Servant (The)

Servant (The)
Titre original:Servant (The)
Réalisateur:Joseph Losey
Sortie:Cinéma
Durée:114 minutes
Date:10 avril 1964
Note:
Le jeune aristocrate Tony, paresseux et oisif, s'installe dans une petite maison à Londres. Pour l'entretien de la maison et pour veiller à son bien-être, il engage Hugo Barrett, un servant chévronné, qui fait preuve d'un travail irréprochable. Seule Susan, l'amie de Tony, voit d'un mauvais oeil la présence du domestique. La situation se gâte, lorsque Hugo fait venir sa soeur pour l'assister dans ses besognes.

Critique de Tootpadu

La décadence cachée sous la banalité, le renversement de rôles sociaux préétablis et la création d'une dépendance, tels sont les thèmes majeurs de ce chef-d'oeuvre britannique des années 1960.
Le cadre dans lequel se déroule l'histoire n'a en effet rien d'extravagant et, même au contraire, tire profit de la disparition de l'aristocratie dans les moeurs et le cadre de vie bourgeois. La maison dans laquelle s'installe Tony est alors à l'opposé en termes d'opulence du château de son oncle. En effet, si le quartier était moins huppé et si la décoration de l'intérieur avait été faite avec moins de goût et de moyens, sa résidence aurait très bien pu être occupée par des habitants de classes sociales inférieures. De même, les occupations et loisirs du personnage principal n'ont rien d'exceptionnel, entre le projet illusoire et prétentieux de faire construire des villes dans la jungle, et sa relation avec Susan, une fille bien comme il faut. En resumé, toute cette médiocrité rend la déchéance de Tony encore plus abordable, voire plus insupportable, car à l'image de cette vie tiède, les frasques et abus qu'on lui fait subir n'ont rien d'éclatant non plus. Non, la tristesse de son existence qui était encore tolérable tant qu'il vaguait dans l'aisance, dorloté par Barrett, devient beaucoup plus dramatique lorsqu'il commence à perdre ses repères.
Tant la classe supérieure perd de son panache en s'embourgeoisant (la séquence chez l'oncle de Tony est à cet égard révélatrice et comique à la fois), tant le maître perd le statut dans sa propre maison à force de céder à l'avancement masqué de son servant. Bien que l'attitude de Susan envers Barrett ne soit pas non plus la bonne à adopter, tellement elle est arrogante, celle de Tony, à l'image de son caractère sans force, invite carrément le lent processus d'inversement des positions. D'ailleurs, Susan avait bien compris la combine de son adversaire en lui demandant quel était son but. Mais, d'abord, la réponse de Barrett s'intégrait très bien dans l'éternel jeu de déception dans lequel le réalisateur enferme également le spectateur, et ensuite, en l'absence d'un projet sérieux, le train de vie de Tony invite sans aucun doute toute sorte de parasite. Ce n'est que parce qu'il est faible, qu'il cède à chaque moment, sauf le plus douloureux, pendant un rare moment de lucidité, à l'agression sournoise de Barrett, que Tony se fait happer corps et âme par ce domestique redoutable et ses sbires.
Enfin, le thème le plus fort du film, la discipline dans laquelle il excelle à un point que nous n'avons que très rarement vu jusque là, c'est la dépendance, sa création et son épanouissement. La relation entre Tony et Barrett est en effet basée sur le besoin que le maître éprouve envers son serviteur pour garder sa vie ordonnée, ainsi que celui de Barrett d'humilier de plus en plus son supérieur jusqu'à la victoire finale. Tous les moyens sont bons, et en première ligne évidemment le sexe, toutes les stratégies sont planifiées afin d'assujettir Tony, de bénéficier de ses privilèges, peu importe le temps qu'il faudra pour y arriver. A travers les jeux de séduction et la façade d'un service loyal derrière lequel se cache une perfidie peu commune, le film nous fait véritablement ressentir le filet de mensonges dans lequel est aspiré inexorablement Tony.
Cette richesse exceptionnelle du fond trouve évidemment sa prolongation dans une forme des plus réussies, notamment grâce à une photographie brillante et une bande originale subtile, entre autre dans son emploi de cette chanson d'amour, modifié progressivement au cours du film. Alors que toutes les interprétations sont excellentes, c'est surtout la victime, James Fox, qui séduit, émeut et dégoûte à la fois.
Un tour de force du cinéma psychologique subtil et probablement un des meilleurs films sur les rapports de dépendance !

Vu le 27 septembre 2004, au MK2 Bibliothèque, Salle 11, en VO

Note de Tootpadu: