Fahrenheit 9/11

Fahrenheit 9/11
Titre original:Fahrenheit 9/11
Réalisateur:Michael Moore
Sortie:Cinéma
Durée:122 minutes
Date:07 juillet 2004
Note:
Ce documentaire s'attaque de plein fouet aux problèmes brûlants de l'Amérique. La caméra de Michael Moore filme avec scepticisme le Président George W. Bush et ses propres conseillers. Prenant pour point de départ l'élection controversée de 2000, le réalisateur retrace l'improbable ascension d'un médiocre pétrolier texan devenu maître du monde libre. Puis il ouvre la boîte de Pandore du Président et révèle les liens personnels et financiers qui unissent la famille Bush à celle de Ben Laden. Michael Moore y dénonce également les méfaits du Patriot Act et les souffrances provoquées par la guerre en Irak.
(Source Allociné)

Critique de Tootpadu

A force d'un avis toujours aussi négatif à l'égard de l'actuel occupant de la Maison Blanche dans nos contrées et d'une sortie maligne du documentaire français sur pratiquement le même sujet (Le Monde selon Bush) juste avant celle de celui-ci, Michael Moore fait figure de l'invité qui arrive après la fête. Personne ne conteste plus que George W. Bush est un pantin incapable et malicieux, le pire président américain de notre vivant, et que son invasion de l'Iraq avait des motivations différentes de celles affichées. S'il gagne sa réélection d'ici trois mois, ce sera dû soit à un nouveau détournement criminel du vote, soit à la bêtise incomparable d'une majorité du peuple américain. Car au plus tard grâce à Michael Moore et son mastodonte de documentaire, en termes de box-office, plus personne ne pourra prétendre de ne pas savoir ou, au moins, avoir eu des doutes. En effet, tel semble le but du réalisateur, d'informer et de convaincre simultanément. Mais cette démarche s'avère hasardeuse, au point d'affecter sérieusement la structure de l'ensemble.
Pour tout adulte un minimum informé, le documentaire ne contient en fait pas un grand nombre d'informations nouvelles. Il est certes révélateur de voir Bush se complaire en joueur de golf ou fermier au cours de l'été précédant le 11 septembre. Il est tout aussi désolant d'assister à toute sorte d'allocution d'un homme de la vie publique dont l'expression est très limitée et hasardeuse, voire constamment au bord de la catastrophe. Il n'y a pas besoin d'un Michael Moore pour voir Bush se ridiculiser jour après jour avec ses lapsus gênants. Et le fait de savoir que Wolfowitz arrange sa coiffure grâce à sa salive ne fait que confirmer notre antipathie viscérale. Toutefois, en termes d'informations pures et dures qui n'auraient pas encore fait l'objet d'une mise en question de l'administration Bush, le documentaire reste malheureusement très pauvre. Les liaisons d'affaires pétrolières entre les clans Bush et Bin Laden, le départ prématuré de membres de la famille Bin Laden juste après les attentats, le caractère liberticide du Patriot Act, l'absence d'armes de destruction massive en Iraq, tout cela n'a plus rien d'un scoop, mais juste d'un énième rappel de la nature cynique du monde politique américain actuel. A ce sujet, le prologue de l'élection frauduleuse de Bush traduit bien la détresse et l'inertie de l'opposition, lors du rejet faute d'appui du sénat des contestations de la validité du scrutin, un refus prononcé stoïquement par le grand perdant, Al Gore. D'ailleurs, cette absence de solution, cette insistance pour tout peindre en noir, est évidemment un constat valable quant à la situation actuelle aux Etats-Unis, réputés auparavant comme pourfendeur de la liberté et de la démocratie capitaliste, et désormais haïs à travers le monde. Mais cette façon de montrer les choses ne fait qu'accentuer le manque d'objectivité et, surtout et hélas trop souvent, de pertinence de Moore.
Tandis que Bowling for Columbine était un fourre-tout sérieux et joyeux d'un sujet à la base pas moins grave, avec la pointe narcissique habituelle de Moore, le cinéaste se met plus en retrait ici, sans égaler la brillance de son film précédent qui passionnait par son mélange adroit et lucide. Moore n'a pratiquement jamais recours à l'humour ironique ici, ou bien lorsqu'il l'essaie, cela fonctionne moyennement (la référence au travail de police à travers "Dragnet"). Dans cette suite sans ordre préétabli d'accusations a priori légitimes, Moore en pleine rage propagandiste se fourvoye dans plusieurs trames différentes qui sont censé interpeller le plus grand nombre. Comment sinon interpréter l'intervention de deux vieilles dames d'une maison de retraite, celle d'un habitant de Flint (encore et toujours) ou bien le cas anecdotique du sportif âgé qui s'est fait dénoncer par ses camarades de gym ? Pour mettre en lumière les ravages de la politique de Bush sur la société américaine, on a déjà vu beaucoup mieux. De même, les quelques montages (la coalition de bonne foi, ...) n'ont plus la même force et le même pouvoir de synthèse que dans Bowling for Columbine.
En fin de compte, Moore n'a pas raté son but d'informer sur les méfaits du président George W. Bush, puisque son documentaire a eu suffisamment de succès là où cela comptera au mois de novembre pour amorcer un changement de l'opinion publique. Il n'empêche que ce prêche supplémentaire aux convaincus n'apporte rien de nouveau ou de brûlant et déçoit presque par sa forme bien moins ingéniueuse que l'on n'avait osé espérer.

Vu le 13 août 2004, à l'UGC Ciné Cité Bercy, Salle 20, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Ce film a obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes en 2004. C'est la première fois depuis 1956 et Le Monde du silence de Louis Malle et Jacques-Yves Cousteau que la récompense suprême était attribuée à un documentaire. On rappellera que Michael Moore a vu la distribution de son film bloquée par la Walt Disney Company sur le sol américain. La raison invoquée était que Fahrenheit 9/11, pouvant déplaire au Gouverneur de Floride Jeb Bush, frère du président Bush, aurait mis en danger les millions de dollars d'allègements fiscaux que Disney reçoit de l'Etat de Floride. Après plusieurs mois de spéculations, les studios ont finalement donné leur autorisation sur la vente des droits du film aux frères producteurs Weinstein. Ainsi déliés de leur entente contractuelle avec la maison mère, ces derniers ont ainsi pu trouver un autre distributeur sous la forme d'une coalition de trois groupes : Fellowship Adventure, les studios canadiens indépendants Lions Gate Films et le groupe IFC Entertainments. Le succès fut énorme et immédia dès sa sortie retardée aux USA.

Ici c'est du cinéma militant jouissif et frondeur, sans démagogie aucune, et qui transite également par un humour ravageur. Michael Moore avance, révèle, décode, glace, bouleverse, au triple galop. Chaque scène de Fahrenheit 9/11 est un tract que Michael Moore distribue courageusement. Cette oeuvre salvatrice, qui s'attache surtout à réveiller les consciences du public américain, est un film coup de poing. Sans renier son style et ses références habituels, Moore surprend par sa capacité à se renouveler et à s'effacer devant la gravité du sujet. On sent que le réalisateur maîtrise son sujet, on sent toute l'humanité d'un homme qui ne fait que nous montrer ce que personne d'autre n'aurait osé. Moore réalise une prouesse incroyable en n'étant jamais voyeur, jamais juge de ce qu'il montre, il nous suggère à nous que l'horreur n'est pas une fatalité si nous parvenons à ouvrir les yeux. Il aurait été simple de remontrer les images du 11 Septembre pour réveiller un peu d'effroi en nous, pourtant au moment d'évoquer cette journée tragique la salle est plongée dans l'obscurité la plus totale et seul le son subsiste pour que notre mémoire devienne actrice et que les images soient inutiles.

Même si certaines démonstrations du film laissent à désirer comme celles qui nous montrent l'Irak d'avant-guerre comme un endroit merveilleux, celles qui expliquent les enjeux financiers qui ont menés à la guerre sont beaucoup plus convaincantes. Ce film a aussi le mérite de nous donner une autre vision de la guerre. Pas la vision aseptisée des medias, mais une vision plus réaliste des drames humains que comporte chaque guerre. Cependant, on remarquera que Moore se complaît évidemment à tirer vers le larmoyant, car lui-même se trouve dans cette situation. Ce n'est pas une simple remise en cause d'un Président des US idiot, mais bien une remise en cause de l'être humain en général. Moore nous donne son point de vue, qui est le point de vue d'au moins la moitié des américains: ils n'ont pas voté pour cet homme, et le monde n'en sort pas grandi.

Ce film est ainsi avant tout destiné à un public américain n'ayant pas eu autant d'images chocs et de révélations que nous. Il ne nous apprend pas grand chose, à part peut être aux rares idéologues français qui osent encore soutenir Bush mais ceux là n'iront pas le voir. La conclusion du film fait un parallèle intéressant avec "1984" de G. Orwell. Dans ce magnifique roman, Orwell décrit une dictature atroce dont l'un des objectifs est de maintenir son peuple dans un état de guerre permanent, non pas pour gagner une guerre mais tout simplement pour maintenir les structures de sa propre société. Alors oui, l'administration Bush n'est pas aussi violente que le Big Brother d'Orwell. Mais bon, la comparaison a ceci d'intéressant qu'elle permet de se poser cette très bonne question: la démocratie américaine que nous aimons et à qui nous devons beaucoup n'est-elle pas en train de prendre un très dangereux virage? A ceux qui ne l'ont pas encore fait, je recommande vivement la lecture de "1984". C'est l'ouvrage indispensable pour compléter ce film et en saisir parfaitement sa conclusion. Dans tous les cas, allez voir ce film, lisez Orwell en rentrant chez vous et savourez d'avoir enfin compris combien il est facile de tous nous manipuler. Lisez, relisez Orwell, Moore ne fait que le répéter avec talent.

Reste que le vrai problème avec Fahrenheit 9/11, c'est qu'en essayant de démonter un système apparemment véreux, Michael Moore emploie exactement les mêmes méthodes que les gens qu'ils critique : déformations et simplifications de la vérité, omissions, et surtout, racolage a l'extrême. Il joue sur l'affectif et l'émotionnel, pas sur l'argumentation. Du coup, le qualificatif de "documentaire" ne peut pas s'appliquer a ce film. Tout au plus peut-on le qualifier de fiction, ou de délire d'artiste.

Vu le 05 juillet à la séance de 19h45 salle 09 au Gaumont de Disney Village

Note de Mulder: