Conference-de-Presse - Snowpiercer, Le Transperceneige

Par Mulder, Deauville, 07 septembre 2013

Q : Comment avez-vous transformé votre personnage pour que cela soit une directrice d’école si délicieuse ? Le monde du train est-il notre monde d’aujourd’hui et comment l’avez-vous percu ?

Bong Joon Ho: A l’origine du scénario Mason (Tilda Swinton) était censé être un personnage masculin mais comme j’avais très envie de travailler avec Tilda Swinton et qu’à ce moment-là, elle avait une très forte envie de se transformer physiquement nous nous sommes entendus pour son personnage extraordinaire. Du coup avec la costumière nous sommes allés directement dans la maison de Tilda et là ce fut un feu d’artifice de tentatives. Nous étions aussi gais que des enfants. Nous avons fait plusieurs tentatives avec des prothèses nasales, des dentiers et tout cela avec plein d’autres accessoires. Ce fut une expérience inoubliable. Il y a des spectateurs qui ont du mal à la reconnaître dès les premières minutes. Sachez que nous nous sommes retenus justement pour ne pas trop la grimer mais cela aurait pu être encore plus poussé. Effectivement, le scénariste de l’œuvre originale a eu une idée géniale et a comparé le train à une miniaturisation de notre monde en réalité il y a trente ou quarante ans, dans les années 70. En transposant aujourd’hui cette œuvre dans notre univers d’aujourd’hui, je réalise que sa création a été à la fois universelle et intemporelle.

Tilda Swinton : sachez que Mason c’est moi sans maquillage (ton humoristique)

Q : j’ai une question pour Tilda Swinton, je vous ai vu dans le monde de Narnia et dans pas mal de films également et j’aimerais savoir si c’est vraiment ce film qui vous a révélé ou ouvert des portes ? J’ai une autre question pour les créateurs de la bande dessinée, j’aimerais savoir ce que cela fait d’avoir sa bande dessinée adaptée au cinéma dans un film international ?

Swinton : en effet, il y a toute une génération d’enfants de huit ans qui m’ont découvert avec Narnia. Pour répondre à cette question je dirai oui. Mais, il y en a d’autres qui me connaissent avant et ont pu m’apercevoir avant.

Jean-Marc Rochette : pour la bande dessinée, il faut savoir qu’elle a été créée en 1982-83, j’avais vingt-cinq ans. C’est très vieux pour moi. Et c’est de l’ordre du miracle. Cette histoire a été découverte d’une manière très étrange à Séoul. Le réalisateur l’a trouvée dans une petite librairie tout à fait par hasard. On a réussi dix ans après à l’adapter. Cela laisse un peu sans voix.

Benjamin Legrand : c’est un peu du domaine du miracle. C’est extraordinaire que le film ait pu être fait par un aussi grand réalisateur.

Q : J’ai une question pour Tilda, d’où vient ce goût pour le travestissement ? Quels souvenirs avez-vous de votre venue à Deauville ici avec George Clooney ?

Swinton : J‘ai un souvenir assez précis et plutôt idyllique, c’est ce qui le rend particulier mais je me souviens d’avoir été ici auparavant. Pour ce qui est du travestissement, je crois que c’est tout le sens de ce métier pour moi, si il y a plaisir ou vocation dans le métier d’actrice c’ est le plaisir de se déguiser et surtout de jouer et de m’amuser. Quand un grand réalisateur comme Bong Joon Ho que je suis très assidûment en tant que spectatrice a l’idée de venir vers moi pour me proposer ce rôle, d’abord je lui demande si il est bien sûr et je lui réponds pourvu qu’il ait vu vrai, si il y a du jeu, je viendrais avec plaisir. J’étais sûre que on s’en amuserait. Pour ce qui est de ce personnage de dirigeant monstrueux comme les premières pages de nos journaux savent si bien nous les présenter, on a pris le parti de cette monstruosité ridicule. On a suivi peut être l’inspiration que nous donne Charlie Chaplin avec son film Le Dictateur. On s’est rappelé les phrases absolument drôles que nous avons pues entendre dans la bouche d’un George W Bush. On a eu un certain nombre de modèles qui nous a rappelé que la meilleure façon de souligner leur monstruosité, c’était de les présenter en cool.

Q : J’ai deux questions. Pour le réalisateur, ma première question est de savoir si le train n’est pas une question de ?? . Pour les auteurs de la bande dessinée, tous les deux se sont écartés de l’original de Jacob, ils se sont réappropriés l’univers qu’est le train pour en faire autre chose, choisir un autre train que le transperceneige, est-ce parce qu’ il était trop difficile de reprendre derrière Jacob.

Bong: que ce soit une bande dessinée ou un roman, le travail d’adaptation cinématographique exige une réappropriation totale de l’œuvre originelle. Plus le roman graphique d’origine est magnifique et magique plus il faut avoir le courage de le digérer totalement pour en faire un travail de recréation. C’est vrai, tout le monde à l’impression qu’il y a une grande différence entre le roman graphique d’origine et mon film. lI faut savoir que l’esprit des scénaristes et du dessinateur plane tout au long du film, par exemple c’est Jacques Lob qui a eu cette idée formidable de l’Age de glace et de ces survivants qui tentent de survivre dans ce train perpétuel. Avec son dessin exceptionnel, il nous montre une vision extraordinaire du monde intérieur et extérieur par rapport au train. Benjamin Legrand qui a travaillé sur les tomes 2 et 3 nous révèle justement le côté effrayant des mensonges de la vérité qui sont utilisés pour maintenir un système artificiellement. J’ai envie de dire que ce film n’aurait pas pu exister sans son aide.

Benjamin Legrand : disons qu’après la mort de Jacques Lob qui était un ami aussi en plus d’être un peu mon maître en matière de scénario de bande dessinée. Quand j’ai commencé, j’avais le même âge que Jean-Marc et Jacques était déjà un grand scénariste. Je rappelle que c’est le seul scénariste de bandes dessinées qui a eu le grand prix à Angoulême. Jean Marc m’appelle un jour et me dit et si on faisait une suite. Je lui ai répondu comment je peux faire une suite car à la fin du tome 1, il ne reste qu’ un seul homme dans sa locomotive et toute trace d’humanité a disparu. Il me répond, tu te démerdes. On s’est démerdé. On a publié une suite dans l’idée de faire revivre la bande dessinée de Jacques. 10 ans après, c’était devenu un classique. L’idée était donc de faire revivre cette bande dessinée. Le miracle a été que quelques années plus tard quand Bong Joon Ho se rend dans cette petite librairie et achète cette bande dessinée alors qu’on ne savait même pas qu’elle avait été traduite en coréen.

Aparthée de Mme Lob : Je ne peux pas parler à la place de Jacques mais moi de ce que j’ai compris de son scénario et que j’ai vu dans le film, bien sûr Bong Joon Ho a fait plusieurs changements, modifications mais je pense qu’elles ont quelque part nourri la bande dessinée avec le temps qui est passé avec son propre imaginaire et il me semble qu’il a recréé bien sûr quelque chose mais qui est resté parfaitement fidèle à l’esprit du transperceneige.

Q : j’ai une question pour le réalisateur, j’aimerais savoir si l’aspect environnemental du film avec cette terre détruite par l’homme et la reconstitution d’un écosystème à l’intérieur du train était un des thèmes qui l’avait motivé dans l’adaptation ?

Bong: effectivement dans le roman graphique d’origine, il est question de guerre mais j’ai voulu modifier cet aspect en adéquation avec les problèmes d’aujourd’hui. Dans le film, c’est un gaz CW7 qui était censé lutter contre le réchauffement climatique et qui reporte ce retour à l’âge de glace. C’est la conséquence d’un désir de contrôle de la nature de la part de l’homme. C’est là que je rejoins complètement Jacques Lob c’est que l’homme est à l’origine de ce drame écologique

Q : Pouvez-vous nous dire pour quelles raisons le film sera coupé de vingt minutes aux Etats-Unis ?

Bong: Je vous demande de ne pas vous inquiéter car il n’y aura pas de coupes sauvages ni de changements injustifiés. Pour ce qui est de cette rumeur ou ce que l’on a dit sur le film dans sa version américaine qui sera coupé de vingt minutes, pour le moment nous n’en sommes pas encore là. La version que vous avez vue aujourd’hui à la projection de presse et qui sera présenté ce soir à Deauville et qui sortira en France et sa sortie au Japon ou en Corée ou dans de nombreux pays, c’est mon propre montage, mon regard de réalisateur. Pour ce qui est de la version américaine, nous sommes encore en tractation avec la société de Weinstein. Nous allons nous mettre d’accord de façon à ce qu’il n’y ait pas de coupes qui ne me conviennent pas.

Swinton : tout le public anglophone du monde même les écossais méritent de voir la version montée par le réalisateur lui-même. Nous croisons les doigts et nous y croyons.

Q : j’ai une question un peu plus large qui va s’adresser à tous les intervenants. Se battre, détruire et reconstruire, c’est l’humanité. est ce un peu l’image que l’on peut avoir de l’homme en général ?

Legrand : il faut s’avoir qu’avant de se battre, il y a naitre avant et après beaucoup de choses sont liées. C’est une question d’éducation. Ce n’est pas moi qui le dis, les black panthers le disaient aussi. Après, se battre, construire, détruire, il faut savoir qu’il y a plein de gens qui ne veulent pas se battre. Il y aussi plein de gens qui ne veulent pas que l’on détruise quoi que ce soit. Philosophiquement pour cette question on pourrait y passer l’après midi. C’est une bonne question.

Rochette : C’est la nature, les choses se détruisent. Effectivement cela nous entraînerait sur des heures de discussion.

Swinton : la seule réponse que je puisse donner et qui soit en rapport avec le film c’est que l’un des effets qui est peut être thérapeutique inversé, c’est que quand vous sortez non pas une heure quarante mais deux heures à suffoquer dans la claustrophobie d’un trainet en sortant de la salle vous avez l’impression que la vie est immense et bien plus grande à ce titre-là.

Q : Quelles ont été les contraintes dans la reconstitution du train ?

Bong: Cela sera une réponse en plusieurs parties car c’est une très bonne question. Les deux heures de l’action se passent réellement dans le train. En tant que réalisateur, c‘est une chance exceptionnelle. J’ai trouvé cela très excitant j’étais aussi mort de peur. Evidemment, il y a plein de films qui parlent d’espaces confinés dans les avions, les sous-marins mais je pense qu’il n’y a pas de films qui mettent en scène de façon aussi cinématographique le train. Le train est extrêmement mobile. Il peut tantôt traverser un pont tantôt passer sous un tunnel avec un jeu d’ombres et de lumières extraordinaires ou alors décrire des virages serpentins, alors je voulais donner une impression de vie à ce gros bloc de métal et du coup je pensais en fait à un outil technique qui s’appelait le « cambel » en anglais pour créer des mouvements ferroviaires. Pour vous donner une idée de cet outil, en fait, il suffit d’imaginer un manège pour enfants sur ce manège on aurait posé des wagons. Dans la scène où on pouvait voir le mieux ces sensations d’être dans un train est la scène dans laquelle Tilda apparaît pour la première fois pour son discours. On a réussi à reconstituer exactement les secousses et les virages d’un train et certains acteurs avaient le mal de mer quasiment.

Q : J’aime bien cette idée que certains se réapproprient une œuvre et en face quelque chose. Il y a toujours ce train, ce sont toujours des personnes qui remontent de la queue à la tête du train. J’ai une question sur le style. On a l’impression parfois que votre film se veut une sorte d‘hommage à Terry Giliam. Il y a cette inspiration comme cela et puis parfois on revient à des images un peu plus sombres quand on est en queue du wagon. Est-ce que c’est cela qu’on a voulu faire passer. Votre film rappelle un peu Brasil.

Bong: effectivement, j’ai regardé avec beaucoup de plaisir le film Brasil lorsque j’étais étudiant. Mais, c’est un peu vieux. En ce qui concerne Snowpiercer, j’ai voulu rester fidèle à la richesse justement de ce roman graphique et pas seulement sur le point de vue scénaristique. Je me suis aussi pas mal inspiré du graphisme de Jean-Marc. A chaque fois que je regarde ce livre, j’ai l’impression d’être dans une sorte d’île au trésor. Pour illustre ce que je viens de dire, il suffit de penser aux wagons où l’on voit apparaître pour la première fois la serre ou bien l’aquarium. Ces visuels de wagons-là existent dans le roman graphique même si on les voit de façon très courte. Je pense que l’ouvrage d’origine reste une excellente source d’inspiration et d’imagination. Il y a évidemment plein de films que j’adore. Le tout premier film de l’humanité montre un train qui rentre dans une gare. C’est une œuvre des frères Lumières. J’aime aussi Runaway Train de Kurosawa Akira. Le sujet est riche, malgré tout, je n’ai pas l’ambition absurde d’avoir créé le plus beau sur le train. Je sais que c’est trop ridicule et trop ambitieux.

Q : vos compatriotes Park Chan Wook et Kim Jee-Woon ont chacun tourné un film à Hollywood l’année dernière. (Stoker / The Last Stand), j’aimerais savoir si vous en avez parlé tous les trois ? Quelles sont vos impressions à propos de cette vague de réalisateurs sud-coréens qui vont à Hollywood tourner des films.

Bong: effectivement, on s’est vu tous les trois à Seoul pour prendre un verre. Park Chan Wook et Kim Jee-Woon ont souffert et presque pleuré car ils ont énormément souffert de leur expérience hollywoodienne. C’est peut-être un peu cocasse que de hommes adulte se réunissent au bord des larmes. Ce qu’il faut savoir c’est que Snowpiercer est fier d’une distribution internationale mais sa production et son financement sont coréens. Il n’y a aucun producteur Hollywoodien. Dans ce sens ma créativité et ma vision artistique ont été totalement respectées par le producteur. C’est justement Park Chan Wook qui a assuré la production. Comme lui-même garde à la fois un mauvais souvenir de son incursion aux Etats-Unis, il a été très protecteur et respectueux et je lui en suis très reconnaissant. Personnellement, je ne suis pas attiré par une percée à Hollywood. Snowpiercer parle justement d’une poignée de survivants qui sont à bord d’un train. Forcément, il aurait été étrange que tous les survivants soient coréens. Il fallait un casting international avec Tilda, John Hurt, Chris Evans pour que chaque continent soit représenté. Cet aspect cosmopolite est un résultat très naturel du roman graphique d’origine.

Propos recueillis par Mulder, le 07 septembre 2013.
Avec nos remerciements à toute l’équipe de Le Public System Cinema
Vidéo et photos : Mulder