Mémoire d'un saccage

Mémoire d'un saccage
Titre original:Mémoire d'un saccage
Réalisateur:Fernando E. Solanas
Sortie:Cinéma
Durée:119 minutes
Date:29 septembre 2004
Note:
Le désarroi économique de l'Argentine, jadis un des pays de l'Amérique latine les plus prospère, de nos jours au bord de la faillite. Hypothéquée par un endettement progressif depuis son indépendance, il y a deux siècles, l'économie nationale a subi de plein fouet la hausse des taux d'intérêt des années 1980, et la privatisation galopante et illicite sous le président Menem. Avec un tier de million d'habitants qui meurent de faim chaque année, des banques qui bloquent l'accès à l'épargne des particuliers, et une classe dirigeante qui va main-dans-la-main avec le crime organisé et les investisseurs étrangers, le pays est le contre-exemple par excellence d'une politique néo-libérale.

Critique de Tootpadu

Au sein de la vague de documentaires qui peuplent depuis un certain temps nos écrans, la partie politique était presque exclusivement réservée au règne contesté du président Bush, au détriment de sujets peut-être encore plus brûlants. Seul Life and debt, parmi ceux que l'on a vu, pointait le doigt sur la difficulté de survie de l'économie de pays, dans le jargon de l'époque, "émergeants". Ce nouveau film d'un des réalisateurs argentins les plus connus s'engage encore plus dans cette voie, afin de démontrer l'abus criminel du peuple par les politiciens.
Positionné sans aucune ambiguïté dans le camp des pauvres et des travailleurs, Fernando E. Solanas met ici à profit son long engagement politique de gauche. Une sorte de Michael Moore argentin plus âgé et plus intellectuel, le réalisateur n'hésite d'ailleurs pas à se mettre de temps en temps en scène, tout en restant loin du spectacle parfois trop nombriliste de son collègue. On ressent alors une compassion mêlée à la rage de voir son pays natal être précipité à grande vitesse dans le caniveau par la classe politique. Ses prises de position et son approche très frontal, voire partial, ne remplacent ainsi pas une documentation plus factuelle, mais dans le nombre élevé d'accusations ressort un engagement sincère et lucide. Comme encore dans le cas de Moore, les données qu'il nous présente ne reflètent probablement pas toute la vérité sociale et économique, mais par leur gravité, elles nous suffisent pour être, à notre tour, révoltés par ce qui s'est passé en Argentine.
Ce qui choque en effet le plus, c'est la rapidité avec laquelle une économie pourtant assez florissante a basculé dans la faillite. En dehors de l'histoire politique agitée du pays, avec son lot de dictatures militaires et coups d'état, l'Argentine avait en effet les reins relativement solides, grâce à des ressources naturelles conséquentes. Et si la charge initiale de la dette extérieure n'avait pas explosé en raison des pratiques frauduleuses des banques - en gros, si le monde était juste et beau - le pays aurait pu l'effacer depuis la fin des années 1980. Mais c'était sans compter avec l'esprit mercantile du prédateur du nord (les Etats-Unis et l'Europe avec leurs ingérences de subventions et leurs multinationales) et la morale pourrie des présidents argentins et leurs sous-fifres. Certes, Solanas n'y va pas par quatre chemins pour faire passer son message, mais pour une fois, l'énormité du sujet - et le risque de n'y voir qu'un cas d'école pour de futures braderies nationales - dépasse de loin quelques maladresses du cadre.
Ainsi, les nombreux panoramiques en contre-plongée le long des grattes-ciel de Buenos Aires et à l'intérieur des bâtiments officiels font un peu trop penser soit à une perspective qui en appelle à l'intervention d'une force céleste (finalement peu probable en vue des sympathies populaires de Solanas), soit au point de vue d'un être écrasé par le pouvoir des sphères dirigeantes. Peu importe la signification que le réalisateur voulait donner à cette image recurrente, elle est sans doute subtile, mais pas tellement efficace. De même, les inter-titres réguliers et agressifs ne manquent pas de faire doublon, ou, au mieux, de surcharger la forme.
Un très bon documentaire sur des enjeux qui dépassent allègrement le seul cadre argentin, dont la forme n'est malheureusement pas toujours convaincante.

Vu le 8 novembre 2004, au MK2 Beaubourg, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu: