Ablations

Un homme se réveillant au petit matin sans aucun souvenir de la soirée arrosée de la veille, voilà qui pourrait nous faire songer à un nouveau film façon Very Bad Trip. Pourtant, ce qui arrive au malheureux personnage principal d'Ablations est beaucoup moins amusant : il n'a ni épousé une prostituée à Las Vegas ni enlevé le tigre qui sert d'animal de compagnie à Mike Tyson, mais s'est simplement fait voler l'un de ses reins. C'est ainsi que débute le scénario tordu écrit par Benoit Delépine, qui nous a habitué à l'improbable au fil de ses travaux et notamment à travers sa collaboration fructueuse avec son grand ami Gustave Kevern (Louise-Michel (2008), Mammuth (2011), Le Grand soir (2012), etc.)

Encore fallait-il que Benoit Delépine trouve un réalisateur ayant les épaules assez solides pour mettre en scène une telle histoire, et c'est à Arnold de Parscau que se voit confier cette périlleuse tache. Ce jeune cinéaste pour qui Ablations constitue le premier long-métrage a déjà quelques court-métrages à son actif : petite soirée écourtée chez M. Vaillant (2009) et Tommy (2011). Mais surtout, il est celui qui a réalisé l'excellent clip vidéo du morceau Good day Today,de David Lynch.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'influence de ce dernier est clairement visible chez de Parscau, et on le ressent pour notre plus grand plaisir, dans Ablations. Ainsi, le réalisateur nous ballade à travers les multiples hallucinations au caractère très lynchien qui hantent Pastor, pour qui retrouver son rein ainsi que celui qui l'a volé devient une véritable obsession. Ces scènes oniriques brouillent la distinction entre réalité et cauchemar, et le spectateur s'enfonce progressivement dans ce film au climat particulièrement malsain.

Dans sa forme, le film parvient à nous surprendre assez agréablement : Ablations regorge de procédés de mise en scène judicieux et souvent bien trouvés. Toutefois, Arnold de Parscau a parfois tendance à manquer de subtilité dans sa réalisation, mettant trop ostensiblement en lumière ses trouvailles visuelles ou certains éléments symboliques. Le tout est appuyé par une direction artistique soignée, voire même carrément bluffante sur certaines scènes.

Néanmoins, quelques uns des choix scénaristiques de Benoit Delépine pourraient nous laisser sceptiques : en effet, on sera étonné du manque de réaction que provoque ce vol d'un organe, aussi bien chez le principal intéressé que chez sa maitresse, l'une des seules personnes au courant de cette sombre affaire. Pour autant, le récit est bien obligé de passer par ces petites incohérences pour finalement s'avérer être aussi prenant que malin. Il est vrai que l'on aurait aimé voir Ablations sombrer plus profondément dans l'absurdité complète, et malgré une intrigue particulièrement bien ficelée nous nous attendions à un grain de folie supplémentaire de la part de Delépine.

Certes, les personnages féminins manquent cruellement de profondeur et semblent se résumer à leur fonction, mais Denis Ménochet est remarquable dans son interprétation. Mention spéciale pour le duo formé par Yolande Moreau et Philippe Nahon (génial dans Seul contre tous (1998) de Gaspar Noé), jouant ici les voleurs d'organes.

Si quelques erreurs viennent entacher le bilan, Ablations est à des années-lumière d'être un film raté. Bien au contraire, c'est un projet qui vaut le détour, ne serait-ce que pour le plaisir de voir se croiser l'univers de Benoit Delépine et celui de David Lynch.

Vu le 12 Juin 2014 à l'occasion du Champs-Elysées Film Festival, au Gaumont Ambassade.

Note de Noodles:

Le thriller français s’est englué peu à peu dans un modèle prédéfini sans réellement chercher à renouveler le genre. Certes de jeunes réalisateurs comme Alexandre Aja (Haute tension (2003)) ont réussi dans le passé à dynamiter le genre en y apportant  une réalisation bluffante et en s’appuyant sur un scénario propice à de multiples rebondissements. Le jeune réalisateur Arnold de Parscau tente donc à son tour d’imposer sa marque en nous présentant l’histoire de Pastor Cartalas (Denis Ménochet) qui se réveille un matin dans un terrain vague sans aucun souvenir du jour précédent et avec une cicatrice au bas du dos. Il apprendra qu’ on lui a volé un rein et décidera de mener jusqu’au bout sa propre enquête.

L’idée de départ est certes originale mais malheureusement le scénario ne tient pas toutes ses promesses. Au lieu de se diriger vers un thriller sanglant et audacieux, le film navigue vers un rythme trop linéaire et en donnant à ces tortionnaires une raison plutôt justifiée de commettre ces actions. Le scénario de Benoît Délépine aurait gagné en efficacité s’il avait gardé un ton plus horrifique que contemplatif. C’est à l’initiative de cet excellent scénariste qui délaisse son genre de prédilection la comédie (Avida (2005), Mammuth (2010), Le Grand soir (2011)) pour s’attaquer au thriller sans en maîtriser tout à fait le tempo que ce film a vu le jour. Le film aurait pu être une comédie déjantée et sûrement être nettement plus réussie si le scénariste s’était exprimé avec la même aisance dont il nous a habitués dans des comédies enlevées et intelligentes.

Pourtant le film retient notre attention non seulement par l’implication du réalisateur qui a sublimé le scénario mais surtout par ses nombreux cadrages ambitieux  apportant ainsi au film une réelle valeur ajoutée. Comme la plupart des premiers films celui-ci est certes imparfait mais on sent réellement que le réalisateur a voulu apposer sa patte créative. De la même manière, il se révèle être un bon directeur de comédiens et le casting de son film est parfaitement maîtrisé. On retrouve ainsi l’excellent comédien Denis Ménochet (Les adoptés (2010), Dans la maison (2012)) plus habitué à des seconds rôles mais qui ici démontre une nouvelle fois tout son talent. On notera aussi la présence de la trop rare et sublime Virginie Ledoyen mais aussi de Philippe Nahon, Yolande Moreau et Serge Riaboukine.

C’est surtout par les nombreux rêves du personnage principal que l’on reconnaît le talent véritable de ce jeune réalisateur. L’influence qu’exerce sur lui le réalisateur David Lynch est évident. Après avoir réalisé le clip officiel du titre "Good Day Today" de David Lynch, cet élève plutôt doué témoigne par son premier film qu’il a tout d’un réalisateur qui refera parlé de lui prochainement.

Vu le 15 juillet 2014 à l'UGC Ciné Cité Les Halles, Salle 09

Note de Mulder: