Master-Class - Steven Spielberg

Par Mulder, Paris, 09 janvier 2012

Photo du film Cheval de guerre - © The Walt Disney Company France

Costa-Gavras : Et bien écoutez, on ne va pas vous faire de grand discours. Il est là ! On va le faire venir.

Steven Spielberg : Merci, je t'aime (public français). Je ne me remettrai jamais de cette émotion, c’était incroyable !

Serge Toubiana : Bonsoir, nous avons fait les autres salles d'abord, car Steven a voulu absolument saluer les deux autres salles qui sont pleines aussi et qui, malheureusement, ne le verront pas directement. Il y a à peu près trois ans, nous étions à Los Angeles et l'idée nous est venue s'il y avait un manque à la Cinémathèque, c’est que le plus grand réalisateur du monde n'y était pas. Je l'ai appelé immédiatement et il a réagi positivement et a dit « oui, je viens ». Il a fallu attendre, car il faisait deux films. Steven, je vais vous dire deux choses : nous sommes très heureux que vous soyez là ! Le public l'a montré aussi, que vous êtes le plus important metteur en scène du monde, le plus populaire, celui qui a une œuvre très variée et d'une grande qualité. Je pense même, mis à part Charlie Chaplin, je ne vois pas quel autre metteur en scène a cette grande popularité. Vous avez réussi à avoir en même temps de grands films et une relation très directe et permanente avec le public. La question qui me vient à l'esprit est la suivante : quel est votre secret ? Il est vrai que Jean Cocteau disait qu'il y a des règles pour faire un succès, mais nous ne les connaissons pas. J'ai impression que vous, vous les connaissez.

Spielberg : Si j'avais un secret ou si quelqu'un connaissait ce secret, je serais bien content qu'il me le dise car je n'en ai pas la moindre idée, je ne sais pas. Vous savez tout d'abord, c’est un immense honneur et privilège de me retrouver de nouveau à Paris, surtout devant un public aussi jeune de cinéphiles, de cinéastes, de gens qui adorent le cinéma. J’ai commencé à faire du cinéma quand j’étais gamin, car Jérôme voyait rien de plus amusant à faire que cela. J’états un gamin de douze ans. Il n'y avait rien d’autre à faire qui puisse m’intéresser autant que de prendre une caméra de 8mm et de raconter une histoire en trois ou quatre minutes. Je me dis que s’il y a un secret de quelque manière que ce soit, une explication pour cette passion que j'ai pour le cinéma, c’est que lorsque je fais un film aujourd'hui, j’ai la même sensation, la même énergie, la même excitation que celle que je ressentais à douze ans. Maintenant, j'ai 65 ans.

Toubiana : On avait décidé de commence à vous interroger sur Cheval de guerre, le film que nous venons de découvrir. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez eu envie d'adopter ce roman et cette pièce de théâtre pour en faire un film ? Qu'est-ce qui vous motive dans l'histoire de Joey, ce cheval ?

Spielberg : Vous savez, quand j’ai lu ce livre écrit en 1982, j’étais très étonné que personne n’avait décidé de l'adapter au cinéma. J’avais vu l'adaptation au théâtre. Le récit seul est déjà un film. Quand vous lisez le livre, quand vous voyez la pièce, vous avez déjà un film sous les yeux. J’étais stupéfait que personne n'ait eu l'idée de prendre ce récit d'un garçon qui élevé un cheval, de ce cheval qui sauve la ferme et qui ensuite est envoyé sur le front pendant la première guerre mondiale. J'adore les histoires qui sont parfaitement claires dès le départ et qui ne sont pas encombrées de symbolisme, de métaphores. Il n'y a ici aucun symbolisme même si on peut trouver de la métaphore un peu partout. C’était pour moi une histoire très claire et qui m'allait droit au cœur. J'ai pleuré quand j'ai vu la pièce sur scène et, vous savez, j'ai fait un film pour d'autres raisons, pas uniquement pour que le public pleure. Je voulais montrer qu’au beau milieu d'une guerre et notamment la première guerre mondiale qui était notamment livrée ici en France, je voulais montrer que les différences entre les hommes peuvent se suspendre un instant, lorsqu'il y a une admiration mutuelle autour de cet animal. Vous avez les deux opposés qui se retrouvent ne serait-ce que pour quarte minutes. C’était en quelque sorte le noyau de cette histoire.

Costa-Gavras : Vous avez dans ce film quelque chose de très inhabituel : en général dans les films, on déteste les animaux, car c’est la chose la plus difficile, cela coûte cher. Vous avez un cheval qui est un acteur. La question que j'aimerais vous poser est de savoir si ce cheval est un cheval savant que vous avez rencontré quelque part ou si c’est un cheval que vous avez complètement éduqué. Avez-vous fait apprendre ce rôle à ce cheval, car il est étonnant ?

Spielberg : C’était un cheval extraordinaire ! Il y avait plusieurs chevaux pour le même rôle de Joey. Il y avait un cheval qui a fait toutes les courses sans cavalier. Il y avait un autre cheval qui sautait. Il y avait essentiellement deux chevaux : Finder et Abraham. Je ne parlais pas directement aux chevaux qui me regardaient sans réagir. Quelques fois, ils écoutaient ma voix, puis après ils perdaient l'intérêt rapidement. J'ai engagé un homme qui murmurait à leur oreille qui s'appelait Bobby. J'avais déjà produit un film avec des chevaux, Seabiscuit, et c'était déjà Bobby qui avait dressé à l'époque ce cheval. Bobby était le cerveau de la communication entre les besoins du scénario et mes propres besoins en tant que réalisateur et le cheval qui devait réagir. Grâce au concours précieux de Bobby, il a plus dressé le cheval et lui faire faire ce qu'il devait faire. Ce fut extraordinaire de voir Bobby travailler avec ces chevaux sans un fouet et sans appât de nourriture. Les chevaux l'écoutaient et à ce titre, il devrait être crédité comme le co-réalisateur de ce film. Le cheval lui-même était très beau. Dans notre ranch, on a une dizaine de chevaux et ma fille participe à des concours hippiques. On a toujours eu des chevaux à la propriété. J'ai toujours été stupéfait qu'on s'intéresse autant aux chiens, mais pourtant les chevaux sont beaucoup plus subtils que les chiens.

Steven Spielberg

Toubiana : Le début du film ressemble beaucoup aux films américains classiques, aux films de John Ford : la façon de montrer la terre, le ciel, cette petite famille de paysans. Est-ce que pour vous, c'est une référence de commencer un film par ce qui fonde à vrai dire le cinéma classique américain, que sur ce petit lopin de terre, il va se passer une histoire fondée sur l'éducation, l'épreuve ?

Spielberg : C'était quelque chose que l'on trouvait dans le livre : la ferme, la famille démunie qui travaille dans des conditions difficiles, sur une terre ingrate, caillouteuse, c’est quelque chose qui fait partie du décor planté par l'auteur du livre. C'est en effet une idée que l'on retrouve dans l'œuvre de John Ford. Le récit lui-même s'appuyait sur ce décor. Moi, en lisant le scénario, je suis revenu aux sources. N'importe quel réalisateur aurait fait la même chose. Il fallait faire des plans larges et plus je pouvais reculer avec la caméra, plus cela me permettait de faire du paysage un personnage du film, car la famille va survivre ou mourir selon ce que fera la terre. Beaucoup d'hommes sont morts dans le no man's land, dans la vallée de la Somme.

Toubiana : A la fin, le héros revient chez ses parents comme dans les grands films classiques. Il revient ainsi au foyer, mais entre-temps, il a vécu la guerre, il s'est émancipé, il s'est éduqué. On a l’impression à la fin du film que celui-ci est un grand film sur l'éducation, sur l'épreuve de l'histoire, de la guerre.

Spielberg : Absolument et là on parle des ingrédients principaux qui m'ont attiré. Précisément, ces valeurs familiales, le sel de la terre qui ont fait de ce film des choses qui me parlent qui me sont irrésistibles. En voyant la pièce, j'ai été bouleversé. J'ai lancé le film en l'espace de sept mois et vous savez dans l'industrie du cinéma, c’est très rapide de pouvoir commencer à tourner un film. Entre le moment où on produit un film et qu’on le commence, il n'a fallu que ces sept mois. Pour ET, il a fallu aussi que sept mois entre l'écriture du scénario et le tournage.

Costa-Gavras : Ce qui m'a étonné dans cette première partie du film, et à ce que disait Serge, c’est que vous prenez tout le temps pour expliquer la vie de ces gens et vous me donnez l'impression que vous avez vraiment une connaissance d'agriculteur. La façon de voir la Terre, de voir la difficulté pour la creuser peut presque être perçue comme un documentaire. Pourtant, vous n'êtes pas un homme de terre.

Spielberg : Regardez ces mains, elles n'ont jamais touché ne serait-ce que le tuyau d'un évier. Il faut reconnaître que je ne suis pas un homme de la terre. Je suis le grand communicateur entre le livre et le public. Je n'ai pas eu à me salir les mains. Quand il pleuvait, la veille du tournage il y avait un grand trou et personne ne m'a dit que les cônes de prévention avaient été enlevés et j'avais glissé dans ce trou. C’est ma seule expérience de la terre.

Toubiana : Filmer la première guerre mondiale, pour vous c’était la première fois. Qu'avez-vous appris sur cette terre, qu'avait-elle de spécial, de spécifique par rapport à la seconde en termes de mise en scène ?

Spielberg : Vous savez, il y a eu beaucoup de travail de recherche au musée de la guerre à Londres et j'ai vu des photos vraiment extraordinaires et cette guerre avait déjà fait l’objet de beaucoup de documentaires. Il y avait des films de 35mm montrant le front. C'était un vrai changement pragmatique pour l'histoire du cinéma. A ce titre, on retiendra que l'invention de l'avion à cette époque a été utilisée comme instrument de guerre comme le char. Il y avait aussi les armes chimiques, avec le gaz. Il y avait tellement de choses qui pouvaient trouver leur place au cinéma que je ne pouvais pas raconter. L'histoire racontée est une histoire humaine et la guerre est l'arrière-plan.

Costa-Gavras : Le plan d'attaque dans les tranchées est un plan extraordinaire. Je ne pense pas l'avoir vu une autre fois avant au cinéma. Est-ce que vous avez un story-board quand vous faites un tel film ?

Spielberg : Absolument et pas seulement un seul story-board mais plusieurs, car il fallait montrer par exemple au dompteurs de chevaux ce qu’ils devaient faire. Il y avait des animations en prévision pour montrer par exemple le plan des personnes qui sortent des tranchées, Joey qui court dans le no man's land. Tout cela était quelque chose que j'avais pu pré-filmer. Toute l'équipe technique pouvait ainsi voir si c'était possible ou non. Les dresseurs de chevaux pouvaient ainsi me dire si c’était possible ou non. Plein de scènes ne pouvaient pas être réalisées, car elles étaient trop dangereuses. Je ne voulais pas que cela soit un film qui ne concerne que les chevaux. Cela concerne aussi les hommes. Dans la salle, on voit bien si on a affaire à des effets spéciaux, à des images de synthèse ou de vraies images et le public s’en rend compte tout de suite. La crédibilité se perd, si on se rend compte que c'est un trucage. J'ai ainsi dû renoncer à plusieurs scènes.

Toubiana : On se rend compte d'une double approche dans Cheval de guerre : c’est un film sur la guerre et en même temps un conte et là j'ai l'impression que vous vous y retrouvez totalement en tant que cinéaste, car vous avez toujours filmé la guerre, mais ce qui prime chez vous, c’est le récit. Là, le conte est absolument prenant, car c'est un conte sur l'enfance, sur l'éducation, la formation, mais cela vous dit quelque chose, ce duo filmer la guerre et en faire un conte ?

Spielberg : C’est vrai, cette dualité est là et c’est un film pour toute la famille en fait. On pourrait imaginer des gamins de six ou sept ans qui pourraient voir ce film seuls ou avec leurs parents. C’est un film destiné à la famille et c’est pour cela que je n'ai pas pris la même approche que pour Il faut sauver le soldat Ryan ou la série de guerre sur la Pacifique. Je voulais montrer un récit, un conte romantique pour un animal. Ce garçon recherche son cheval et ce dernier touche la vie de tout le monde, des deux côtés du front.

Steven Spielberg

Toubiana : Quelles ont été les plus grandes difficultés sur ce film pour vous ? Est-ce que ce sont des difficultés liées au fait de diriger un cheval ? Quelles ont été les choses les plus difficiles sur le tournage ? Celles qui vous ont appris votre métier ?

Spielberg : Si j'ai appris quelque chose, c'est l'art de la patience, car quand on travaille avec des animaux, si on n'a pas de patience, il ne faut pas travailler avec des animaux ou des enfants d'ailleurs. J'en ai fait l'expérience sur le tournage de ET. Il faut beaucoup de patience, mais si on a cette patience, alors vous êtes largement payé en retour. Par exemple sur le tournage de ET, j'ai fait preuve de patience avec Drew Barrymore, ces moments où elle s’éveille à l'écran, il s'agit de grands moments de cinéma. C'est cela qui a rendu le film réel, car on a pris le temps d'attendre le temps que Drew ne soit pas consciente des caméras de tourner sur elle et c'est comme cela que l'on a pu faire sortir quelque chose de cela. Pareil pour Joey, les dompteurs, les dresseurs, les chevaux. A partir d'un certain temps, les chevaux apportaient quelque chose qui ne faisait pas partie du scénario. Par exemple, lorsque le père n'achète pas le cheval, car il veut simplement faire la nique à son propriétaire, la mère est alors furieuse, car il était censé acheter un vrai cheval de labour pour pas grand-chose, il a dépensé tout son argent sur le cheval que sa femme ne voulait pas, donc elle est furieuse. Alors là, à ce moment-là, le cheval décide de frotter sa tête sur ce père. Le cheval embrasse pratiquement à deux fois de suite. Cela, c'est l'improvisation de Joey dans ce film. C'est peut-être le cheval avec le meilleur don d'improvisation, car celle-ci était merveilleuse. On était là à affirmer cela et on ne voulait pas gâcher le son. Ce cheval a interagi avec le casting et cela s'est produit pendant tout le film.

Costa-Gavras : C'est vrai, vous l'avez dit, le cheval, vous ne l'avez pas dirigé, mais comment faites-vous en général pour diriger vos acteurs ? Quel type de relation avez-vous avec vos acteurs ? Ceci est peut-être une question technique, mais je sais qu'il y a beaucoup de jeunes dans la salle, qui, peut-être, seront des metteurs en scène un jour, comme c'est déjà arrivé à la Cinémathèque.

Spielberg : Je crois que la première chose que vous avez peut-être lu dans des livres, il y a beaucoup de réalisateurs qui vous diront la même chose et si je vous le dis c'est que c'est vrai. La meilleure chose que vous puissiez faire en qualité de réalisateur s'agit de trouver le bon acteur pour le rôle. Si vous n'avez pas le bon acteur sous la main, il va falloir vous donner dix fois plus de mal qu'il ne le faut et vous regretterez cette erreur de casting, car il faut pratiquement tout recommencer. Je passe donc énormément de temps à trouver les bons acteurs, car si je me trompe d'acteur, cela va me distraire de mon vrai travail. Une fois que ceci a été fait, il faut alors écouter ce que ces acteurs ont à vous proposer, car ce sont des gens qui répètent leurs scènes devant le miroir ou avec leurs amis, ils font leur travail de recherche par écrit, leurs sensations. Ils ne veulent pas que leur réalisateur leur dise qu'ils n'a rien à faire de leurs idées. Pourquoi choisir un acteur de talent, si vous préférez votre propre talent au leur. Deuxième chose, écoutez vos acteurs, car ils peuvent apporter quelque chose de très précieux à l'histoire que vous voulez raconter. Le film lui-même évolue, ce n'est pas quelque chose de statique, c’est comme un organisme vivant qui évolue sans arrêt. Ce film évoluera de jour en jour. Moi, ce que j'ai appris des autres acteurs, des autres réalisateurs et de mon expérience, c'est qu'il faut écouter plus que parler. En tant que réalisateur, il faut décider du type d'objectif, du type de plan à utiliser.

Toubiana : Cheval de guerre est souvent filmé en plan large et on a l'impression que vous voulez donner aux spectateurs le sentiment du paysage, de l'espace, de la liberté du cheval. Ce cheval ne veut pas être éduqué, il ne veut pas être enfermé. Est-ce important pour vous de montrer et de raconter ce film en plan large ?

Spielberg : Oui, bien sûr, car si on filme sans plan large, on ne voit pas le cheval, car il aura déjà quitté le plan. De toute façon, il faut un grand espace pour pouvoir suivre le cheval. Il y a en effet une obligation ne serait-ce que pour voir le cheval traverser le décor qui fait trois mètres. De plus, il fallait montrer la puissance de la terre, l'importance du paysage et de la terre dans la vie et la survie de cette famille. Quand vous allez dans ce paysage formidable dans lequel a été tourné le film, vous voyez les nuages qui viennent d'une dizaine de kilomètres à toute vitesse. A la fin du film, lorsque le principal personnage revient avec son cheval, les nuages que l'on voit arriver arrivent réellement, ce n'est pas un trucage numérique. J'ai espéré que les nuages se dégagent pour faire apparaître Albert sur son cheval. On a tenu compte des conditions météorologiques sur le tournage pour tourner les scènes qui convenaient. On a pu améliorer les conditions comme la pluie sur le tournage par des arroseurs.

Costa-Gavras : Lorsqu'on regarde les génériques de vos films, on voit les mêmes personnes, les mêmes collaborateurs que cela soit la productrice, le chef-opérateur, le musicien. Est-ce important pour vous de travailler avec les mêmes personnes ?

Spielberg : Mais oui, c’est important pour moi de travailler avec les mêmes personnes, car par exemple avec John Williams, cela fait quarante ans que l'on travaille ensemble. On avait commencé à travailler ensemble en 1972 avec Sugarland express et Kathleen Kennedy a d'abord été ma secrétaire, puis quatre ans plus tard elle dirigeait la production sur ET. Lorsqu'on trouve des gens avec lesquels on peut travailler, ça simplifie la vie, car au bout du compte, il faut se dire que faire un film avec des étrangers, c’est deux fois plus difficile. J'ai le même monteur depuis Rencontres du troisième type, le même chef-opérateur depuis 1993 et La Liste de Schindler et je trouve cela essentiel. Il y a des gens qui sont comme des caméléons qui peuvent s'adapter, qui n’apportent pas leur marque, leur griffe indélébile, par exemple John Williams peut changer de style musical.

Costa-Gavras : Intervenez-vous au niveau de la musique et au niveau du chef-opérateur ? Comment vous mettez-vous d'accord avec votre équipe sur tel ou tel style photographique ou de musique ?

Spielberg : Bien sur, quand même, je peux demander à mon chef-opérateur d'avoir telle ou telle silhouette. Je peux avoir mon mot à dire, surtout si cela sert le narratif, mais pour l'essentiel, je pose la caméra, on se dispute souvent sur le choix des objectifs, mais cela est très constructif. C'est moi qui choisis la composition de l'image, le choix du téléobjectif, les décisions du chef-opérateur pour savoir ce qu'il doit faire, mais à part cela, c’est Janus qui fait l'éclairage. C’est un magicien des lumières. Je ne connais personne qui connaisse aussi bien la lumière que lui !

Photo du film Cheval de guerre - © The Walt Disney Company France

Toubiana : Comme autre collaborateur, il y a le monteur Michael Kahn. C’est la première mois que vous montez en Avid avec Cheval de guerre. Qu’est-ce qui fait que vous êtes passé sur Avid ? Souhaitez-vous revenir aux vieilles tables de montage ?

Spielberg : Il faut reconnaître que le dernier film que j'ai monté sur une table est le film qui précédait Tintin, car Tintin est un film d’animation. Quand j'ai fait Tintin justement, je débutais sur l'animation et je travaillais en même temps sur Cheval de guerre. Je ne pouvais pas travailler sur deux systèmes différents en même temps. On ne pouvait pas avoir le système numérique sur Cheval de guerre et le système Avid sur Tintin. J'ai pris donc la décision avec le monteur de monter mon film sur Avid. Je pensais retourner sur le système des tables de montage pour de multiples raisons, puis mon monteur m'a dit qu il serait plus facile pour lui de monter sur Avid. On peut en effet comparer les résultats, les images et il m'a convaincu. On monte actuellement Lincoln en Avid. Je continuerai à filmer en pellicule et le film sera distribué en pellicule. Indiana Jones 4 a donc été le dernier de mes films monté de façon classique.

Toubiana : Vous réalisez des films, vous produisez des films et des séries. Qu'est-ce qui fait qu'à un moment particulier, vous vous dites que ce sujet est un sujet pour moi ? Qu'est-ce qui fait la différence entre un sujet que vous avez envie de réaliser vous-même et un sujet autre ?

Spielberg : Souvent, c'est le projet qui me trouve et non l'inverse. Je ne vais pas chercher des sujets et des histoires, je ne vais pas parcourir les librairies pour trouver une histoire qui m'intéresse. Les droits sont souvent vendus avant la publication du livre. Que cela soit un film ou une série télévisée, les droits sont déjà vendus. Je ne m'y prends pas comme cela. Tout ce que j'ai réalisé à ce jour sont des choses qui sont venues vers moi. C'est vrai, lorsque j'étais gamin, je voulais faire un film sur les ovnis, car j'y croyais. C’est pour moi un élément mythologique contemporain fascinant. C'est comme cela que Rencontres du troisième type est arrivé. Je n'ai pas pu le faire avant Les Dents de la mer, car personne ne voulait en entendre parler. Grâce à ma notoriété, j'ai pu tourner Rencontres du troisième type et c’est comme cela que les choses se font. Pour Cheval de guerre, Kathleen Kennedy qui est ma partenaire de production, elle avait vu la pièce et m'a dit que cela était quelque chose qui devait être fait. Si tu vois la pièce, si tu lis le livre en tant que réalisateur, tu auras envie de faire le film, m'a-t-elle dit. J'ai donc vu la pièce, j'ai lu le livre tout de suite, j'ai compris qu'elle avait raison, c'est quelque chose que je devais faire tout de suite. Les films que je réalise, il s'agit de coups de cœur. Ce sont, comment dire, des moments irrésistibles et les autres films, que je ne réalisé pas, ne me touchent pas de la même façon.

Costa-Gavras : Vous devez recevoir des centaines de scénarios chaque année, des livres également, tout doit converger avec vous. Avez-vous un petit groupe de gens qui lisent pour vous ? Humainement, vous ne pouvez pas lire tous les scénarios qui vous arrivent.

Spielberg : Effectivement, DreamWorks, ma société qui existe depuis 1994, a des équipes et j'ai un département qui s'occupe des scénarios et quelque fois, on voit des scénarios à produire. Par exemple, Arrête-moi si tu peux est une histoire vraie et Harvey Wenstein nous a dit qu’on lui devait un film et il a réussi à me faire faire ce film. Je n'étais pas attiré par ce sujet initialement, mais j'ai eu envie de le faire ensuite. Ce film m’est tombé dans les bras en quelque sorte. Je ne suis pas très ouvert, pas très disponible. La plupart de mes grands films, deux ans avant d'aller les tourner, je n'y pensais même pas.

Toubiana : En 2011, vous avez réalisé Tintin et Cheval de guerre. Ce qui m'a frappe, c’est qu’en 2005, vous faites La Guerre des mondes et Munich, et en 1993 et Jurassic park et que vous n'avez pas fini le film que vous entamez déjà La Liste de Schindler. Y a-t-il un moment où vous en ressentez l'urgence de faire un film, que les choses s'imposent à vous, que vous faites deux films dans l'année ? Comment faites-vous ?

Spielberg : Cela a l'air d'être très lourd, que c'est incroyable, par exemple en 1997, j'ai réalisé trois films en douze mois, Le Monde perdu, Amistad et Il faut sauver le soldat Ryan. On m'a posé la question de savoir comment j'ai pu réaliser ces trois films et j'ai répondu : regardez un peu l'histoire de Hollywood, John Ford faisait quatre films. C'était comme cela à l'époque, les réalisateurs passaient d'un studio à l'autre. Victor Fleming a réalisé énormément de films en une année. Ce n'est pas que j'ai une immense admiration pour eux ou que je veux les imiter, mais simplement c'est faisable. Si vous êtes un conteur, c’est faisable. Lorsque je n'ai pas d'histoire à raconter, je deviens insupportable. Demandez à ma femme et à mes enfants. Je suis insupportable, si je n'ai pas un film à monter tout de suite. Je suis malheureux, je tourne dans ma maison comme un lion dans sa cage. Je suis malheureux comme une pierre, quand je n'ai pas de film à réaliser. Je saute donc à bras ouverts dans le premier projet qui m'intéresse. C'est un peu la raison pour laquelle j'ai réalisé cette année Cheval de guerre et Tintin et Lincoln que je viens de terminer le 21 décembre.

Photo du film Cheval de guerre - © The Walt Disney Company France

Toubiana : Vous avez cité des réalisateurs qui n'ont pas obtenu le final cut. Quand vous êtes-vous dit qu'il vous fallait ce final cut de la part des studios ?

Spielberg : Il me semble que John Ford ne l’avait pas dans ses contrats, mais en réalité il l'avait. Il montait ses films dans sa tête, il ne montrait pas ses plans. C’est comme cela qu'il est arrivé par la petite porte. J’y suis arrivé très tôt, grâce au succès des Dents de la mer. Je ne l'ai même pas demandé. Le studio supposait que j'allais leur demander et l'a mis dans le contrat pour Rencontres du troisième type. Depuis, j'ai toujours eu le final cut et j'attends qu'ils me l'enlèvent un jour. Ce qui est important sur le final cut, et le vrai danger en fait par rapport à tout cela, c’est que personne ne peut vous bousiller votre film en trois jours. Le danger, c'est que parfois, on n’écoute plus personne et encore moins les avis de personnes qui ont de bons conseils. Il faut savoir que là c'est un travail qui est d'équipe. Les idées de chacun sont importantes. Il faut que les idées se prêtent à l'histoire. Je suis toujours à l'écoute. Même si j'ai le final cut, je demande l'avis de mes amis sur les rushs.

Costa-Gavras : L'idée générale en France, c’est que votre premier film est Duel. Pour moi, ce n'est pas exact, vous avez déjà fait des films à télévision. Je reviens à Duel et comme il y a peut-être de futurs réalisateurs dans la salle, comment choisit-on un sujet aussi extraordinaire ? Comment choisir un sujet d'une très grande simplicité avec une tension extraordinaire, avec une métaphore sur nos angoisses et comment y survivre ?

Spielberg : Vous savez, c'est intéressant que vous parliez de Duel. Je tombe souvent sur des sujets par hasard. A l'époque, j'étais en train de faire un projet pour Universal pour la télévision et ma secrétaire est rentré dans mon bureau et elle m'a demandé si j'avais lu le dernier numéro de Playboy et je lui ai répondu en lui demandant si elle, elle avait lu. Elle me répond qu'elle lit toujours Playboy et qu'il y a une nouvelle dans le denier numéro de Richard Marheson qui s'appelle « Le Duel ». J'ai donc lu cette courte histoire et je me suis dit que je devais réaliser un film. Là, j'ai vu que quelqu'un avait déjà acheté les droits cinématographiques et ils étaient sur le point d'en faire un film. Je leur ai montré les rushs du pilote de « Colombo » et le directeur d'Universal a regardé mon travail et il a trouvé ça génial et il m'a défendu auprès de ABC. George, le patron d'Universal, a vraiment insisté et ils les a eus à l'usure. Ils ont refusé tous les réalisateurs et à la fin ils m'ont choisi.

Costa-Gavras : Vous avez une relation assez étroite avec la télévision, car vous produisez aussi des séries. C’est important pour vous ? Pour beaucoup ici en France, la télévision est un art secondaire.

Spielberg : En Amérique, la télévision n'est pas un art secondaire du tout. Les meilleurs scénarios ont été écrits pour la télévision du câble. Les meilleurs auteurs de série sont sur HBO, AMC. Là, vous avez les meilleurs talents. Ce ne sont pas simplement des scénaristes, ce sont aussi des dramaturges qui écrivent des pièces sur Broadway. « Les Sopranos », voilà un exemple de série remarquable. Vous avez aussi « Modern family », qui est une excellente série télé. La télévision aux États-Unis n’est donc pas un art secondaire et connaît aussi une renaissance.

Toubiana : Dans vos films, l'enfance est un thème important. Vous traitez l'enfance et aussi les enfants. Qu'est-ce que c'est pour vous, l'enfance ? On a l'impression que vous puisiez toute votre énergie dans l'enfance. Quel est le secret lié à l'enfance ? Avez-vous vu L'Enfant sauvage de François Truffaut dans votre enfance ? Dans vos films, j'ai souvent l'impression que l'enfant veut entrer dans le monde qui le refuse. J'ai l'impression que vous faites vos films pour imposer l'enfance au monde.

Spielberg : C'est en partie vrai et c'est pour cela que j'ai voulu tourner avec François Truffaut dans Rencontres du troisième type. Je ne savais pas qu'il était capable d'être un acteur, mais j'ai bien vu en effet L’Enfant sauvage. J'étais venu à Paris et je voulais rencontrer une vingtaine d'acteurs en pensant que François Truffaut n'accepterait pas de tourner dans ce film. Il estimait que j’étais moi-même un enfant sauvage. Truffaut était alors en train de monter son film, L’Argent de poche. Je lui ai trouvé le titre américain. Il m'a dit que je devais travailler avec les enfants, qu'il avait adoré cette expérience. Je n'ai jamais oublié ce conseil. Je suis comme cela. On ne peut pas intellectuellement se purger de sa personnalité. Chassez le naturel, il revient au galop. On transparaît dans ses films, c'est inévitable. On ne peut pas se changer intellectuellement, devenir quelqu'un d'autre. Les artifices se voient tout de suite. S'il y a des films sur l'enfance, c'est que c'est viscéral en moi.

Toubiana : Truffaut a été sauvé par le cinéma et j'ai l'impression que vous aussi. Le cinéma est-il plus important que la vie pour vous ?

Spielberg : Moi, il me semblait que le cinéma était plus important que la vie pendant quelques années. Puis en 1995, mon premier enfant est venu au monde et je me suis rendu compte que le cinéma est devenu moins important. Là, j'ai commencé à devenir beaucoup plus authentique, car j'avais le reflet d'un véritable être humain dans ma vie qui grandissait. Je me suis rendu compte que j'avais une nouvelle raison de travailler encore plus, encore mieux. Comme je l'ai dit tout à l'heure, lorsque je n'ai pas d'histoires à raconter, je suis extrêmement malheureux.

Costa-Gavras : Je vais poser une question un peu provocatrice : là nous sommes en plein dans le cinéma américain et le cinéma français. J'ai entendu quelque chose d'un producteur très important aux États-Unis qui m'a dit, voyez-vous en France, parce que vous faites un film, vous vous dites que vous allez faire une œuvre importante, tandis que nous, nous faisons un produit qui peut devenir une œuvre importante. Selon vous, y a-t-il une part de vérité en cela ?

Spielberg : C'est presque un crime contre le cinéma d'appeler un film un produit. Peut-être, ils disent également on prend un déjeuner, c’est a dire quelqu'un rentre dans un restaurant et on lui pique son assiette. J'ai honte de mes collègues, mais ils ne sont pas tous comme cela. Les producteurs vous diront peut-être cela, mais pas les réalisateurs. C'est peut-être un bureaucrate ou un producteur qui vous a dit cela, je suis moi-même un producteur, le directeur d'un studio.

Photo du film Cheval de guerre - © The Walt Disney Company France

Toubiana : Avec l'expérience, pensez-vous que la tonalité de vos films a changé ? Depuis le 11 septembre 2001, pensez-vous que votre œuvre est différente, plus grave ou moins portée à l'émerveillement ?

Spielberg : C'est vrai, il y a deux choses qui ont modifié ma façon de voir le monde, la vue. Les idées reviennent au galop, même si on les éloigne. C'est vrai que le 11 septembre 2001 a changé beaucoup de choses pour moi. Mes films sont devenus en effet un peu plus sombres. Minority report porte un regard très sombre sur notre avenir. La Guerre des mondes est pour moi en relation directe avec le 11 septembre. Ce n'était pas l'intention au départ, mais au bout du compte, c'est ce qu'il en est ressorti. Les événements du monde ont une incidence sur la façon dont mes films apparaissent. C'est pour moi un bon signe, cela montre que j'évolue, que je suis sensible à ce qui se passe. On peut aimer le cinéma et s'y perdre, mais on peut se perdre dans ce monde de fantasme du cinéma, car on vit dans une autre planète. Moi, quand je vois un film, je vois quelque chose qui a traversé une génération, entre le scénariste, le réalisateur, tout le monde a participé. D'abord, le réalisateur et le scénariste sont les premiers acteurs du film. On voit la façon dont eux voient le monde à travers leurs yeux. On peut être d'accord ou non sur la façon de voir les choses, mais ce n'est pas quelque chose d'immédiat. C'est une réalisation de deuxième génération, ce n'est pas quelque chose que l'on reconnaît tout de suite. Quand quelque chose arrive à nos amis, des tragédies ou même quelquefois des événements heureux, lorsqu'on voit apparaître toutes ces choses, il faut se les rappeler et quand on voit un film, il faut se dire que ce n'est pas la vraie vie, c'est la façon dont une vraie personne voit la vie. C'est pour cela qu'en étant sensible au monde, à l'actualité, à la situation politique dans le monde entier, on vit dans un monde extrêmement politisé, on ne peut pas fermer les yeux sur le reste du monde. Il faut bien comprendre comment le monde est interconnecté et parce qu'il y a cette interconnexion, que je suis sensible au monde parce que j'ai des enfants que je veux protéger. Au fur et à mesure que mes enfants naissaient, j'ai eu de plus en plus peur pour eux.

Costa-Gavras : J'aimerais vous dire que vous êtes encore le réalisateur, le metteur en scène qui prouve que l'émerveillement est possible avec le cinéma.

Spielberg : Il fallait que je savoure votre réaction, vos paroles. Je ne saurais pas quoi répondre à de telles paroles. Je ne saurais que gâcher le moment.

Toubiana : Je suis très intimidé de vous rencontrer, c'est vrai que l'on a le sentiment que vous réussissez votre vie et en réussissant votre vie, vous posez des questions au monde et vous les posez de la façon la plus honnête possible. Il y a une très grande humilité dans ce que vous dites. Il y a des choses dont vous êtes certain, d'autres dont vous vous posez des questions. Avec la réussite qui est la vôtre, vous pourriez être au-dessus de tout cela. J'ai revu beaucoup de vos films pour préparer cette master class. Je suis frappé par cette lucidité que vous avez sur le monde. Vous êtes tout le temps en face des choses, vous les regardez telles quelles sont.

Spielberg : Je pense que tous, nous avons besoin de regarder le monde en face, de ne pas se mentir sur la réalité du monde. Il y a une autre chose dans laquelle je crois beaucoup. Il y a un danger à votre confiance en soi. Vous savez, lorsque je fais la suite d'un film qui a bien marché, je sais à peu près où je vais, mais mes sequels n'ont pas toujours bien marché. Je pense à mes propres films et en fait, je travaille mieux lorsque je suis dans un état disons de confusion, de chaos, d'angoisse, d'incertitude, car là, je travaille plus dur pour trouver la bonne idée. Je cherche plus loin, je travaille de plus près au détail. Si je suis trop sûr dans mon affaire, qu'est-ce qui se passe, on dit que c'est très bien comme cela. Le mieux est l'ennemi du bien etc. L'absence de confiance au jour le jour est probablement ce qui est mon adrénaline à moi. Si, à la fin de la journée, je suis content de ce que je fais, mais il ne faut pas arriver avec cette idée de satisfaction. C'est pareil pour les tennismen, il ne faut pas arriver sur le cours trop sûr de soi. C'est la même chose au cinéma : lorsque vous faites un film, lorsque vous jouez dans un film, participez à la réalisation d'un film, de faire quelque chose qui vous ressemble, alors on ne le fait pas en partant d'une position de vainqueur, de certitude. Il faut toujours se dire, se demander si on est suffisamment bon pour son public. Est-ce que c'est suffisamment bon pour moi-même ? A l'attente de ce que je veux réellement ? Il faut toujours être en deçà, plutôt qu'au dessus.

Costa-Gavras : Votre vie n'est pas seulement le cinéma. Je sais que vous avez un regard sur le monde, que vous avez créé la Shoah Foundation. Je trouve que c'est un travail formidable.

Spielberg : C'est vrai, on parlait de la vraie vie et du cinéma. J'essaie de faire des films qui s'approchent de la vraie vie. Hormis Il faut sauver le soldat Ryan, il y a La Liste de Schindler qui rend de manière juste hommage aux témoignages des survivants de l'holocauste. Je me suis dit que j'avais fait la meilleure preuve de ma carrière avec ce film. Je me suis dit avec du recul, que ma meilleure œuvre était la Shoah Foundation. Grâce à mon film La Liste de Schlinder, les regards se sont tournés vers cette fondation, le public a voulu en savoir plus sur la Shoah. Je me suis dit que si on prenait des caméras vidéo dans le monde entier pour filmer les survivants de la Shoah et les faire parler de leur expérience, cela pourrait être utile pour les écoles, aux programmes de sciences sociales, au reste du monde. C'est cela le plus grand résultat de La Liste de Schindler, car il y a eu plus de 50 000 témoignages, pas seulement de la liste de Schindler, mais d'autres survivants également. Plus de la moitié ne voulaient plus en parler du tout. Beaucoup de survivants n'avaient jamais raconté à personne leur expérience, ni à leurs enfants, ni à leurs petits-enfants, ce qui leur était arrivé en Pologne, en Allemagne.

Steven Spielberg

Question du public : Bonjour M. Spielberg, je m'appelle Sylvain, j’étais dessinateur de story-board et j’ai même travaillé longtemps pour vous, car j’ai été cadreur pour la Shoah Foundation. Concernant votre rapidité de tournage, vous finissez toujours vos films dans les délais et même avant, vous ne perdez pas une seconde et vous n'êtes pas handicapé par les problèmes des artistes, les doutes, vous allez droit au but. Comment arrivez-vous à vous organiser pour être aussi libre par rapport aux interrogations artistiques ?

Spielberg : Vous savez, tourner rapidement, cela me permet de voir tout de suite les rushs, car pour les premiers films, j'ai dû attendre 159 jour, pour Les Dents de la mer et Rencontres du troisième type 130 jours, 1941 137 jours. On ne voit pas le film, quand on tourne sur une période aussi longue. On perd ainsi toute son objectivité avant d'arriver dans la salle de montage. Quand je tourne vite, je peux voir tout de suite le film se monter en l’espace d'une journée. Si je peux avoir une trentaine de plans dans une journée, je peux voir le film se raconter en quelque sorte. C'est une des raisons pour laquelle j'aime tourner vite. Ce n’est pas une question d'argent. C'est en quelque sorte ma façon de rester objectif.

Question du public : Je suis né dans les années 1980 et je tiens à vous remercier pour tous les films que vous avez réalisés ou produits, notamment Retour vers le futur. J'ai une question sur la production. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur votre travail en tant que producteur ? Quel est votre participation au niveau du développement ? Etes-vous sur le plateau pendant le tournage ?

Spielberg : En tant que producteur, la meilleure chose est de trouver le bon réalisateur pour le projet. Si j'ai fait ce travail correctement, si j’ai choisi le bon réalisateur, je n'ai pas besoin de venir sur le plateau et de passer derrière le réalisateur, c'est son film. Si je choisis bien le réalisateur, je n'ai vraiment pas besoin d'assister au tournage. Les réalisateurs peuvent me montrer leurs séquences, s’ils le souhaitent. S’il y a échec, c'est que j'ai mal choisi le réalisateur. Une fois que j'ai choisi le réalisateur, je lui donne énormément de liberté. J'aime bien engager de nouveaux réalisateurs. Pour le réalisateur de La Couleur des sentiments, c'est son premier film. Il a écrit une merveilleuse adaptation du livre dont est tire le film. On lui a trouvé un bon cadreur et une bonne équipe pour l'entourer.

Question du public : A la fin d'un film, on voit un héros qui tire sans résultat sur un monstre qui s'approche vers lui, le monstre finit par exploser, dans un cas, c’est un requin, dans un autre cas un char. J'aimerais savoir si j'ai rêvé ou si simplement c'est vous qui faites des références internes entre deux de vos films, Les Dents de la mer et Il faut sauver le soldat Ryan ? Si je vois juste, qu'est-ce qui vous amène à faire des références entre vos films ?

Spielberg : C'est une bonne question, ce ne sont pas des références conscientes. Que ce soit le char du soldat Ryan où l'on retient dans Les Dents de la mer, je parlais de l'évolution du monde de la technologie, qui finit par l'emporter sur le cheval remplacé par les engins de guerre, de mort. Mais en fait je n'y pense pas, ni concernant Les Dents de la mer, ni concernant Il faut sauver le soldat Ryan, ni encore lorsque Joey dans Cheval de guerre saute par-dessus le char. Pour ces scènes, c'est une métaphore sur la guerre.