Titre original: | Marie-Octobre |
Réalisateur: | Julien Duvivier |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 98 minutes |
Date: | 24 avril 1959 |
Note: | |
Quinze ans après que leur réseau a été démantelé lors d’une descente de la Gestapo, qui a entraîné la mort de leur chef Castille, dix anciens résistants se retrouvent sur les lieux du drame. Marie-Octobre, la seule femme du groupe, a convoqué ces anciens combattants non pas par nostalgie, mais parce qu’elle croit savoir qu’un traître se cache parmi eux.
Critique de Tootpadu
Existe-t-il une date de péremption sur la culpabilité en temps de guerre ? Cette question digne de l’épreuve du bac en philo n’est pas entièrement au cœur de ce film fascinant de Julien Duvivier. Elle demeure cependant en arrière-plan de la quête plus classique d’un assassin parmi ces héros d’antan qui se sont considérablement embourgeoisés depuis leurs exploits de résistants. La première partie de Marie-Octobre insiste même sur ce détachement évident de l’idéal républicain qui avait réuni les personnages auparavant, alors qu’ils n’ont pratiquement plus rien à se dire à l’heure des retrouvailles inopinées. La conversation a en effet tendance à tourner en rond au début, tant chacun campe sur ses acquis sociaux, tout en faisant attention que le statut des uns et des autres ne fasse pas de jaloux parmi les frères d’armes d’autrefois.
Les masques tombent par contre abruptement, dès que l’hôtesse annonce la véritable raison de cette réunion faussement festive. Tandis que certains prennent la révélation initiale comme une mauvaise plaisanterie, avec un degré d’objectivité qui se manifeste certes par cette intrusion agaçante de l’extérieur qu’est la diffusion de la lutte à la télévision, mais qui fait encore preuve de bon sens, d’autres s’en donnent à cœur joie au règlement de comptes de plus en plus envenimé. La solidarité affichée du groupe, sous réserve des schémas comportementaux qui font comme si les quinze dernières années n’avaient pas eu lieu, se transforme alors rapidement en un « chacun pour soi », où les vieilles rivalités et rancunes ne connaissent plus aucune entrave. Le ton étouffant du film provient surtout de ce climat riche en suspicions, puisque celles-ci font voler en éclats, l’une après l’autre, les certitudes qui avaient soudé le groupe quand il se trouvait encore dans le maquis.
La mise en scène très maîtrisée de Julien Duvivier ne cherche pas à désigner à tout prix un bouc émissaire pour le malheur, qui aurait dû être prescrit si la dynamique de cette cellule de résistants n’avait pas autant dépendu de la figure emblématique du chef martyre. Elle inscrit plutôt la guerre intestinale dans le cadre d’un huis-clos suffocant, qui sait rester discret la plupart du temps au moment des coups de théâtre, à l’exception d’un emploi ponctuel de la musique quand même un peu voyant. L’unité de lieu et de temps n’y est perturbée par aucun retour en arrière, puisque seul l’émission de télé établit un drôle de reflet entre ce qui se passe dehors – un combat de lutte grotesque et interminable – et ce qui se passe dans la salle faste et surchargée de la demeure, qui servait jadis de repère et qui a désormais pris la fonction de prétoire.
Enfin, la distribution luxueuse déborde d’interprétations dont l’intensité pourrait malgré tout passer comme la seule infime faiblesse d’un film, qui n’aménage justement aucun moment de répit au spectateur.
Vu le 2 août 2012, à l’Action Ecoles, Salle 1
Note de Tootpadu: