Reaching for the moon

Reaching for the moon
Titre original:Reaching for the moon
Réalisateur:Bruno Barreto
Sortie:Cinéma
Durée:113 minutes
Date:20 août 2014
Note:

En 1951, la poétesse américaine Elizabeth Bishop traverse une grave crise d’inspiration. Afin de se changer les idées, elle décide de voyager à l’étranger et plus précisément au Brésil pour rendre visite à sa camarade d’université Mary. Celle-ci vit avec l’architecte Lota De Soares dans une luxueuse demeure à la campagne. Elizabeth se sent d’abord comme une intruse dans ce pays qu’elle ne comprend pas et avec ces deux femmes dont elle dérange visiblement l’intimité. En dépit de ses réserves initiales à l’égard de son invitée maladivement timide, Lota finit par la séduire et par lui demander de rester auprès d’elle. Alors que Mary voit d’un mauvais œil sa nouvelle rivale, Elizabeth atteint des sommets littéraires insoupçonnés grâce à cette relation passionnelle.

Critique de Tootpadu

Pour un film qui a une poétesse comme héroïne, Reaching for the moon emprunte un chemin ostentatoirement romanesque pour évoquer les hauts et les bas de sa relation amoureuse. Bien que les écrits mélancoliques de Elizabeth Bishop ponctuent le récit, le souffle de ce dernier se rapproche surtout des grandes fresques romantiques. Le drôle de ménage à trois dans lequel s’installent les personnages principaux n’y arrange personne. Et pourtant, ce n’est que dans l’adversité émotionnelle et existentielle que chacune de ces femmes fortes paraît pouvoir s’affirmer. L’issue de leur aventure collective est plutôt tragique. Mais elles tirent en même temps chacune leur épingle du jeu, à travers ce pouvoir magique de l’amour qui est l’affirmation de soi.

La nature homosexuelle des relations triangulaires dans le film de Bruno Barreto n’a toutefois qu’une importance secondaire, puisqu’elle lui a permis d’être distribué en France par une société spécialisée dans ce genre de thématique. Or, la reconnaissance des préférences sexuelles précède le début de l’intrigue, au point qu’elle ne provoque plus aucun scandale à une époque où pareilles pratiques étaient loin d’être entrées dans les mœurs. Le malaise vital d’Elizabeth et des autres ne résulte pas tant de leur différence que de leur incapacité à être aussi radicales dans la vie qu’elles le sont dans leur art. A commencer par le protagoniste en personne, horriblement coincé et incapable d’apprécier ne serait-ce que l’étendue de son propre talent. Le contact avec Lota va lui ouvrir des portes qu’elle croyait définitivement fermées, sans que ce mouvement de libération ne prenne des traits trop caricaturalement revendicatifs. Elizabeth profite en quelque sorte de la force expansive de sa compagne, mais pas non plus jusqu’à pouvoir la rattraper lorsqu’elle tombe dans les affres de la dépression.

Le pragmatisme par lequel se distingue le ton du film, aussi peu enclin à la trivialité qu’aux envolées romantiques, se retrouve le plus auprès de Mary. La face laide de cette relation étrange, à savoir la jalousie et les mensonges, c’est elle qui les personnifie avant tout. Et pourtant, la mise en scène nuancée lui attribue le rôle le plus réaliste dans un contexte mélodramatique, qui aurait sinon tendance à sombrer dans les vieilles remontrances d’alcoolique. Entre les névroses explicites d’Elizabeth et les airs pompeux de Lota, elle constitue notre porte d’accès improbable et de plus en plus discrète à cet univers fascinant d’il y a un demi-siècle. Dans une histoire qui court parfois le risque de tomber dans l’eau de rose, elle intervient régulièrement en tant que grain de sable fâcheux. Elle n’a pas d’autre choix qu’à participer à ce cirque, par amour pour Lota et faute d’autres options. Mais elle fait payer cette dépendance en profitant de la moindre fissure dans l’armure amoureuse d’Elizabeth et Lota pour exacerber leurs points faibles.

Bien plus que la question de la perte et du caractère éphémère de l’amour, le rapport de force au sein du couple nous paraît au cœur de ce film délicat et imprévisible. Ce dernier a beau pouvoir servir de support à la célébration d’un état d’esprit féministe et même lesbien, son propos lucide se démarque par une universalité qui n’a pas manqué de nous toucher.

 

Vu le 12 août 2014, au Latina, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

C'est Elizabeth Bishop, l'une des plus grandes poétesses américaines, qui est au centre du dix-neuvième long-métrage de Bruno Barreto (Dona Flor et ses deux maris (1977), Quatre jours en Septembre (1997), Bossa Nova (2000)). Avec Reaching for the moon, le réalisateur brésilien est bien loin de nous livrer un simple biopic se contentant de retracer les grands évènements de la vie

hors du commun de l'artiste. En se concentrant essentiellement sur sa relation tumultueuse avec l'architecte brésilienne Lota de Suarez, il réalise plutôt une belle romance teintée de drame. Cette volonté d'échapper au classicisme du biopic se traduit notamment par le refus d'inscrire le déroulement de l'action dans une temporalité précise, se passant ainsi de toute indication chronologique.

Les prémices de l'intrigue sont assez trompeuses : elles nous invitent à croire que l'on va assister, tout au long du film, à un véritable ménage à trois féminin. Or, il s'avère que le triangle amoureux lesbien dessiné lors les premières séquences laisse assez rapidement place à un duo, tant Mary (interprété par Tracy Middendorf) est progressivement écartée du récit. Cependant, à aucun moment elle n'en sera totalement exclue, forcée de n'être qu'un obstacle à l'épanouissement du nouveau couple formé par Elizabeth et Lola.

De la même manière, le début de Reaching for the moon nous laisse penser que l'homosexualité et la question de son acceptation à une telle époque seront des thèmes clés de ce film. Ce ne sont pourtant pas les préoccupations premières du réalisateur qui préfère, c'est un choix judicieux et parfaitement honorable de sa part, traiter cette romance homosexuelle comme n'importe quelle autre romance.

C'est justement parce que l'on apprécie le talent avec lequel Bruno Barreto nous décrit la lente détérioration de ce couple, d'ailleurs appuyée par des performances d'actrices sans aucune faute, que l'on regrette le côté un peu empesé du propos. Bien entendu, Reaching for the moon ne sombre à aucun moment dans une exagération flagrante de la dimension fleur bleue, pourtant certains dialogues et quelques scènes nous semblent un peu trop mièvres.

En revanche, le rapport qu'entretient le film avec le lieu où se déroule l'action est particulièrement intéressant. Les paysages naturels brésiliens offrent des décors somptueux, mis en avant lors de plans sans doute trop rares. De plus, le regard porté vers ce pays aussi beau que paradoxal est celui d'une étrangère. Si pendant les premières minutes du film nous voyons dans les remarques de l'héroïne un regard hautain et condescendant, nous comprenons par la suite qu'Elizabeth a une vision bien plus complexe du Brésil, en tout cas loin d'être dénuée d'un amour profond.

Finalement, la volonté d'échapper à l'aspect classique du genre du biopic ne se retrouve pas dans la mise en scène qui l'est sans doute un peu trop. Cependant, Reaching for the moon parvient tout de même à être une romance émouvante, à l'image de cette belle dernière scène faisant écho à la première.

 

Vu le 12 août 2014, au Latina, Salle 2, en VO.

Note de Noodles: