Valse des pantins (La)

Valse des pantins (La)
Titre original:Valse des pantins (La)
Réalisateur:Martin Scorsese
Sortie:Cinéma
Durée:107 minutes
Date:18 mai 1983
Note:
Rupert Pupkin est un fan inconditionnel de la vedette de télévision Jerry Langford. Après une de ses émissions, Rupert réussit à protéger Jerry de ses autres admirateurs trop insistants. Il profite de cette rencontre pour lui parler de ses propres ambitions de comédien et de son rêve de pouvoir un jour participer au show de Jerry avec un de ses sketches. Déjà las de la présence envahissante de Rupert au bout de quelques minutes, Jerry tente de s’en débarrasser, en lui proposant de le contacter à travers son bureau. Comblé par cette invitation, Rupert y répond sans tarder. Mais ses nombreuses sollicitations ne suscitent qu’un écho poliment désintéressé de la part des collaborateurs de Jerry. Pour que son rêve d’être le roi de la comédie devienne réalité, Rupert devra employer des moyens plus persuasifs.

Critique de Tootpadu

On reconnaît les films durablement bons à leur capacité de demeurer percutants, même si l’évolution inévitable de la société au fil des décennies opère un changement notable des préoccupations. Au moment de sa sortie, cette satire mordante de Martin Scorsese a dû surtout résonner dans le contexte du harcèlement des célébrités et des attentats contre elles, perpétués au début des années 1980 contre John Lennon et Ronald Reagan, pour ne citer que les cas qui ont le plus défrayé la chronique. De nos jours, elle prend plutôt l’allure d’une prophétie remarquable quant au culte de la célébrité et au gain de reconnaissance aussi instantané qu’éphémère, caractéristiques des émissions de télé-réalité et autres spectacles amateurs de chant ou de danse qui pullulent sur les chaînes audio-visuelles à travers la planète. Tandis que la solitude de Travis Bickle dans Taxi driver trouvait un exécutoire vaguement altruiste dans l’affranchissement d’une jeune prostituée, celle de Rupert Pupkin est sublimée par une quête de la notoriété tristement nombriliste.
La tragédie de ce personnage plus que jamais représentatif de notre époque individualiste, c’est qu’il est convaincu de son pouvoir de séduction et de la sincérité des autres, dans une profession peuplée d’égoïstes narcissiques, au point de ne pas se rendre compte de sa propre ringardise. Rupert Pupkin est en quelque sorte la figure de proue des geeks avant l’heure : un solitaire au comportement compulsif, tellement imbu de lui-même, que son ascension difficile du sommet de la célébrité justifie tous les moyens. Le coup de génie de Martin Scorsese est d’avoir mis cet individu pédant et lourd face à un comique légendaire, en l’occurrence Jerry Lewis, dont le fond de commerce était précisément un humour très potache, qui n’y allait pas par quatre chemins pour arracher un rire forcé au spectateur. Ainsi, l’effet de réverbération entre le cancre fictif et son idole, étonnamment sobre ici, est des plus saisissants.
La Valse des pantins est également un film jubilatoire sur le monde du spectacle, et sa scène suprême que les Etats-Unis sont presque malgré eux. Rupert Pupkin souscrit quasiment les yeux fermés au rêve américain, jusqu’à imaginer différentes rencontres cordiales avec sa vedette préférée. La dimension féerique du récit – amenée subtilement par le montage de Thelma Schoonmaker – brouille encore un peu plus la frontière entre la réalité déprimante d’un trentenaire en manque de maturité et sans but dans la vie, et son rêve d’une existence où l’humanité toute entière serait à ses pieds. En même temps, les propos de Jerry Langford sont si similaires entre le bavardage imaginé et son discours pour amadouer ses ravisseurs qu’il devient progressivement plus difficile de faire la différence entre les deux. Et si l’épilogue du film ne constituait que la consécration chimérique d’un imposteur né ? A moins qu’il ne s’agisse du coup fatal qu’un film magnifique attribue à l’idéal américain, corrompu jusqu’à l’os par la solitude, la mégalomanie, l’ambition, et surtout par une déviation de plus en plus préoccupante des valeurs exceptionnelles, qui rendent une personne célèbre, à défaut d’être exemplaire.

Vu le 22 mai 2011, au MK2 Beaubourg, Salle 4, en VO

Note de Tootpadu: