Conference-de-Presse - La Couleur des sentiments

Par Mulder, Deauville, 03 septembre 2011

L'auteur du roman, Kathryn Stockett Q : Avant d’être un film, c’est un roman donc j’aimerais poser une question à la romancière, afin de savoir quelle était la part du vécu, de personnel dans ce qu’elle raconte. J’aimerais aussi savoir la part du roman et de la fiction. Enfin, ma dernière question était de savoir si elle a pensé au cinéma en découpage, en structure narrative, comment s’est fait l’adaptation en rapport avec le réalisateur ?

Kathryn Stockett : Non seulement il ne s’agissait pas d’en faire un film, mais je n’avais même pas la certitude, je craignais même d’être pas publiée en tant que roman. Il faut savoir que j’ai essuyé en l’espace de trois ans soixante refus de la part d’agents littéraires. Une fois que vous avez traversé cela, vous avez beaucoup de mal à croire en l’avenir du projet. Il se trouve effectivement que je m’étais inspirée de l’histoire de Dimitry qui était cette femme noire américaine qui s’est occupée de toute notre famille pendant trente-deux ans. Il s’agissait pour moi de remémorer, de recréer l’histoire de cette femme de façon plus large, de rendre hommage à cette figure-là mais personne n’en voulait, ce n’était pas possible d’en faire un roman, encore moins un film. Or, il se trouve que mon ami d’enfance Tate Taylor, qui est à mes côtés, s’est emparé de ce manuscrit et a commencé au fur et à mesure de l’adapter pour en faire un scénario de film, avant même que je lui dise que ce livre ne sera pas publié. Comme c’était mon meilleur ami, je lui ai dit que c’était impossible, que cela ne marcherait pas et pourtant, lui, il y a cru et a réussi à me convaincre qu’il ne suffisait pas que cela soit une personne du Sud qui porte cette voix et qui incarne cette histoire, mais qu’il fallait vraiment que cela s’enracine dans le Mississipi et qu’on y donne une réalité plus concrète. Voilà comment le livre, puis le film ont pris naissance.

Q : Pour rebondir sur ce qui vient d’être dit, j’aimerais que Kathryn nous dise quel regard elle a sur cette adaptation autobiographique. J’ai aussi une question pour le réalisateur Tate, malgré qu’il ait écrit cette adaptation sans vraiment la consulter, est-ce qu’ils étaient toujours d’accord sur l’évolution de ce film, y a-t-il eu par moment des contrariétés ou pas ? Enfin, quel regard portent-ils sur l’un et l’autre ?

Tate Taylor : Je dois dire oui, une fois que j’ai réussi à obtenir les droits, j’ai pris le livre et je me suis « barré ». Même s’il est de notoriété publique que Kathryn n’est pas une grande cinéphile, on ne peut pas dire qu’elle fréquente beaucoup les salles obscures, elle préfère plutôt lire des romans. En fait, je ne peux pas dire qu’il s’agisse d’une collaboration, car du propre aveu de Kathryn, elle était trop contente de s’être débarrassée de cette dimension-là du projet. [Aucune réponse de Kathryn à cette question]

Emma Stone

Q : Je tiens d’abord à vous féliciter pour ce film, qui fait passer à la fois beaucoup d’émotions et de valeurs morales. Ma question est la suivante : on a beaucoup parlé de l’influence de la série « 24 heures chrono » sur le fait de faire passer dans l’opinion publique le fait d’avoir un président afro-américain. Pensez-vous que ce film va participer à entretenir la flamme de ce mouvement ?

Viola Davis : Il se trouve que nous tous, nous nous sommes engagés dans le projet d’un très beau film. On avait juste cette ambition-là de nous baser sur cette histoire, qui était une histoire fictionnelle et en partant de cette histoire de rendre un film très beau. Il se trouve que le public a perçu ce film autrement et y a perçu un message plus large, une affirmation d’une volonté qui serait de cet ordre-là, sur la question raciale qui n’était peut-être pas dans notre intention première. Cela dit, je considère vraiment qu’il est très important pour moi qu’aujourd’hui aux Etats-Unis, le cinéma des grands studios, qui atteint le plus grand nombre, doit traiter davantage de la mixité des peuples et des races dans notre pays, parce que c’est ce qui fait la beauté de notre pays, le fait que différentes races soit présentes et que toutes ces personnes puissent vivre ensemble et être ensemble. Or, il se trouve que nos formes artistiques n’en rendent pas compte. Je pense que cela devrait changer.

Q : Je tiens aussi à vous remercier pour ce film, qui est une très belle ouverture pour le festival dans toute sa multiplicité, aussi bien cinématographique que par son propos. J’aimerais poser une question aux quatre comédiennes : savoir comment vous avez ressenti cela, quelle a été votre approche de chaque personnage et que représente ce film pour vous ? Je pense que le message de ce film est important pour les Etats-Unis, mais aussi pour tous les pays du monde entier par rapport aux relations entre les gens.

Allison Janney : Nous sommes très heureux et honorés d’être invités au festival du cinéma américain de Deauville. Moi, je dois dire que je suis tombée amoureuse de ces personnages dès que je les ai découverts dans le roman de Kathryn. J’ai trouvé que c’est à travers eux que l’on comprenait que les personnes ne sont que les produits de l’environnement dans lequel elles vivent. C’est tout à fait le cas de mon personnage : c’est une femme qui est effrayée, a très peur du changement. Elle essaye de résister à celui-ci. Le mouvement des droits civiques est quelque chose qui la bouleverse dans sa vie, telle qu’elle se l’est construite. Dans sa réécriture, Tate en a fait un personnage encore plus riche, car c’est une personne qui connaît la rédemption. C’est une femme qui vit dans une espèce de sévérité envers elle-même et les autres, mais je pourrais dire qu’elle va vers la lumière. Elle arrive à jeter hors de sa maison ce personnage, ce qu’elle aurait dû faire dès le départ avec toute cette assemblée de jeunes filles de l’Amérique qu’elle recevait chez elle. Ce qu’elle n’a pas pu faire à cause de ses propres faiblesses durant le film, une opportunité lui est donnée à la fin, ce que j’ai trouvé très beau.

Octavia Spencer : Bonjour, merci beaucoup. Pour moi, l’enjeu principal c’était de ne pas surligner, de ne pas en faire trop dans l’exubérance de mon personnage. Il s’agit d’une personne qui s’exprime, qui prend position, mais il fallait quand même que je me limite au contexte qui était le sien, il ne fallait pas oublier que cette femme-là, qui avait l’air comme cela très insoumise et très insolente dans son propre foyer, était dans la soumission. Elle ne pouvait pas défendre ses droits face à l’homme en l’occurrence avec lequel elle vivait. Il s’agissait de rester dans la nuance et non dans une exubérance excessive. Pour ce qui est de la question de la race, c’est quelque chose que je n’ai pas eu à jouer, c’est une femme noire mais je peux remercier Kathryn de m’avoir permis de me glisser dans la peau de cette femme-là et de pouvoir faire mienne sa complexité justement et d’incarner ce personnage-là au-delà de la question de la race.

Viola Davis

Emma Stone : C’est toujours difficile de répondre après les autres, car vous passez votre temps à vous demander ce que vous allez dire et finalement vous n’avez plus rien à dire. Ce que je peux dire à propos de mon personnage, c’est que j’ai eu aucun mal à m’identifier à elle, car c’est une jeune fille moderne. Elle a vingt-deux ans comme moi, je pouvais me reconnaître tout à fait dans son projet de vie et dans le fait qu’elle ne se voyait pas mariée avec des enfants à son âge, même si finalement elle n’en fait pas un cheval de bataille. J’aurais beaucoup plus de mal à incarner un personnage plus typique de cette société qu’elle fréquente, comme celui de Elly par exemple, mais j’ai beaucoup aimé le fait qu’elle ne soit pas comme cela, une héroïne qui s’affiche, qui a des visions très superficielles sur la société. C’est quelqu’un qui essaye de ressembler à ses paires et je pense qu’en tant que spectatrice, on a beaucoup plus de facilité à s’identifier à une personne qui essaye d’être comme les autres, mais qui n’y arrive pas forcément. J’ai aimé cette complexité-là, cette subtilité-là et j’ai réussi à m’approprier le personnage. Pour cela, je suis très reconnaissante envers Kathryn, qui l’a créé, et Tate, qui l’a transposé pour le cinéma.

Davis : Mon personnage est un personnage silencieux et en cela j’ai dû vraiment, pour l’incarner, lui créer une vie intérieure et une histoire intérieure et intime. Je sais qu’une dimension qui était fondamentale pour moi, était d’arriver à savoir qui était cette femme, était la question du deuil de son fils qu’elle venait de perdre. Au début du film, c’est une femme qui est éteinte, une femme chez qui tout est mort et c’est seulement cette proposition de livre, qui la ressuscite en quelque sorte, qui lui donne un nouveau but dans la vie. Cela a été pour moi vraiment difficile d’arriver à construire un personnage silencieux, parce que je sais que le public a beaucoup plus d’attitude à aller envers un personnage, qui vous saute à la figure, qui s’affirme, qui s’affiche. Aller vers un personnage où le travail reste à faire pour le spectateur serait plus compliqué. Il fallait donc que je ne perde pas confiance, que je sache que cette vie intérieure, que je lui construisais, suffisait à la faire vivre et que je sache que le jeu que je donnais à travers mon comportement, mon regard, était suffisant pour que cette femme existe à l’écran.

Q : J’aurais une question sur la double discrimination traitée dans ce film, à la fois sur la couleur et aussi d’être femme à l’époque traitée. Qu’avez-vous voulu en faire ressortir ?

Spencer : Je crois que c’est important de savoir que le rejet, cette discrimination n’est pas uniquement raciale effectivement, vous pouvez être rejeté également envers votre race, votre âge, votre sexe, c’est quelque chose qui est important de montrer qui existait avant l’époque décrite, avant le film, et qui a existé encore après. Il ne s’agissait pas de jouer cela, mais de rendre compte d’une réalité avec cette complexité-là. C’est quelque chose que l’on a eu à faire, c’était écrit et nous avons eu à en rendre compte dans cette façon d’être.

Stone : La question de savoir si cet état d’esprit est encore présent aujourd’hui, on en trouve une réponse uniquement en voyant la résonance d’un film comme celui-là et le succès qu’il remporte. C’est un film qui traite de cette question de la discrimination. C’est un film qui n’est porté que par des personnages féminins et il a la résonance que vous savez. Je crois que cela répond à la question.

Q : Pouvez-vous nous parler de la production de ce film ?

Brunson Green : Il se trouve à la fois que Kathryn, Tate et moi sommes tous les trois originaires de la ville de Jackson. C’est un peu notre histoire qui se construit là et aussitôt que Tate a acheté les droits du livre de Kathlyn, on a commencé tous les deux à se dire que comme on avait déjà travaillé ensemble, on allait encore faire un film à petit budget comme on sait les faire, on va prendre le taureau par les cornes et cela ira très bien. Au fur et à mesure que l’on travaillait, il se trouve que le livre a remporté un grand succès, il a été vendu à des millions d’exemplaires. Petit à petit, on s’est rendu compte que l’on pouvait envisager une autre échelle de production pour cette histoire-là, qui s’y prêtait très bien. Tate était déjà ami avec Chris Columbus, qui avait beaucoup aimé son film précédent. Ils avaient une relation potentielle ensemble et nous aussi, on parlait du projet et il s’est joint à nous pour travailler. L’idée que nous avons eu immédiatement, c’est que nous voulions travailler dans des décors réels. Il ne s’agissait pas tant de trouver des studios que de travailler dans le Mississipi, que de commencer des repérages afin de savoir qu’elles étaient les maisons à sélectionner ou encore où certaines séquences du film seraient tournées. On est tombé sur ce petit village du Mississipi, qui s’est complètement figé dans les années 1960, donc tout était là et nous avions entre nous déjà pu avoir une idée très précise de ce à quoi le film ressemblerait, quand le livre est arrivé à l’apogée de son succès au début de l’année 2010. Tout a pu s’organiser de cette façon-là. A ce moment-là, Dreamworks s’est intéressé au projet et on a pu le tourner tel que Tate le souhaitait, c'est-à-dire comme une lettre d’amour adressée au Mississipi. Cela n’a pas dû vous échapper que le personnage central de ce film est l’Etat du Mississipi, au-delà de ces femmes.