Rois & Reine

Rois & Reine
Titre original:Rois & Reine
Réalisateur:Arnaud Desplechin
Sortie:Cinéma
Durée:153 minutes
Date:22 décembre 2004
Note:
Juste avant le mariage avec le troisième homme de sa vie, Nora descend en province pour rendre visite à son père. Il s'avère que celui-ci, gravement malade, n'aura plus que quelques jours à vivre. Nora essaie alors de lui rendre la mort plus facile et de donner à son fils, Elias, d'une première union qui s'était terminée avec le décès accidentel de son mari, une nouvelle figure masculine de référence. Elle croit trouver ce père de substitution en la personne d'Ismaël, son deuxième mari. Sauf que ce dernier, un musicien sans le sou et poursuivi par le fisc, a été hospitalisé de force dans un établissement psychatrique.

Critique de Tootpadu

En dépit de sa structure en deux parties plus un épilogue, ce quatrième film d'Arnaud Desplechin est profondément morcelé et polyforme. D'une linéarité approximative, le scénario s'emploie plutôt à dessiner le portrait de ses deux personnages principaux qu'à nous épater avec des revirements ou des événements spectaculaires. Autant un film sur le deuil que sur la folie, apparente et dissimulée, l'oeuvre prend néanmoins sa source, son point d'ancrage, dans le rôle d'Emmanuelle Devos. Ce n'est en effet pas par hasard qu'elle est la seule reine de son monde, alors que ses petits rois, au nombre de quatre, voire cinq, tournent autour d'elle (cf. le titre).
Au cours de la durée importante, mais jamais inutile, du film, nous apprenons à connaître cette femme, de prime abord sans faille, belle et sûre d'elle. Mais face au drame de la disparition de son père, des blessures du passé resurgissent, des fantômes lui rendent visite pour lui donner courage. L'effet inverse se produit cependant, Nora glisse très doucement dans une forme d'acceptation de sa culpabilité, de son "égoïsme monstrueux". Au bout du chemin, de la rencontre avec la mort et des souvenirs enfouis, elle se présente à nous sous un nouveau jour, encore plus belle par sa sensibilité et sa cruauté. Sa métamorphose va jusqu'à une rencontre furtive avec son double, une Catherine Deneuve toujours aussi sublime, qui préfigure peut-être ce qu'elle va devenir, plus tard, un être rayonnant mais creux. Inutile de préciser que ce personnage torturé n'aurait jamais trouvé une telle profondeur sans le jeu précis de l'excellente Emmanuelle Devos. Car de l'autre côté du spectre, les choses se gâtent un petit peu ...
Dans son délire narcissique, Ismaël n'atteint en effet que très rarement le point où il deviendrait plus que la caricature d'un éternel adolescent prétentieux. Certes, il existe des moments très touchants, comme la longue explication, qui est plutôt un monologue, qu'il a avec Elias à Chaillot. Mais dans l'ensemble, ce personnage tel qu'il est joué par un Mathieu Amalric un peu trop hystérique n'apparaît que comme le double extraverti, et conçu à gros traits, de Nora.
Bien que l'on ne soit pas de grands adeptes du style de Desplechin, il nous serait difficile de ne pas voir en sa manière de conter cette histoire plutôt triste une envie communicative de faire autrement, de retourner certaines conventions narratives et de bousculer le spectateur en même temps. Il en naît un cinéma exigeant, toujours accessible, dont les thèmes ne nous enthousiasment guère, mais qui poursuit admirablement la suite de portraits de femme commencée avec Esther Kahn.

Vu le 31 décembre 2004, au MK2 Bibliothèque, Salle 12

Note de Tootpadu: