Conference-de-Presse - Danny Glover

Par Mulder, Deauville, 07 septembre 2011

Danny Glover Q : J'ai deux questions à poser : la première pour l'homme, la seconde pour le comédien. La première est de savoir ce que représente pour vous le 11 septembre et quels sont vos souvenirs du 11 septembre ? Et que pensez-vous de l'élection de Barack Obama ? Ma seconde question pour le comédien, comme on connaît très bien votre réplique culte, « je suis trop vieux pour ces conneries », n'êtes-vous pas trop jeune pour un hommage ?

Danny Glover : Je vais commencer par répondre à la deuxième question. Depuis le 22 juillet, j'ai 65 ans et cela me donne l'envie d'apprécier cet âge-là. Je suis heureux d'y être arrivé, de le dépasser aussi, étant extrêmement actif. A chaque fois que l'on vous rend un hommage, qu’on vous rappelle votre carrière, c'est l'occasion de vous rendre compte que c’est arrivé et de marquer un temps d'arrêt pour vous demander quelles sont les personnes grâce auxquelles vous en êtes arrivés là. Ma carrière en elle-même est d'une extrême vacuité. Il ne s'agit pas de s'attarder sur la notion de carrière, mais sur des personnes qui vous ont accompagné dans ce cheminement. Toute cette commémoration prend un autre sens, quand j'essaye d'en percevoir les contours dans le regard de mon petit fils, qui a sept ans et demi ou quand je regarde le continuum formé par le domaine dans lequel je travaille finalement, je n'arrive que dans le point d'une ligne continue. Quand je regarde le mariage remarquable que je vis avec une femme remarquable depuis deux ans. C’est dans ce cadre-là que je peux recevoir uniquement cet hommage. J'irais même plus loin en disant que je suis là où je suis car j'y ai été hissé par l'impulsion de toute une génération d'acteurs et d'actrices : tout d'abord tous ceux qui sont de descendance noire et africaine et aussi de tous les acteurs et les actrices du monde. Je m'inscris dans cette lignée, je suis porteur de cet héritage et c'est en cela que cela a un sens. Ce que je fais ne prends un sens que dans cette continuité-là. Pour ce qui est de la première question, nous sommes là effectivement à la veille de la dixième commémoration du 11 septembre, de cette tragédie. La question la plus fondamentale et la plus hardie qui se posent à nous aujourd'hui est de savoir si dix ans après, nous vivons dans un monde plus sûr ? Sommes-nous plus en sécurité non pas seulement grâce aux relations et aux actions tant menées par mon pays que par le reste du monde ? Pour moi, le monde est plus sûr si on s'attelle finalement à la résolution de la question de la pauvreté, à la question de la redistribution des richesses. Le monde devient plus sûr, si nous utilisons nos ressources aux bénéfices d'une dynamique humaine. Le monde devient plus sûr, si on sait que ce qui élève l'humanité est l'amour, c'est la création de la communauté de ce que l'on aime. Le monde est plus sûr, si on utilise toutes nos ressources, afin de donner du bien-être à l'espèce entière qui vit sur cette planète. Il se trouve que je suis né vingt-cinq mois après un certain débarquement qui a eu lieu à peu de distance d'ici. Ce débarquement a permis à l'Europe de se libérer de l'emprise du fascisme et de l'occupation allemande. Cette libération-là, il faut savoir qu'elle nous a libérés d'une guerre qui nous a tous marqués dans nos existences et histoires collectives. Cette guerre, si horrible qu'elle fut, fait pale figure par rapport aux mal que nous avons pu faire et le sort que nous avons réservé aux populations du monde que cela soit en Afrique, en Asie, ou en Amérique latine, depuis cette date-là. Il faut que cette date continue à raisonner mais qu’on utilise cette libération-là en tant que catalyseur pour que nous-mêmes nous sachions qu'un nouveau paradis existe et qu'il faut à présent utiliser les ressources pour nourrir le progrès non plus en tendant vers la guerre, mais en tendant vers la paix. Je ne dirais pas que l'élection d'un président afro-américain est la construction d'un mouvement. Je ne dirais pas non plus qu'elle nous permet de ressusciter en tant qu'être humain et se traduit pas en un salut de l'humanité qui aurait déjà été entamé.

Q : Je crois que l'on peut tous féliciter la carrière de Danny Glover, qui est un acteur formidable et un producteur et metteur en scène de talent. J'aimerais savoir ce qu'il influe pour le choix de vos films. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?

Glover : J'ai la chance exceptionnelle de pouvoir bénéficier d'une place à part dans le paysage cinématographique américain. Je suis attaché à la diversité du cinéma mondial. Je me suis reconnu immédiatement en faisant partie du cinéma mondial quand j'ai vu le premier film de Ingmar Bergman, de Luchino Visconti, Federico Fellini, de Akira Kurosawa, je ne peux que m'inscrire dans cette tendance. Quand une possibilité s'offre à moi de produire un film de Apichatpong Weerasethakul, je fais tout ce que je peux et mon seul regret est de ne pas avoir eu la chance d'y jouer. C'est un film absolument magique. J'ai la chance aussi de pouvoir travailler avec un ami cher qui est Elia Suleiman et là aussi, j'ai été très heureux de participer à la production du film Le Temps qu'il reste. C'est comme cela que je conçois mon travail, en essayant de trouver ce que nous avons de commun en tant que membres de l'humanité, et je crois que cette recherche de terrain commun est quelque chose qui m'a été inculqué par mes parents et peut-être aussi le fait d'avoir grandi à San Francisco. Tout cela, je peux le mener à bien grâce aux coproducteurs que j'ai. Ce qui est à venir sera encore plus extraordinaire.

Q : J'aimerais vous poser une question par rapport au film que vous avez coproduit et que l'on a vu hier, The Black power mixtape. J'aimerais savoir, par rapport au fait de pouvoir parler de ce mouvement et d'avoir choisi des documents inédits et de finir sur une note qui implique qu’il y a encore pas mal de chemin à parcourir, pourquoi avez-vous eu envie de produire en ce moment ce documentaire ?

Glover : On se pose toujours la question du pourquoi et du comment quand on se retrouve engagé sur des projets, en l'occurrence là, ce qui m'apparaît clairement, c’est les souvenirs. Il y a deux ans et demi, de ma première rencontre avec le réalisateur et les producteurs de ce film, où ils commencent à parler de leur projet et moi, j'ai été envahi par une vague de souvenirs, par une période marquante de ma vie où j'étais un gamin de vingt ans. Je me revois dans cette salle, en face d'un mur, à écouter cette figure exceptionnelle et de ne pas avoir grand-chose à dire. Finalement, je buvais ses paroles pour ensuite aller moi-même lire les documents et de me les approprier. Ce projet a été très important pour moi, car il me permettait de revenir dans mon passé qui m'a tant marqué, sur mon présent, ce en quoi je suis engagé et de continuer dans cette lancée-là et de l'inscrire dans la durée. La première fois que j'ai entendu parler de Stokely Carmichael, j'avais dix-sept ans, donc j'étais un gamin absolument fasciné par ce discours et je me jetais dans ses lectures pour apprendre qui étaient ces personnes qui étaient vraiment dans le feu de l'action dans le sud du pays et qui étaient des jeunes, eux aussi une poignée de gamins. Je n'avais qu'un rêve, qu'une seule inspiration : c'était de suivre leur pas et de m'engager comme eux le faisaient. Je me souviens que la première fois où je suis allé rendre visite à mes grands-parents, qui étaient dans le fin fond de la Géorgie, dans le cœur de ce mouvement ségrégationniste, j'y suis allé avec mes rêves de révolte. Je pars de San Francisco pour aller en Géorgie et je ne veux pas lire ce que le panneau me demande de faire. Je vais me planter devant la porte d'entrée du côté de la route et rentrer dans le salon par la porte d'entrée. J'ai tenu jusqu'au bout, je me suis présenté devant la maison, j'ai ouvert la porte et tout le monde s'est retourné et m'a lancé un tel regard que je me suis oublié. Je n'ai pas pu aller plus loin dans mon audace. Mon grand-père a eu vent de cette histoire, il n'était pas là, mais il a su ce qui s'était passé et il m'a demandé, maintenant que j'avais fait ça, m'a demandé comment je voulais rentrer chez moi avec eux en voiture ou en bus seul.

Q : J'aimerais savoir ce qui est pour vous important pour l'émergence du cinéma afro-américain ? Et j'aimerais avoir également vos conseils pour savoir comment on pourrait avoir en France également des stars afro-antillaises ?

Glover : Je crois en fait que les racines sont extrêmement lointaines. On ne peut pas prendre en soi le mouvement des droits civiques comme le mouvement qui a résolu et qui a fait émerger et accorder un rôle aux afro-américains aux Etats-Unis. Les racines sont plus profondes. Il faut d'abord parler de cette loi en 1942, qui a autorisé les afro-américains à exercer d'autres métiers et être présent de façon massive en grand nombre. Tous les postes étaient accessibles pour eux. Huit ans auparavant, il y avait un grand syndicaliste australien, qui a lancé cette idée de grève sur les docks. Il est allé voir toutes les églises noires de San Francisco en encourageant ces personnes-là. Il leur disait que si eux maintenaient la grève, le jour où ils vaincront, ils sauront qu’on pourra compter parmi les dockers des noirs. Tous ces mouvements-là ont créé une dynamique qui aurait pu déboucher par la suite sur le mouvement des droits civiques, mais il y a aussi tous les phénomènes sociaux économiques à prendre en compte. La désindustrialisation à joué également son rôle. Tous ces phénomènes-la, soit la fin de la Seconde Guerre mondiale, les nouvelles technologies ont contribué à ce que les phénomènes économiques puissent s'enclencher. En France, vous pouvez également rencontrer ce type de problèmes similaires, mais là aussi, il faut les inscrire dans un contexte socio-économique qui est celui de la France. Il faut voir ici que la désindustrialisation a pu avoir des effets contraires dans la mesure où toutes les personnes d'Afrique ou d'Haïti sont venues vers la France en raison de ces phénomènes dans leurs pays. La France a commencé a être la terre de la tolérance, d’accueil et d'ouverture. Petit à petit, cet esprit-là a laissé la place à une certaine peur, un certain rejet. Chaque époque a ses propres contradictions, a sa propre dialectique. Il s'agit de prendre la mesure de cette dialectique pour pouvoir accéder à une amélioration du sort de l'humanité. Même si on ne regarde que de façon simplifiée cette période-là des années 1970, il faut voir dans quelle atmosphère on était, ce qui se passait autour de nous. Il ne faut pas prendre le mouvement des droits civiques en soi. Il faut voir aussi le pouvoir des femmes, la guerre du Vietnam, toute cette jeune génération qui rejetait de façon irrémédiable le rêve américain tel qu'il avait été construit par la génération de leurs parents, après la guerre et qui était une société basée uniquement sur la consommation. Ils ne voulaient plus de ce monde consumériste. Ils le rejetaient de façon nette et massive, en disant que le rêve à eux n'était plus d'avoir une grosse voiture et une belle pelouse. Ils aspiraient à une autre vie. Ce mouvement-là venait s'inscrire dans une ambiance plus générale de révolte et de rejet et cela se ressent jusque dans l'Art. La musique de cette époque s'inscrit également dans cette spirale.

Q : Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés quand vous décidez de produire des films singuliers et très personnels ? La façon dont vous produisez ces films est-elle un acte de révolte, de protestation ?

Glover : Cela remonte à l’époque quand j'étais jeune homme : je caressais comme cela l'idéal de devenir peut-être un grand voyageur et j'étais nourri par toutes ces lectures et j'avais cette vision d'un militantisme qui se plongeait vraiment dans les racines du mal tel qu'il était exercé. Quand vous lisez des projets, on se rend compte qu'il y a des gens vraiment exceptionnels, un talent et une audace que l'on ne trouverait pas ailleurs. Quand je vois quelqu'un qui est assez fou pour faire le procès du FMI comme à Bamako, comment je peux ne pas répondre favorablement et ne pas vouloir m'engager dans un projet comme celui-là ? J'ai pris partie à ce projet-là d'autant plus que je vois que l'on traite des questions comme celle de la bourse, du fonctionnement du monde libéral d’un point de vue général, économique et technique, mais de façon très intime. L'impact ressenti de ces thèmes-là sur les personnes. Cela reste un sujet particulièrement personnel et filmé à hauteur des êtres humains. Quand je montre ce film-là à l'ambassadeur du Venezuela, aux Nations Unies, il me dit que cela est son histoire. On se retrouve donc plonge depuis Bamako à Caracas. Ce n’est pas finalement Bamako ou Caracas, c’est aussi valable à la Nouvelle Orléans. La seule chose que je cherche à travers le cinéma est cela : c’est de toucher à ce qu'il y a d'universel. La question que je me suis toujours posé à moi-même, quand j'étais jeune homme, était de savoir ce que je porte moi-même qui est en lien avec le fonctionnement global du monde. En quoi l'économie a un impact sur ce que je porte en moi et la façon dont je me développe en tant qu'être humain. En fait, j'étais juré dans un festival avec Abderrahmane Sissako et on discutait ensemble. J'avais vraiment été ébloui par son film En attendant le bonheur sur l'immigration et je lui avais demandé quel serait son prochain projet et il m'a présente ce projet fou, cette idée d'un tribunal qui ne serait qu'une petite cours et où aurait lieu le procès de la banque mondiale du FMI et il m'a dit en fait que c'est son histoire. Il vivait dans une petite cours avec vingt-cinq personnes de différents âges et milieux. Le premier titre du film était La Cour. Je trouvais le projet passionnant, car on y voyait les ex-victimes du système libéral et on montrait aussi à ceux qui sont censés venir en aide à ces personnes ce qui se passait réellement. On a montré ce film à New York et les dirigeants venaient nous voir en pleurs, car ils avaient vu la réalité qui lui était montré concrètement.