Conference-de-Presse - Morning

Par Mulder, Deauville, 10 septembre 2010

Q : Tout d’abord, je voulais féliciter Leland pour son beau premier film, qui me touche personnellement et directement, car j’ai vécu ce qui se passe à l’écran. Je voulais demander à Leland et à Jeanne comment vous avez établi non seulement la mise en scène, mais aussi le personnage principal, comment l’avez-vous construit ?

Leland Orser : Merci et je suis désolé pour vous [en français]. J’ai lu un article dans le New York Times et cet article traitait du cas de ces parents, qui essayent de survivre après la perte d’un enfant. Cet article donnait également le pourcentage entre les parents qui restaient ensemble et les parents qui se séparaient. Le pourcentage des parents qui restent ensemble est bien moins élevé que ceux qui se séparent et j’ai trouvé que c’était un fait qui était très triste. J’ai décidé de raconter mon film en me concentrant sur le pourcentage des parents qui arrivent à trouver un moyen de continuer à vivre, malgré la douleur intense, la cassure que cela provoque dans leur couple.

Jeanne Tripplehorn : Je suis désolé également en ce qui vous concerne. Ce rôle était sans doute en ma qualité d’actrice l’un des rôles les plus difficiles que j’ai eu à jouer dans ma carrière. Lorsqu’un rôle est très difficile à jouer, lorsqu’on se rend compte qu’un personnage qui a énormément de peine et de douleurs en règle général, je ne prends pas ce genre de rôle comme un challenge en tant qu’actrice, je sais que cela va être très douloureux et j’ai tendance à m’en écarter, à ne pas jouer ce genre de rôle. En l’occurrence, le réalisateur et scénariste et acteur principal, c’est mon mari dans la vie. Je n’avais pas d’endroits pour m’échapper de ce rôle. Je dors et vis avec lui et je savais que je devais faire ce film avec lui. Je n’avais pas le choix. Si le réalisateur n’avait pas été mon mari, je n’aurais probablement pas joué ce rôle. Il y a beaucoup d’acteurs qui vont prendre beaucoup d’eux-mêmes, qui vont puiser en eux-mêmes les ressources ou des références pour pouvoir jouer tel ou tel personnage. Mon approche par rapport à ce rôle a été de me déconnecter du personnage. Je ne suis pas allé puiser en moi-même, j’ai pris ces trois semaines de tournage un peu comme une espèce de rêve éveillé. J’ai gardé une distance pour me sauvegarder du rôle et pour ne pas avoir à souffrir trop. Lorsque le tournage a été terminé, j’ai été soulagé.

Q : Comment gérez vous le fait de porter trois casquettes pour ce film : réalisateur, scénariste, et acteur ?

Orser : C’est une question intéressante à laquelle je n’ai pas encore trouvé de réponse précise. Je n’ai pas encore réussi à trouver la bonne formule, parce que lorsqu’on écrit, on est tout seul face à soi et on le fait à son propre rythme. C’est à mes yeux la phase la plus facile des trois casquettes. Lorsqu’on réalise, on se prépare avant la mise en scène, on sait à peu près tout ce que l’on va faire et tout se passe bien. On a de bons partenaires et donc cela se passe facilement. En tant qu’acteur, encore une fois on se prépare, on déstructure le scénario pour savoir comment on va jouer. On se prépare et on peut alors jouer. En fait, les trois étapes sont assez faciles à appréhender. Ce qui a par contre été très difficile et ce que je n’ai pas réussi à anticiper moi-même, c’est le fait de passer au moment du tournage de réalisateur à acteur et inversement. Je n’avais pas assez imaginé à quel point cela allait être difficile, car quand on est réalisateur, on regarde derrière la caméra et on s’apprête à tourner et tout d’un coup, on se retrouve en sous-vêtements et tomber par terre et on joue. Lorsqu’on fait ce genre de jeu, on ne fait pas du tout ce qu’un réalisateur devrait faire, c'est-à-dire que l’on ne voit pas tout ce qui se passe. On a pas le contrôle sur la lumière, le son. On ne sait pas ce qui se passe et on est obligé d’imaginer que ce que l’on fait est bien. C’est assez difficile. Quelque part, lorsque l’on devient acteur sur un film que l’on réalise soi-même, on est obligé de sacrifier une part de nous et de faire confiance. C’est difficile, car encore une fois, le réalisateur doit avoir le contrôle sur tout ce qui se passe autour de lui. Comme j’ai eu la chance que la plupart de mes scènes sont des scènes où je joue tout seul, sans interaction avec d’autres acteurs, j’ai pu avoir une doublure qui était un bon ami à moi et qui faisait les scènes. On les répétait ensemble comme cela je pouvais garder un œil derrière la caméra et voir ce qui allait se passer. Une fois que j’ai vu à quoi cela allait ressembler en termes d’action, de positon à ce moment-là, j’ai pu avoir un meilleur contrôle. On a concentré toutes mes scènes vers la fin du tournage. On a d’abord tourné toutes les autres scènes avec les autres acteurs. Cela m’a permis de gagner en confort, en confiance. J’ai ainsi pu mieux connaître toute l’équipe du film et les gens autour de moi ont pu comprendre et voir comment je me comportais en tant que réalisateur. De cette manière-là, quand on a tourné mes scènes, j’ai pu avoir de l’assistance et me reposer sur mes collaborateurs du son, de la lumière, de la caméra.

