c’est un polar au départ pour essayer de reconnecter ces choses que l’on a déplacées dans le temps. La première chose que je me suis dite dès le départ c’est que le narrateur de Malaussène dans le livre est beaucoup à la première personne en racontant ce qu’il ressent et etc . Je me suis tout de suite que l’on va mettre une voix off du coup. Cela va être un film de voix off, bonjour je m’appelle Benjamin Malaussène, je vous présente ma famille. C’était presque tentant en fait en lisant le livre qu’ on allait attaquer comme cela. Je me suis dit c’est la meilleure façon d’être dans quelque chose qui se calque qui va presque être trop proche et puis à l’image dans un film cela peut être distancé. On peut être à distance. Le personnage qui dit je vous présente ma famille, on va commencer à faire des plans pour montrer mais avec une sorte de recul car c’est lui qui raconte. Ce n’est pas le cas dans un livre alors que là dans un film.Il y a eu plein de films très efficaces avec une voix off ces dernières années alors je me suis dit une contrainte c’est pas de voix off. Il y a quelques phrases au début et à la toute fin. Du coup, on suivait et on découvrait l’histoire avec les personnages. Du coup, cela le mettait différemment au centre de tout ce qui se passe autour de lui et on colle à la découverte de l’histoire par son biais. Il y a eu plein de choses comme cela. Je suis un peu bavard.

Pennac : ce n’était pas la guerre de 40 mais celle de 14. En 14, suicide européen, suicide mondial. On a quand même commencé notre 20e siècle par deux suicides continentaux. Tout le monde s’entretue et les esprits étaient rendus tellement dingues par ces suicides que lorsqu’il y a une petite secte démoniaque comme cela et d’autres sont nées dont une qui pratiquait les sacrifices d’enfants. A la fin de la guerre, en 1920, le ministère de l’intérieur a été obligé de monter une section spéciale de flics dont le boulot consistait à démantibuler ces sectes tellement il y en avait. La folie meurtrière, universelle et justifiée par les gouvernements qui se faisaient la guerre et est entretenue et a provoqué la folie individuelle de petits groupes de gens qui se réclamaient de grands démoniaques.

Q : J’aimerais savoir Daniel Pennac à quel stade vous avez découvert le film et quelle a été votre réaction ?

Pennac : je suis allé une première fois dans le Luxembourg voir une scène de tournage qui était la scène de fin en fait. Comme je n’y connais rien en cinéma, je n’ai jamais manié une caméra de magie, c’est un art que je ne serai pas pratiqué car il faut rassembler une armée de gens avant. Moi, je suis tout seul dans mon coin avec mon stylo .

Bary : J’ai vu que vous aviez un ordinateur.

Pennac : oui car sinon je dessine. Cela se joue entre moi et moi et donc je suis allé voir l’armée avec le général en chef qui était la (en montrant Nicolas Bary). C’était un général en chef extrêmement gai. C’est assez rare aussi car je suis allé sur d’autres tournages aussi. Ce qui m’intéresse en tant que romancier ce sont les pauses, les gens qui prennent des poses, passent à la postérité, prennent des poses, les journalistes qui prennent des poses des professeurs face à leurs élèves qui prennent des poses. Il y a dans le monde du cinéma, la pose c’est merveilleux à observer. J’y allais en me disant même si je m’ennuie je verrais des poses et Je n’ai pas vu de poses. J’ai vu un gars qui était exactement comme avec moi et qui était avec tous ses comédiens et techniciens un chien qui ne voulait pas se coucher où on lui disait de se coucher. J’ai passé une matinée très agréable en me disant que je ne saurais jamais faire ce métier. Le contrôle de tant de sensibilité au même moment et qui se contrôle dans la répétition des scènes que l’on fait. Cette scène a été refaite je ne sais pas combien de fois. Ce n’est pas que les comédiens gardent leur calme que j’admire, c'est le fait que le réalisateur arrive à faire en sorte qu’ils gardent leur calme. Je trouvais cela formidable

Bary : c’est parce que vous étiez là aussi. J’ai eu beaucoup plus de difficultés sur le tournage.

Pennac : un vrai dresseur de fauves.

Q : et concernant le film fini ?

Pennac : le film fini, ce qui m’a frappé c’est le rythme. Je me suis dit qu’il y avait un rythme narratif qui lui était fidèle au livre. Le livre va assez vite et le film va également assez vite. Ensuite, il y a évidemment des différences. C’est un film générationnel. Les gosses ne parlaient pas en 1985 comme Nicolas les fait parler aujourd’hui. Cela m’a frappé. En réalité la question ne se pose pas car un auteur n’a pas d’image rétinienne, il a une image mentale. Il a beau dire, écrire que Thérèse est un sac d’os, qu’elle est absolument électrique. S’il vous dit de quelqu’un qu’il est électrique, du point de vue des images, il n’y a pas tellement de... En regardant le film Au bonheur des ogres, je regardais les qualificatifs qui déterminaient le personnage de Thérèse, aucun ne pouvait être pris pour une description et restitué en passant de l’image mentale à l’image rétinienne. Pour moi, Thérèse est un caractère anorexique, électrique, tendu, inquiet. Par ailleurs j’ai aussi une image rétinienne parce que j’ai évidemment une copine qui ressemble beaucoup à cette fille. Celle-ci, nous lisait les lignes de la main et nous racontait à tous des destins effroyables alors moi par bonheur cela ne s’est pas se passé comme cela mais je devais être assassiné à moins de 30 ans et en laissant derrière moi une oeuvre posthume alors qu’en réalité j’ai commencé à écrire à 40 ans et que je ne laisserais sûrement pas derrière moi une œuvre posthume. De voir cette jolie Thérèse par exemple n’a rien à voir avec ma Thérèse mentale mais cela m’a plus. Je me suis dit, elle est plutôt mieux. Et s’améliore. L’amélioration de l’espèce humaine.

Bary : c’est vrai que moi lorsque je faisais le casting. Quand j’ai vu cette jeune nana arriver hyper grande complètement décalée et jouant du violoncelle avec un truc touchant en même temps. Sa mère m’a fabriqué une girafe et m’a dit que c’est pour attirer les bonnes ondes pour la sortie du film. Sa mère est complètement sorcière. Il y a une espèce de truc de très Malaussènienne dans son univers personnel, dans sa façon d’être et tout est complètement décalé. Il y a moment où les gens que je rencontre , j’ai envie qu’ils montent sur le bateau et puis c’est là que je trouve que c’est intéressant aussi. Peut-être qu’à une époque j’avais tendance à vouloir faire rentrer les gens dans un cadre extrêmement précis, que là je fait beaucoup de choses très précises dans le choix des accessoires, des costumes et j’aime beaucoup plus rebondir sur les personnalités des gens c’est cela qui me motive vraiment aussi dans ce travail c’est de construire avec chacun qui amène un peu son propre univers au projet. Du coup, on étend les coups de cela, c’est pour cela qu’il y a plein de séquences que je fais en étant beaucoup plus en captation que j’ai pu le faire une époque. Par exemple les séquences où Malaussène raconte à ses frères et sœurs, il était écrit que Malaussène raconte l’histoire et que l’on voyait en images ce qu’il racontait. Là, j’ai dit à Raphaël que cela serait bien que tu prépares avant une impro des histoires en question car j’aimerais bien les filmer car cela va être intéressant d’avoir des réactions des enfants qui se marrent, qui écoutent ce que tu racontes. Il s’est passé un truc, c’est devenu l’inverse, plus des plans de coupe pour revenir sur eux, c’était en fait Malaussène qui raconte son histoire qui était de la pure impro donc à chaque prise c’était pas les mêmes dialogues car à chaque fois il improvisait et rebondissait sur ce qui se passait, le gamin qui lui posait une question.. C’est devenu dans les deux scènes lui raconte une histoire comme cela à ses frères et sœurs, c’est devenu presque la colonne vertébrale du montage. En fait, on venait rajouter des plans sur ce qu’il racontait tellement c’était intense. Il était réellement impliqué. En plus, typiquement ce sont des scènes que j’ai remarquées quiplaisaient bien aux spectateurs aussi qui sont très malaussèniennes par ce côté où un moment et ils se retrouvent tous ensemble, un peu au coin du feu à se raconter des histoires et à participer tous. Pour moi c’est comme si c’était un journal télé interactif. Ils participaient à l’enquête tous ensemble en posant des questions et lui dans son côté un peu fantasmagorique qui est aussi qu’une protection de ce qu’il vit dans la réalité, de pouvoir construire son monde onirique et voilà.

Pennac : il y a des moments de grandes fidélités, des moments qui durent une seconde, une seconde de fidélité absolue.

Bary : c’est pas mal sur une heure et demie.

Pennac : le môme qui dort dans un tiroir et qui quand ils gueulent un peu trop fort referme le tiroir

Bary : cela a provoqué un tonnerre de rire à la fin du film.

Pennac : c’est d’ailleurs pas dans mon livre Au bonheur des ogres cela. Il l’a piqué dans un autre (ton humoristique). Il faut le dénoncer, il a piraté dans un bouquin dont il n’a pas acheté les droits (ton humoristique).

Q : j’aimerais revenir sur la figure paternelle qui est complètement absente du film et en même temps il y a ce frère là qui de ses frères et sœurs mais a une image de looser. Il est maltraité. J’aimerais savoir pourquoi et en tant qu’homme c’était assez intéressant.

Pennac :je ne trouve pas moi. Je n’ai jamais trouvé que la description. Je ne sais pas comment dire. Il y a une force, mais cela fait rire, inouïe dans la bonté.

Bary : pour moi c’est le thème du film.
Pennac : une des caractéristiques numéros un de Malaussène c’est qu’il fait un métier totalement pourri, qu’il est lui-même complètement jeté, que la mère fait un enfant par passion et qu’elle se réveille de chaque accouchement pratiquement vierge et remet le couvert et qu’elle vire les mecs les uns après les autres. Il se retrouve donc à avoir à charge les fruits de la passion ce qui coûte forcément beaucoup plus cher qu’un gosse normalement calibré avec des tempéraments différents et que ce qui le caractérise et qui désarme ses interlocuteurs c’est la bonté. Ce type n’est pas agressif. Il n’est pas agressif. Sa première passe d’armes avec Julie au plumard ne se passe pas bien du tout mais elle ne lui en veut pas parce qu’elle se sent qu’il y a de la réserve. Elle sent qu’il y a quand même là une énergie dont elle profitera un jour. Elle a raison. J’appelle bonté la prise en considération et l’existence des autres tels qu’ils sont et avec une certaine curiosité et sans que ces autres aussi différents de moi soit-il n’entament ni ma curiosité ni ma patience. Voilà le personnage tel que je l’ai voulu. Ensuite, peu importe l’existence des pères. Il n’y a pas de pères réels certes, elle les vire mais il y a lui qui est une sorte de paternité idéale. On aurait bien aimé avoir un frère de famille comme celui-là. Il y a lui. Moi, j’ai eu un peu cela dans la vie. J’ai été élevé par un frère aîné qui avait cinq ans de plus que moi et qui m’a élevé mais absolument comme Malaussène élève ses loupiots à lui. Quand il est mort, c’est un frère que j’ai perdu. Avant sa mort, on se promenait ensemble et je lui ai demandé, est-ce que tu te rappelles une engueulade entre nous, une seule. On s’est connu pendant plus de soixante ans. Une seule engueulade et il en a trouvé aucune. Je lui ai dit quand même je devais très chiant et il me disait oui mais c’était intéressant à voir. Finalement, je me suis aperçu que j’étais pour lui toute sa vie une sorte d’objet d’analyse mais qu’il analysait avec une bienveillance immense. Malaussène c’est un peu l’incarnation de cela

Bary : ce qui est rigolo c’est que moi j’ai un frère et une sœur qui sont beaucoup plus jeunes que moi, qui ont 10 ou 12 ans de moins que moi et je me suis beaucoup occupé d’eux. Je comprends aussi pourquoi le bouquin m’a parlé. C’est vrai que le rapport ludique avec eux, et toujours voulu avoir de chouettes rapports il y a des moments où je me suis retrouvé un peu avoir trop de responsabilités pour leur dire ce qu’ils devaient faire ou pas. Il y a un moment où je me suis dit que je ne voulais pas prendre la place entre guillemets mais en même temps j’ai envie de garder un rapport avec eux justement quand on a douze ans de plus que sa petite sœur, on a inévitablement un vécu qui peut apporter des clés sur des trucs mais en même temps c’est rigolo

Pennac : c’est très mal porté en France la bonté. Vous vivez dans un pays où vous entendrez souvent dire qu’il est trop intelligent pour être gentil ou alors en revanche vous entendrez qu’il a trop de cœur pour être intelligent sous-entendu c’est un vrai con. Écouter ce gars-là il est gentil avec tout le monde, c’est un crétin. C’est un des fonds de de la culture française contre laquelle je me suis toujours gendarmé sans compter qu’ on peut être méchant si on veut en faisant un tout petit effort

Q : j’aimerais revenir sur le tournage. C’est votre deuxième long métrage et c’est assez ambitieux le fait que cela soit un livre comme dit Daniel Pennac pas forcément adaptable de plus vous tourniez avec des enfants et on dit toujours que tourner avec des enfants c’est assez compliqué dans un décor vraiment fort. Quelles ont été les choses les plus difficiles sur ce tournage-là ?

Bary : en tout cas pas tourner avec des enfants car comme je le disais tout à l’heure j’ai des frères et sœurs. J’ai toujours abordé les rapports avec les enfants avec une approche grand-frère justement. Je les responsabilise beaucoup avant le tournage en leur demandant s’ils ont vraiment envie de le faire et du coup je ne suis pas dans un rapport dans lequel je les force, ou je leur fais des blagues, où je les chatouille, les taquine. Mais, je ne suis pas dans un truc d’autorité en force. Après, c’est effectivement un film avec beaucoup de paramètres, c’est comme faire un plat avec plein d’ingrédients, plein d’épices car la préparation d’un film c’est réunir tous ces ingrédients et au moment où on fait le plat, c’est l’association de tout cela. Je dirais que c’est plus là où est toute la difficulté parce que pour moi comme c’est un sujet qui était cinématographiquement entre plein de styles. C’est un polar, une comédie, un conte, un film d’aventures, un film décalé, onirique. On n’est pas dans un créneau extrêmement balisé et je trouve que c’est l’originalité du livre et je trouvais que c’est bien que le film garde cette originalité-là. En plus, cela me parlait bien. Je parlais tout à l’heure d’une famille de musiciens classiques. Moi, j’écoutais à la même époque du métal, du rock, défendre, n’importe quoi et j’étais à l’aise dans les deux. J’ai toujours été à l’aise dans des choses contrastées voire contradictoires et il se trouve que comme le titre a déjà cette antonymie là car bonheur et ogre, c’est devenu un peu mon fil rouge sur la fabrication du film en me disant qu’à chaque fois je vais faire des choix et en même temps je vais assumer d’avoir des choses qui sont presque contradictoires. Par exemple, chez les Malaussène il y a un côté un peu de bric et de broc qui peut avoir un côté un peu hors du temps, un peu vintage. Je me suis dit dans le magasin, il faut moderniser à fond même si c’est dans un bâtiment ancien, il faut que cela soit plus à la Citadium, voir assez high-tech dans le bureau de Sainclair. De même dans le choix de Malaussène je me suis dit que si je devais prendre un comédien trop doux cela peut devenir un personnage un peu passif et presque mou, aussi je vais prendre un comédien qui va amener de l’énergie, de la pétillance et de l’humour. Il se trouve que ce comédien c’est un mec qui est un beau gosse et je me suis dit qu’il fallait le mettre dans une machine à laver ou sinon son côté physique qui est très photogénique va être presque trop en avant donc je me suis dit on va régler cela en l’attifant. À chaque fois, il y avait ce jeu-là. Je dirais que la difficulté sur le tournage a été une sorte de doute permanent que j’ai eue qui était de trouver cet équilibre permanent car je trouve que c’est aussi cela qui est touchant chez Malaussène c’est qu’il a un côté fragile dans la bonté au sens pur du terme. Je trouvais qu’il fallait que cela soit un film efficace, un film de divertissement, un film visuel et je voulais que l’on soit touché par les personnages. C’est aussi cela qui est dans le livre. Il y a un style qui est très fort. Il y a un rythme qui est très fort et en même temps il y a des personnages qui restent très attachants malgré cela. Les deux cohabitent. J’ai essayé cela en ayant un univers visuel très travaillé par les décors, les costumes et en même temps avec une caméra qui était plus en captation à des moments comme je disais tout à l’heure et en essayant d’être plus proche de la vraie sincérité de tous ces personnages pour trouver justement cet équilibre dont je parlais tout à l’heure et j’étais constamment à me demander si cette mayonnaise allait prendre, si ce plat allait prendre.

Q : et pour le casting, aviez-vous déjà votre idée en tête en disant que vous alliez prendre pour un tel personnage ?

Bary : Raphaël, je l’ai rencontré sur un tournage il y a une dizaine d’années. Je faisais de la régie en parallèle de mes courts-métrages et lui il jouait un des seconds rôles du film qui s’appelait La Première fois que j'ai eu 20 ans de Lorraine Levy. En fait, je l’ai redécouvert en allant voir La Princesse de Montpensier au cinéma et là j’ai senti qu’il pouvait avoir même s’il ne jouait pas la comédie cette énergie, cet humour et ce sens de la comédie. Emir Kusturica, c’était une idée à l’écriture car c’est quelqu’un que j’apprécie énormément comme réalisateur et je l’avais redécouvert dans La Veuve de Saint-Pierre de Patrice Leconte et je l’avais trouvé très touchant. Guillaume De Tonquédec, je l’ai rencontré au théâtre en allant voir Le Prénom en 1987 et c’est quelqu’un qui a une grande humanité, qui est un gros bosseur et qui quelqu’un qui n’est pas trop dans ce registre-là. Je dirais que c’était intéressant pour lui, il avait envie de jouer un mec plus contrarié. Bérénice, je l’ai rencontré au moment où The artist allait sortir en France et elle était en attente de la sortie et j’ai senti qu’elle avait une vraie motivation dans l’univers de Daniel Pennac, elle connaissait bien le personnage de tante Julia. Il y avait sa motivation qui m’a plus et aussi de fête qu’elle pouvait amener une énergie aussi et quelque chose de pas vulgaire parce que le personnage de tante Julia peut aussi basculer par le fait qu’elle prenne les choses en main, qu’elle est ce côté un peu.. Il ne fallait pas qu’elle devienne une fille qui soit croqueuse d’hommes non plus. Il fallait qu il y ait une approche ludique dans leur rapport et dans leur histoire physique qui ne se fait pas tout de suite. Du coup, il y a une espèce de jeu entre eux. Il y a un côté ludique entre eux. C’est une séduction qui passe pas mal par le jeu et je trouvais qu’il pouvait y avoir quelque chose de sympa entre eux.

Q : et concernant les enfants ?

Bary : pour les enfants, j’ai fait un casting avec la directrice de casting avec laquelle j’avais travaillé sur Les Enfants de Timpelbach. Cela était très rapide pour le petit et pour Armande qui fait Thérèse et cela a été plus long pour Jérémy car c’est un personnage qui est vraiment entre deux âges, il est à peu près ado mais il faut qu’il soit encore enfant, connecté aussi car il participe aux histoires alors que si c’est un ado un peu trop assumé là-dedans, il s’en foutrait et puis en même temps il a ce côté deux ans d’avance à l’école, en même temps il dit des gros mots. En fait, c’était compliqué de trouver cet enfant-là, il se trouve que l’enfant qui joue Jérémy je le connais depuis qu’il est petit car mon père est son parrain. Il se trouve que le père de Adrien m’a dit un jour qu’un Jérémy j’en ai un à la maison. Je le connais bien mais je ne m’étais pas projeté avec lui. Je lui ai dit ok faisons des essais et il a été formidable. Il est cela aussi dans la vie. C’est un gamin qui est surdoué mais voilà qui était d’une certaine façon pas totalement connecté. Il est un peu cancre en étant surdoué.

Bary : encombrant quoi.

Bary : c’est vrai, du coup je me suis dit comme les chèvres dans l’école de Pennac sont devenues cancres. Je me disais, cela colle bien. Il est pile entre deux âges et était parfait entre les vannes et les répliques un peu corrosives et en même temps quand Malaussène raconte ses les histoires, il participe et ce n’est pas faux.

Q : et pour le personnage de Louna ?

Bary : pour Louna, on a pris parti et c’est un choix qui est venu assez en amont parce qu’en fait on s’est dit qu’il y avait déjà le personnage de la mère qui est au téléphone et on s’est dit que cela serait intéressant de garder cette mère absente en ne la voyant jamais dans le film et que cela ne reste qu’une voix. Ils en parlent. Les enfants en parlent c’est tout. Les flics lui en parlent aussi. On s’est dit, il y a beaucoup de personnages mais s’il y a une deuxième sœur qui ne vit pas sous le toit non plus, qui vit à Paris mais pas sous le toit, cela devenait moins entre guillemets efficace. Là, on a vraiment la mère absente et Malaussène quand il rentre, il a sa famille sous son toit et du coup on comprend bien qu’il doit s’occuper d’eux. Du coup, Mélanie qui joue donc ce personnage de Louna qui est un peu un mixte entre Clara et Louna dans le sens tout ce qui a trait à la photographie quand tante Julia fait son enquête on la remise sur tante Julia sur la partie du reportage comme bouc émissaire et sur la partie Clara Louna on va garder la sœur enceinte mais du coup le fait qu’elle soit sous le même toit elle ne lui a pas dit et on a gardé l’idée comme Clara qui est un peu jalouse, on va en faire une sœur un peu jalouse. Quand il y a Tante Julia qui débarque, elle lui envoie des Scuds et quand après elle se réconcilie avec son frère, elle lui dit qu’elle penserait qu’elles l’élèveraient ensemble. Elle est quand même dans une idée, c’est fait de façon douce comme cela, une idée dans laquelle elle va élever son enfant avec son frère. C’est là que cela reconnecte avec Clara. On a fait ce choix là parce qu’une autre sœur cela faire deux sœur à gérer, la sœur et la mère et à partir d’un moment on va comprendre la logique de la famille tout comme on a supprimé le personnage de Théo.

Pennac : il m’a supprimé tous mes personnages (ton humoristique)

Bary : il est très fort à la pétanque car je prenais l’accent cet été. C’est vrai que Théo est une figure amicale. Il ne faut pas multiplier les personnages. Il vaut mieux développer Stojil et avoir ces figures qui est un peu justement ce grand frère ou ce père de substitution puisque justement Malaussène n’en a pas et en même temps un ami. On comprend qu’il est proche aussi de la famille. On a coupé en faisant cette sorte de choix.

Pennac : cela, sur le plan de l’adaptation c’est très intéressant cette question de suppression de certains personnages parce que littérairement je peux tout à fait flanquer autant de personnages que je veux car ce sont des mots. Certains mots en fonction, comment emmener le nom d’un personnage pas forcément l’enlever. La phrase au moment où il apparaît pour la première fois nominalement, l’auteur a ce moment de la page besoin de trois syllabes et ils deviennent un nom. Je dis bien par hasard car à ce moment du texte ce nom-là s’impose poétiquement. Si cela s’impose poétiquement à l’auteur sait qu’il va aussi s’imposer poétiquement aux lecteurs. Cela ne mange pas de pain. Cela fait un personnage de plus. Quand le nom revient le lecteur. Mais, au cinéma, si tu dois incarner tout cela, c’est d’un nombre de personnages énormes. C’est toute la différence entre les mots et les images. Les images en matière de réel doivent provoquer un nombre de gens physiquement, le roman non.

Q : j’ai une question pour vous qui n’a pas grand-chose à voir avec le film mais vous avez parlé de votre frère, de Belleville et de plein de choses à quel point vous vous inspirez de votre monde pour écrire ?

Pennac : c’est le décor immédiat. C’est-à-dire si tu écris un roman urbain qui se passe en ville tant qu’à faire, qu’il se passe dans ton quartier. Tu n’as qu’à regarder par la fenêtre et Belleville c’est mon quartier depuis 1969 donc c’est ma vie depuis toujours en fait, depuis que je suis adulte. Ensuite, la personnalité du frère que j’ai perdu cela c’est autre chose, c’est plus profond, c’est une toile de fond, une éthique. C’est-à-dire, j’ai vécu au contact d’un garçon qui sans faire de vagues m’a imposé son éthique. Ce n’était pas de l’imposition. C’était un exemple, une espèce de transmission quotidienne qui allait comme cela au jour le jour sans jamais d’ exclamation, sans m’avoir donné un seul ordre de sa vie. Ce n’était pas le genre mais c’était un exemple d’un courage incroyable. Dans le monde relationnel dans lequel nous vivons, dans un pays en paix, les rapports commerciaux, tout est extrêmement tendu et extrêmement brutal et encore une fois la gentillesse permanente là-dedans sans jamais se foutre en rogne, sans jamais envoyé de coup de boule même si tu as très envie, très souvent. Si je dis que j’obéissais à mon frère ce n’est pas vrai car jusqu’à 19 ans j’étais pensionnaire et je réglais mes problèmes le plus vite possible donc physiquement. Un jour, à 19 ans, j’ai arrêté définitivement. Pour donner un exemple de la bonté active, notre petit village, on arrive en bagnole avec notre deux-chevaux et il y a une énorme Mercedes qui est garée au milieu de la route alors on descend, on va voir le premier magasin qui se trouve. C’est Albertine, la boulangère. On lui demande si elle ne saurait pas à qui est cette voiture. Elle nous dit je crois qu’elle est au monsieur. Le monsieur c’était une baraque, à lui tout seul il remplissait le magasin. On lui dit qu’il y a une place à côté avec un petit parking. Il y a la queue, les gens commencent à se disputer. Le mec se retourne et nous agonit d’injures en disant oui les Français, c’est toujours pareil, vous n’êtes absolument pas accueillants alors qu on vient chez vous dépenser notre argent.. Je me dis oh merde, on n’en a encore pour un quart d’heure en plus de cela c’est un balaise. On ne peut même pas lui rentrer dans le lard et mon frère qui était maigre comme cela dit vous avez raison Monsieur alors écoutez, nous sommes désolés de vous mettre dans une pareille situation alors soyez gentil, l’année prochaine, restez chez vous et envoyer-nous un chèque, fin de la discussion. Sauf que, en entendant cela, j’ai commencé à chercher tous les objets contendants et je me suis dit ce mec-là va lui sauter dessus et comme c’est une allumette il va le pulvériser alors préparons-nous à mourir glorieusement. C’était cela tout le temps. La façon de résoudre les conflits en faisant de l’humour. Pourquoi je raconte cela ? Oui, c’est ma toile de fond. Le personnage de Thérèse était une de mes copines de philo en terminale qui était branchée sur les astres mais vraiment. Elle nous disait, je n’ai plus le langage mais tout celui-ci se retrouve dans Au bonheur des ogres, sur Saturne radicale, cela va créer des histoires terribles et elle nous lisait les lignes de la main. Elle regardait la main (et poussait un cri). Mais qu’est-ce qui va nous arriver, je ne peux pas vous le dire. Cela s’était Thérèse. J’étais prof pendant 30 ans. Clara était en seconde. Un des avantages du métier de prof c’est qu’ un prof marié qui fait des enfants il a plein de baby-sitters parmi ses élèves le samedi et le dimanche. Clara était une fille de seconde qui était absolument frappante par le calme qu’elle propageait en se déplaçant. C’était inouï. Je travaillais avec des enfants difficultés, voire en grandes difficultés scolaires. J’avais une classe avec un bordel absolument monstre. Quand elle arrivait, la paix, au fur et à mesure se propageait. Quand elle venait le samedi soir à la maison garder notre enfant qui était assez calme mais qui pleurait de temps en temps, on lui collait dans les bras et sommeil immédiat. Elle avait cette voix très basse et de velours, vraiment quelque chose de doux et de ba. Le Stojïl Kovitch était un ami croate et pour me moquer un peu j’en ai fait un serbe. C’était avant la guerre.

Bary : ce qui est marrant c’est qu’ Emir Kusturica était serbe et après il est parti en Croatie.

Pennac : la chose que vous ne trouverez pas non plus dans le film de Nicolas c’est évidemment l’issue sociale, la politique de l’époque. Par exemple, on vivait dans un univers très politisé. Malaussène montre dans Au bonheur des ogres, le livre, qu’il y a une manif CGT dans le magasin. Il est fait plusieurs fois allusion au parti communiste qui n’existe plus ou comme relique. Il y a ce vieux Stojil qui lui était un homme qui s’appelait Din Kosembalt qui était un poète qui avait été moine en Croatie jusqu’au jour où il est tombé dans son couvent sur le candide de Voltaire. Alors vous, vous vous en foutez du candide de Voltaire. C’était un classique qui vous a cassé les pieds. Il a eu cela, il a défroqué, est sorti du couvent et est rentré au parti communiste. Il s’est engagé contre les nazis et les oustachis et leur a fait une guerre terrible. Il s’est bien comporté dans cette guerre puis ensuite Tito, le parti communiste yougoslave de l’époque l’a envoyé faire ses études en France. Il a fait ses études en France. Il s’est fait virer de son parti communiste et il est devenu professeur dans un hôpital de jour avec des enfants autistes auxquels il apprenait le grec ancien. Quand on lui demandait pourquoi leur apprendre le grec ancien, il répondait, mon petit, tant qu’à ne pas communiquer faisons-le en grec. Cet homme avait du génie. C’était un génie pédagogique absolu. Les enfants lui parlaient grec et ils parlaient grec entre eux. Je voulais travailler avec ces enfants mais c’était beaucoup plus difficile que les bandits dont je m’occupais. Cela c’était Din Ko. Autre anecdote de Din Ko, on jouait aux échecs comme avec Malaussène et le téléphone sonne. Il répond deux mots et raccroche et sa fille qui est dans la pièce d’à côté se marre. Il me dit alors, c’est mon père, il est très vieux, il me téléphone de son village d’Epolski et tous ses appels commencent par la même phrase. Il me dit Din Ko, toi qui est savant dis-moi quand je pisse, cela me brûle, qu’est-ce qu’il faut que je fasse. Je lui ai répondu, papa ne pisse plus. C’était cela en permanence. Un autre jour on joue aux échecs et avait Din Ko on peut parler jusqu’à cinq heures du matin. Le téléphone sonne et il me dit que son petit-fils, il vient de naître. Ah bon, il t‘appelle déjà. Non, c’est la maman qui m’appelle. On va aller lui dire bonjour à l’hôpital. On court à l’hosto. En effet, sa fille que je connaissais bien, vous savez comment sont les hôpitaux, ou étaient à l’époque, les nouveau-nés étaient placés dans un aquarium ficelés comme des rôtis comme cela et Din Ko été au-dessus de l’aquarium et le regardait très sérieux comme cela. La petite derrière lui demandait papa comment il est. Papa, papa il est si moche que cela ? À moi, il me dit, il a de grandes mains non ? Je lui réponds que c’est un nourrisson. Il me dit, cela sera un voleur. Sa fille lui dit d’un ton exagéré papa. Il se retourna alors et lui dit, ne t’inquiète pas ma petite il a de grands pieds aussi, la police ne l’arrêtera pas. Cela c’était le modèle. La reine Zabo était une éditrice qui avait le même caractère que la reine Zabo avec laquelle on s’engueulait souvent chez qui j’avais publié deux livres pour les enfants Cabot-Caboche et L’œil du loup. L’oeil du loup sur mon œuvre gigantesque est mon livre que je préfère et elle ne voulait pas le publier. Elle me disait que je l’emmerdais avec mes contes. C’était la reine Zabo. C’étaient beaucoup d’amis.

Q : j’ai récupéré pas mal de questions sur la page Facebook du film. Il tenait tous d’abord à vous remercier à la fois Daniel Pennac et Nicolas Bary d’avoir adapté à l’écran la saga Malaussène. Ils sont très enthousiasmes à l’idée du film. Je vais commencer par une première question de Le monde de Noah, c’est un blog qui a posté sa question, quels sont vos modèles du genre dans le type adaptation cinéma d’un roman ?

Pennac : la nuit du chasseur

Bary :Amadeus

Q : j’ai une seconde question qui est très précise, c’est Nadine qui se demande pourquoi les lunettes du petit ne sont pas roses dans le film ?

Pennac : parce qu’il n’en fait qu’à sa tête. Il m’a trahi (ton humoritique)

Bary : bien, j’espère que cela ne va pas l’empêcher d’aller voir le film. En fait, le truc, effectivement, on a rajouté des sonotones au petit avec cette idée que lorsqu’ils disent un gros mot, il coupe le sonotone pour que lui soit un peu dans sa bulle et soit protégé des gros mots. C’est d’ailleurs rigolo car il y a une blague à un moment où il dit un gros mot, tu me prends pour un con à la fin du film et du coup c’est tellement inattendu car il a l’air si gentil et c’est vrai que l’on avait trouvé des sonotones dans les couleurs mauves et je trouve que c’était pas mal qu’il ait des lunettes qui aillent avec la couleur des sonotones. Pour la deuxième raison, il avait déjà des bonnes joues roses et c’était donc pour une raison artistique. Vous ne m’en veuillez pas monsieur Pennac.

Q : j’ai une petite question mais on y a déjà répondu donc je vais passer dessus rapidement, c’est pourquoi Raphaël Personnaz ?

Pennac : c’est vrai c’est le fait de redécouvrir son potentiel de comédie et d’énergie qu’il avait dans La Princesse de Montpensier qui allait vraiment pouvoir amener au personnage cela et puis c’est un très bon comédien. C’est aussi un très gros travailleur aussi. Il a fait un vrai boulot de fond sur le rôle en trouvant une démarche, une façon de mettre les mains dans les poches, les épaules un peu renfermées quand il se fait engueuler, il y a un petit accent parisien léger très dilué donc cela ne s’entend pas. Il a vraiment fait un boulot d’implication très important.

Q : j’enchaîne avec deux dernières questions. Il y a une fan qui demandait si on allait retrouver le côté un peu noir et grinçant du roman si vous avez préféré vous concentrer sur le potentiel humoristique et comédie ?

Bary : en fait, il y a deux choses. Quand j’ai dit que j’allais adapter Au bonheur des ogres autour de moi, tout le monde l’avait soit lu ou connaissait l’univers de Daniel Pennac et spontanément les gens criaient. Il y avait vraiment un truc d’un souvenir positif. Il y a une dimension sombre qui est déjà présent dans le titre et qu’ on n’a pas enlevé du film mais je me suis dit globalement j’ai envie que cela soit un film dans lequel on passe un joyeux moment parce qu’il y avait ce côté kadéloscopique au niveau sensation, très coloré, très énergique, très fun. Du coup, la deuxième chose c’était de se dire, les images peuvent vite être choquantes car si on commence à être jusqu’au-boutiste dans la dimension plus sombre, on peut arriver au moment où cela devient brutal. Je me suis dit je n’ai pas envie d’aller jusqu’au stade où on va se demander où on est. On passe un bon moment et tout d’un coup il y a un truc qui nous met mal à l’aise. Il aurait pu avoir un moment où l’on sortait du film auquel on ne s’était pas préparé car le film n’avait pas cette couleur-là globalement. C’est la première raison. La seconde raison c’est que dans les contes où l’on parle d’ogres qui mangent des enfants justement à l’image de choses beaucoup plus réelles. Pour moi l’ogre qui mange des enfants cela peut être une symbolique de choses extrêmement concrètes. Du coup, je me suis dit que ce qui peut être intéressant dans le film, c’est la possibilité que les jeunes puissent aller voir le film en ayant des degrés de lectures différentes en fonction du fait d’être un adulte ou si on est un plus jeune. Le week-end dernier, j’ai fait des rencontres avec des élèves. Il n’y avait pas les mêmes questionnements là-dessus pour les élèves de troisième et de cinquième. Un élève de troisième m’a demandé si les ogres étaient des pédophiles. Je lui ai répondu bah oui. Celui de cinquième qui m’a posé la question, j’ai été plus doux dans ma réponse car je ne sais pas où il en est des discussions avec ses parents là-dessus mais je préfère qu’il aille poser la question à ses parents à l’image des contes, une aventure initiatique qui fait que l’on comprend des choses et après on se questionne et pas forcément que cela soit un truc qui soit de déraison.

Q : vous parlez des ogres dans les contes mais au bonheur des ogres fait penser au titre au bonheur des dames ? Est-ce que votre titre a été choisi volontairement ?

Pennac : quand je suis arrivé à la série noire avec ce bouquin, le titre était le bouc émissaire. Mais il y avait déjà un livre de René Girard, un philosophe. Je l’avais appelé ainsi provisoirement. Toute cette histoire Au bonheur des ogres sort d’une lecture que j’ai faite dans les années 80 et qui est une pure lecture philosophique de René Girard qui est un philosophe qui a théorisé le thème de la boucémarisition. Je vais vous la faire brève car c’est assez complexe comme pensée. Il estime en gros que tout groupe humain se solidifie, se constitue par expulsion de l’un des siens qui est chargé de tous les défauts du groupe. Il explique par exemple que dans la civilisation judéo-chrétienne le personnage du Christ c’est précisément ce personnage que la communauté exclut de son rang, qui est sacrifié et une fois qu’il est sacrifié il y a un désir mimétique et une sorte de remords et une sorte de reconnaissance des qualités réelles de ce personnage qui fait qu’il y ait une sorte de divinité. Cette théorie n’avait absolument passionné. Je me suis dit que c’était absolument vrai. Comme prof, mon premier boulot quand j’entrais dans les classes c’était d’éviter que vous boucémisiarisez un des vôtres, que la classe pour laquelle j’avais la responsabilité ne fonctionne sur ce principe de boucémarisition et cela depuis ma première heure de cours. J‘ai toujours pensé à cela au point de distribuer chaque jour le rôle du bouc émissaire. Si aujourd’hui il n’y a pas de craie pour le tableau c’est la faute de Christian. Si Nathalie n’a pas fait son devoir, c’est la faute de Christian. Si je me réveille de mauvais poil c’est la faute à Christian. Ensuite, chaque jour on changeait. Je jouais beaucoup avec cette idée. Pourquoi suis-je parti sur cette idée de bouc-émissaire. Donc, en cherchant, le magasin, c’est devenu au bonheur des ogres. Cette histoire de secte de 14, des gens qui en effet dévoraient des enfants. Il y a un rapport avec le titre d’un livre de Zola car je connaissais le titre qui était le titre d’un magasin et que j’aime bien Zola. Oui, c’est un emprunt littéraire et puis accolé. Le principe d’accoler de mots antinomiques ogre et bonheur c’est un principe que j’ai ensuite conservé comme La Fée Carabine, La Petite Marchande de prose aussi. Voilà aussi des choses que vous ne pouvez pas apercevoir. Le monde change. Le mot prose dans les années 50,60 c’était un mot d’argot qui signifiait le derrière. La prose c’était le cul. La petite marchande de prose avait un double sens mais uniquement pour des vieux croûtons des années 50, qui comprenait encore dans les années 80. Il y en a un qui m’a croisé et qui m’a dit, tu crois que tu m’as trompé avec ton titre. Il y avait cette antinomie entre petite marchande et prose. C’est des jeux de mots, ce n’est pas sérieux.

Q : j’ai une dernière question. C’est une fan qui se demandait si au cours du tournage, il y a des choses que vous avez souhaité voir en priorité dans le film ou si il y a des choses qui ont été plus ou moins supprimées ?

Pennac : moi,j’ai rien souhaité voir. J’ai voulu le voir lui car je l’aime bien. Un jour je suis allé voir comment il se débrouillait le petit Malaussène. Je suis allé voir Nicholas mais je n’avais pas l’idée de voir une scène plus qu’une autre. Je me posais des questions imbéciles du genre comment il va se débrouiller avec les explosions. Cela ne va pas être facile de faire exploser une cabine téléphonique. C’était des questions de néophytes

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