Q : Votre scénario évoque un peu John Cassavetes. En revanche la forme du film, elle est plus proche des comédies familiales de 35mm pour la banlieue de Los Angeles. Pourquoi avoir choisi de traiter un sujet si dur sur cette approche visuelle-là que l’on retrouve dans des films plus légers ?

Orser : Bien sûr nous avons pensé à quelqu’un comme John Cassavetes, pas comme une influence, mais nous l’avions en tête. Ce réalisateur a réussi à créer des histoires si incroyables tout en restant en famille et qui a créé de l’art au sein de son propre foyer. Je l’admire beaucoup. Pour ces scènes de banlieue de L.A., avec des belles images, j’ai voulu donner l’image d’une famille heureuse, quelque chose qui nous est familier visuellement. Cette espèce d’insouciance de la vie domestique de tous les jours, contrairement à la vie mondaine que nous pouvons avoir dans ces villes de banlieue. Je voulais montrer aussi que cette famille était brisée. Le soleil continue à se lever, le camion d’ordures continue à ramasser des poubelles, il y a toujours le bus scolaire qui passe, tout se passe normalement dans cette ville. Le monde continue de tourner malgré la tragédie.

Q : Je voulais poser une question sur l’aide qui est apporté à ces personnes qui vivent ce drame. Il y a dans votre film ces deux formes d’aide : l’aide des professionnels est montrée et aussi celle de la femme de ménage. Tout cela est montré dans un mot. Très souvent, on voit bien des gens qui essayent de faire quelque chose, mais qui n’y arrivent pas. Vous êtes dans ce parti pris de ne pas parler et d’en dire le moins possible justement. Comment l’avez-vous ressenti ?

Orser : Ma conviction personnelle est que c’est l’univers qui va se prendre en charge de lui-même. Je pense que lorsque l’on a ce genre de tragédie dans sa vie, on reçoit une aide à un moment donné. Cela peut être l’aide d’un étranger, d’un membre de la famille. Il y aura une aide à un moment donné. On va recevoir une aide, car c’est dans l’ordre des choses. Moi-même, lorsque j’ai préparé le film, j’avais une conseillère, une psychologue et je lui ai demandé de tous les couples qui venaient la visiter et qui vivent ce genre de choses, quels sont ceux qui ont la meilleure chance de s’en sortir, de survivre et d’aller de l’avant en ce genre d’expérience. Elle m’a répondu que c’étaient les gens qui avaient une conviction profonde, religieuse qui avaient la foi que ce soit en Dieu ou en une entité supérieure, qui avaient les meilleurs chances de pouvoir analyser ce qui s’est passé et puis survivre et aller de l’avant. Ils savent que cela va prendre du temps de guérir et de continuer dans la vie. Dans le film, je voulais mettre quelqu’un qui a comme un lien direct avec Dieu et je ne voulais pas que cela soit le couple, je voulais que cela soit quelqu’un d’autre. C’est pour cela que j’ai introduit ce personnage de la femme de ménage, qui est un peu comme une espèce d’ange gardien. C’est un personnage dans le film qui a beaucoup de symbole. Le fait qu’à chaque fois qu’on la voit, elle vient avec un imperméable ou un parapluie. Elle vient toujours comme si elle sortait de la pluie. Cette pluie est un élément qui est chargé de symbole. C’est le renouveau, elle porte en elle beaucoup de symboles et dans cette ville de Los Angeles, il ne pleut presque jamais. Dans le film, elle vient toujours avec ce parapluie, car elle dit que la pluie va venir. D’ailleurs, la pluie amène la pluie et donc quelque part le renouveau de la vie. Je voulais vraiment que ce personnage qui a cette foi dans le film ne soit pas le couple, qui est là dès le départ, mais que quelqu’un leur importe cette vision.

Q : Qu’est ce qui vous a poussé à produire ce film et vers celui-ci ?

Todd Traina : Leland et moi sommes de vieux amis. On se connaît depuis très longtemps, depuis l’école et lorsque j’ai vu, il y a quelques années, son court-métrage, qui était en quelque sorte le point de départ du scénario – c’était un peu comme le film que vous avez vu aujourd’hui mais en plus court – lorsque j’ai vu ce court-métrage, je l’ai trouvé très beau. Leland m’a ensuite passé le scénario de la version longue qui a débouché sur ce long-métrage. Son travail m’a fait aussi penser à Cassavetes. C’est à mes yeux un projet très courageux. Artistiquement parlant, c’est en effet un projet risqué. Ce genre de film est un genre à risque pour le financier, producteur que je suis. Mais c’était un projet dont le moteur était la passion de son réalisateur. J’ai donc eu envie de les aider, de les soutenir. J’ai eu envie de créer un environnement de travail pour Leland, qui lui permette vraiment de faire le film comme il avait envie de le faire. Je voulais sauvegarder sa vision en tant que réalisateur. Malgré le fait que ce film est un risque au départ, c’est à mes yeux un succès, car on est tous là, ce jour, ensemble. Cela prouve pour moi que j’ai eu raison de prendre ce risque. C’est un travail qui repose sur l’amour.